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Nos Lecteurs ont la Parole - Georges TYAN

Entre flirt et prostitution

Le quartier brûle, les riverains, au lieu de s'entraider à circonscrire le feu, accourir avec des seaux d'eau, ouvrir le chemin aux pompiers, les aider à tendre leurs tuyaux, penser à sauver les personnes toujours piégées à l'intérieur des immeubles en feu, ne trouvent pas mieux à faire que de barrer les routes et raviver les flammes.
Le mal ou le bien, selon le côté (politique) où l'on se tient, sont faits. L'ennemi est à nos portes, un couteau entre les dents, les babines retroussées, brûlant tout sur son passage, égorgeant comme du bétail qui se trouverait sur son chemin. Et nos responsables, en toute inconsistance, de discourir jusqu'à plus soif, juste pour marquer un but dans les filets de l'adversaire, prenant à témoin chacun sa flopée d'applaudisseurs.
Je suis certain que le souci premier du Libanais au terme de vingt ans de guerre, de sang, de destructions pour compte de tiers n'est nullement le printemps arabe né rachitique. Ou encore qu'en mal d'aventures palpitantes, il ait décidé de déterrer la hache de guerre pour s'en aller prêter main forte à un régime barbare dont il a goûté la violence et la perversité.
Les Libanais dans leur majorité sont calmes, doux, cultivés, pondérés, ouverts au monde; ils se veulent indépendants, libres de toute contrainte ou hypothèque. Viscéralement attachés à leur pays, don du ciel, ils se trouvent dépassés par les événements, assistant impuissants à la déliquescence qui s'empare de leur patrie au point de la pourrir.
Peut-être le mot patrie est-il exagéré pour un rassemblement hétéroclite de dix-huit communautés, dont les liens se sont distendus au fil du temps et des vicissitudes endurées, au lieu de se raffermir, faute d'homme providentiel pour les rassembler, chacune voulant avoir sa propre patrie, n'hésitant pas à aller quérir aide et soutien en dehors des frontières géographiques de nos 10452 kilomètres carrés.
Pas besoin de noircir des lignes là-dessus. L'histoire récente regorge d'exemples où l'on voit un frère, un ami, chercher le soutien d'un étranger contre son frère, son cousin, son voisin, quitte à détruire le quartier, pour asseoir sa notoriété, grâce aux subsides venus d'ailleurs, non à la sueur de son front, pour en fin de compte obéir aux ordres de la partie qui aura largement contribué à son nouveau statut. C'est à en vomir.
Depuis toujours, me dira-t-on, les Libanais ont des affinités avec les puissances étrangères; ils en ont souvent profité pour s'opposer l'un à l'autre. Certes, mais c'était juste un petit flirt discret, presque en catimini. Les politiciens d'alors n'ont jamais dépassé les limites qui auraient pu mettre en grand danger la patrie, s'efforçant de ne jamais couper le fil ténu qui les reliait.
Les politiciens d'alors étaient des gens normaux, vous les rencontriez dans la rue, devant leur domicile ou leur bureau, vous alliez chez eux, ils vous rendaient visite. Leur fortune personnelle se limitait tout au plus à un lopin de terre hérité de leurs pères, ou encore aux rentrées provenant de leur profession, qu'ils dépensaient en aides et donations. Combien d'entre eux ne nous ont-ils pas quittés avec pour tout bien la chemise qu'ils avaient sur le dos?
Aujourd'hui, c'est à pleurer. Ils ne viennent plus chez vous. Ils vous convoquent avec un bon millier d'autres personnes qui comme vous bombent le torse à l'approche de la main qu'en toute condescendance ils vous tendent, sans jamais remarquer le bleu de vos yeux, leur regard porte loin, couvant la longue file qui se presse derrière vous, pour à son tour caresser furtivement les glorieuses phalanges, aussitôt retirées.
Et encore, estimez-vous heureux. Il y a des gens bien moins lotis que vous. Parqués dans un stade ou sur un terre-plein, des fois sous un soleil accablant, attendant sagement que l'événement commence. Puis, au moment fatidique, l'apparition a lieu non en chair et en os, mais sur écran géant. La foule se lâche, les vivats fusent en bourrasque, dans un tonnerre d'applaudissements. Les tirs de joie, souvent maladroits, fauchent leur lot de blessés et de morts.
Dans un cas comme dans l'autre, le discours est pontifiant, prenant des allures d'adresse à la nation, que seul à mon sens est habilité à faire un président de la République – dont l'absence nous dit-on est cruellement ressentie, mais qui semble arranger tout le monde, en premier ceux qui se lamentent, versant des larmes de crocodile au point d'alimenter copieusement la nappe phréatique en cette période de sécheresse.
L'heure est grave, très grave. Nos soldats sont enlevés, séquestrés, leurs vies menacées, les routes sont coupées en signe de protestation. Les étendards de la discorde sont levés, fleurissant telles les fleurs du mal. Défi à notre armée, à nos valeurs, à nos mœurs, à notre culture, aux rêveurs qui, comme moi, persistent à croire à la pérennité du Liban.
Une nouvelle fois, le Liban est à la croisée de son destin, le chaos frappe à nos portes. Si jusqu'à présent il a été relativement épargné, je suis loin de croire que l'immonde créature enfantée par cette coalition qui gesticule dans les airs, jurant de l'éradiquer, puisse y parvenir. Nous, Libanais, sommes aux premières loges pour le savoir. Souvenez-vous du New Jersey.
En attendant, nos dirigeants campent chacun sur ses positions. Faute de s'unir, faire bloc face au danger, dépasser ne serait-ce qu'un instant leur inimitié, leurs zizanies, leur jalousie morbide, tenter de sauver ce qui peut encore l'être, ils ne trouvent pas mieux que de se lancer des piques assassines et des accusations meurtrières, qui ne font plus mouche.
Obnubilés par leur soif de pouvoir, infatués pour s'être abreuvés au grand jour sans le moindre remords, fausse honte ou retenue, aux mêmes sources que ces réseaux d'une autre ère, qui ont juré de ramener l'humanité à l'âge de pierre, ils n'ont pas remarqué du haut de leur piédestal la faille qui s'élargissait entre eux et le commun des mortels.
Notre histoire a commencé, avec la génération précédente de politiciens, par un petit flirt pas tout à fait innocent, mais contenu. Se terminera-t-elle sur un air de prostitution à large échelle?
Aux Libanais, si demain ils sont toujours là, d'en tirer les conséquences.

Georges TYAN

Le quartier brûle, les riverains, au lieu de s'entraider à circonscrire le feu, accourir avec des seaux d'eau, ouvrir le chemin aux pompiers, les aider à tendre leurs tuyaux, penser à sauver les personnes toujours piégées à l'intérieur des immeubles en feu, ne trouvent pas mieux à faire que de barrer les routes et raviver les flammes.Le mal ou le bien, selon le côté (politique) où...

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