Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Nagy MAKHLOUF

Être étranger, ou la différence comme facteur de liberté

Je suis né de parents libanais à Paris.
Les origines parentales, socioculturelles et géographiques sont des facteurs déterminants dans la formation d'une personne; ils dessinent en grande partie le déroulement de sa vie, ses modalités, ses directions. Nos vies sont donc prédéterminées, et en prendre conscience est un pas vers une vision fondée de soi et d'autrui.
Dans mon cas, ces facteurs ont été en partie trop pluriels pour être aussi décisifs qu'ils peuvent l'être d'habitude. En effet, cette pluralité m'a livré très tôt à moi-même, du fait de repères culturels enchevêtrés.
Je suis né de parents libanais à Paris: libanais dans le sens «mouwaten» et non confessionnel, car d'origines plurielles. Ce croisement a influé dans le choix de mon prénom qui n'est pas porteur d'une identité religieuse, mais seulement issu d'une aire géographique et culturelle; je m'appelle Nagy.


Au Liban, ce prénom ne connote donc aucune appartenance confessionnelle; à Paris, il ne signifie rien d'autre que de l'étrangeté. Un prénom que tous ceux que j'ai connus ont entendu pour la première fois avec moi, selon une réception variée – «joli», «bizarre», «curieux», «comme un personnage de manga», etc. J'ai dû répéter mon prénom à de nombreuses reprises, souvent déformé ou oublié; j'étais de fait un étranger. Mon prénom m'a exclu d'emblée d'une identification avec l'héritage culturel judéo-chrétien dominant à Paris, et donc avec autrui; identifier signifie ramener au même, or je suis différent, comme nous le sommes tous, mais cette différence m'est rendue visible par mes déterminismes. Même au Liban, mon accent français et ma faible maîtrise de l'arabe me renvoient aussi à un statut étranger, en plus du statut original du couple formé par mes parents dans un territoire très marqué par le repli confessionnel.


Être né de parents libanais à Paris, c'est donc être entre plusieurs référentiels culturels et linguistiques; mes parents parlent le plus souvent en arabe à la maison, tandis que je communique en français dehors. J'ai donc un rapport pluriel à la langue et à l'identité culturelle. Cette pluralité instaure une distance, un choix et permet d'écarter l'identification; en tant qu'individus, nous sommes tous différents et réalisons tous, à degrés extrêmement variables, une relation spécifique au monde.


Par conséquent, mes déterminismes, que je partage avec beaucoup d'enfants d'immigrés, peuvent être des facteurs d'individuation; j'ai été telle une abeille butinant entre différentes fleurs culturelles pour former mon propre miel.


Ayant grandi dans une capitale laïque, libérale et tolérante, j'ai donc progressivement réalisé que la valeur attribuée aux facteurs culturels initiaux pouvait être celle d'un héritage culturel, d'une ressource d'individuation et non plus celle d'une identification, d'une normalisation.


J'en viens alors à considérer le pays de mes parents comme ce qui pourrait être un projet bien différent de ce qu'il est et a été, à savoir un vivier d'héritages culturels et non plus de normes dogmatiques. Car si le réel n'est qu'un ensemble de perspectives et d'interprétations plus ou moins fondées, c'est l'appréhension et la confrontation d'un maximum de ces interprétations qui permettent la construction d'une singularité et de valeurs aux fondements vérifiés. L'instauration d'un état civil au Liban ferait de sa pluralité culturelle un potentiel foyer de singularités exemplaire pour sa région et pour le monde globalisé ; il serait une alternative aux normes consuméristes comme religieuses et dogmatiques.


Je suis né de parents libanais à Paris, cela veut dire: ma vie est l'appropriation individuelle de différentes identités culturelles en vue de la réalisation de mon rapport singulier au monde, de ma propre identité. C'est là la définition que je donne à la liberté.

Nagy MAKHLOUF

 

Je suis né de parents libanais à Paris.Les origines parentales, socioculturelles et géographiques sont des facteurs déterminants dans la formation d'une personne; ils dessinent en grande partie le déroulement de sa vie, ses modalités, ses directions. Nos vies sont donc prédéterminées, et en prendre conscience est un pas vers une vision fondée de soi et d'autrui.Dans mon cas, ces...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut