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Du terrorisme aux conflits entre voisins, l’eau du Moyen-Orient otage des tensions - Ressources

Du terrorisme aux conflits entre voisins, l’eau du Moyen-Orient otage des tensions

Dans le Forum de haut niveau de « Blue Peace » qui vient d'avoir lieu à Istanbul, et auquel participait le Liban, les craintes liées à la mainmise des terroristes sur des cours d'eau majeurs et des barrages en Irak a failli voler la vedette aux tensions usuelles entre les pays.

La toute nouvelle Université de MEF, qui a accueilli le forum de Blue Peace.

Le nom de l'État islamique, ou Daech, a été mentionné plus que de coutume dans le Forum de haut niveau de « Blue Peace », organisé à Istanbul (il devait se tenir initialement à Suleimaniyah dans le Kurdistan irakien, mais a été délocalisé pour des raisons de sécurité). Le volet Moyen-Orient de l'initiative lancée depuis 2011 par le think tank indien Strategic Foresight Group (SFG) et financée par l'Agence suisse pour le développement et la coopération, se penche sur les difficiles négociations dans une région particulièrement pauvre en eau, regroupant la Turquie, l'Irak, la Syrie, le Liban et la Jordanie. À ces complications régionales usuelles est venu se greffer le facteur du terrorisme avec son lot d'imprévisibles, notamment depuis le début des frappes de la coalition en Irak et en Syrie : menaces de détruire des barrages, d'inonder des localités entières, d'empoisonner des sources...

(Pour mémoire : Protéger la source de Jeïta, c'est protéger plus de 70 % de l'eau de Beyrouth)


Que représente cette sanglante parenthèse dans une région initialement soumise aux tensions ? « Il faut protéger les sources d'eau et les ouvrages sur les fleuves », a-t-on entendu dire plusieurs intervenants (décideurs, experts, journalistes...) au cours de ce forum. « Les terroristes utilisent l'eau comme instrument dans leurs opérations militaires, menaçant, par exemple, de détruire des barrages, a dit Safa Rasul, conseiller adjoint à la sécurité nationale en Irak. Ils peuvent aller jusqu'à empoisonner l'eau, ou encore utiliser leur occupation de points stratégiques pour contrôler la population. »

« Quand Daech sera éliminé, il faudra que les pays de la région créent un comité de gestion de leurs bassins, et gardent le projet de coopération vivant à tout moment », a martelé Mustapha Kibaroglu, président du département de sciences politiques à l'université turque de MEF, qui a accueilli le congrès.
Le conflit syrien et les problèmes sécuritaires en Irak ont eu une autre conséquence sur leurs voisins : l'afflux considérable de réfugiés, notamment au Liban, en Turquie et en Jordanie. Le député Bassem el-Chab, seul parlementaire libanais présent au forum, et Zeina Majdalani, du bureau du Premier ministre, n'ont pas manqué d'insister sur la pression que constituent un million et demi de réfugiés sur les ressources hydrauliques du Liban, en une année particulièrement sèche.

(Pour mémoire : Des étudiants libanais proposent une solution à la pénurie d’eau)

 

De l'actualité avant et après Daech

Mais l'émergence de Daech et le conflit en Syrie, malgré leur gravité, ne sont pas suffisants pour changer à eux seuls la donne. À la question de savoir si les négociations se portaient mieux en temps de stabilité, Yasar Yakis, ancien ministre turc des Affaires étrangères, déclare à L'Orient-Le Jour avec le flegme qui le caractérise : « Je suis obligé de reconnaître que cela est faux. »

M. Yakis sait de quoi il parle : dans sa longue carrière de diplomate, il a suivi à maintes fois les négociations sur l'eau qui se déroulaient entre son pays et ses voisins. « Les tensions dans la région affectent certainement les négociations sur l'eau, poursuit-il. Preuve en est, les processus qui avaient été entamés avec la Syrie ont été interrompus en raison de la guerre avec ce pays. La stabilité est sans nul doute indispensable, mais elle n'est pas suffisante à elle seule. La volonté politique manque, surtout en ce qui concerne le Tigre et l'Euphrate, et l'approche du problème de l'eau est très différente pour les trois pays riverains de ces deux fleuves (la Turquie, l'Irak et la Syrie). »

(Reportage : Quand les chauffeurs de Gaza défient la mort pour de l'eau potable)


Interrogé sur le même sujet par L'OLJ, le flamboyant Ajwad Alwash, directeur général de l'ONG Nature Iraq et conseiller auprès du gouvernement de son pays, n'est pas en reste, considérant que le sujet de l'eau était d'actualité avant Daech et le sera après.

Pour sa part, Bassem el-Chab estime que ce processus devrait se poursuivre même dans un climat de tensions. « Il est vrai que la région passe par un moment politique très difficile, nous affirme-t-il. Toutefois, les interventions dans ce congrès ont mis en lumière les lacunes scientifiques et techniques importantes qui demeurent dans nos pays. Un des intervenants suisses a expliqué comment les nappes phréatiques dans la région de l'Oronte restent très mal connues (voir par ailleurs). Il est nécessaire de passer ce temps (mort pour les négociations) à développer nos connaissances scientifiques avant de nous lancer dans des négociations ultérieures. Nous avons constaté comment un accord bilatéral qui manque de fondements scientifiques, comme celui signé par la Syrie et la Jordanie autour du fleuve de Yarmouk, peut mal tourner. »

(Lire aussi : « Les Libanais sont impressionnants du fait de leur capacité à s’adapter au manque d’eau »)

Plus d'eau de l'Oronte contre la présence des réfugiés ?

Le député estime que le Liban peut profiter de plusieurs façons de sa présence au sein du processus de Blue Peace, même s'il a relativement peu de conflits à régler dans les cours transfrontaliers. « L'idée de base de Blue Peace repose sur l'intérêt des pays de la région à partager les ressources communes, explique-t-il. Le concept principal, c'est que les négociations autour des ressources naturelles peuvent ouvrir la voie à des solutions aux problèmes politiques, non l'inverse. Blue Peace constitue une tentative de rapprocher les points de vue entre le Liban, la Syrie, la Jordanie, l'Irak et la Turquie. Nous avons des problèmes avec Israël, il est vrai, mais il n'y a aucun contact possible avec cette partie. Dans le cadre de ce processus, seul nous intéresse un cours transfrontalier, celui de l'Oronte, que nous partageons avec la Syrie et la Turquie. Toutefois, le principal objectif de notre participation à ce processus est de favoriser une meilleure entente entre toutes ces nations et d'instaurer par conséquent un climat politique régional plus clément pour tous. »

(Lire aussi : L'eau douce en mer : providentielle pour les uns, incertaine pour les autres)

Bassem el-Chab estime qu'il sera possible d'arriver à l'avenir à des accords portant autant sur l'eau que sur l'énergie, avec possibilité d'importer un courant bon marché qui aiderait, selon lui, à réaliser une désalinisation économique si le besoin se faisait ressentir (même si beaucoup considèrent cette option comme non adaptée au Liban, qui n'a pas encore géré de manière assez efficace ses ressources existantes d'eau douce). « Pourquoi ne pas envisager de créer un Office de l'Oronte tout comme il y a un Office du Litani ? se demande-t-il. Une sorte de gestion durable comme celle du bassin du Sénégal (voir par ailleurs), dans le cadre de laquelle on pourrait profiter des échanges au niveau de l'eau mais aussi de l'électricité, des facilités agricoles... ».

Pour Hadi Tabbara, expert libanais en ressources hydrauliques, un forum tel que celui qui vient d'être organisé par SFG peut servir à exprimer des idées innovantes. Il a lancé une idée particulière dans une des sessions, qu'il réitère pour L'Orient-Le Jour. « Le Liban devrait demander à profiter de manière plus substantielle de l'eau de l'Oronte vu qu'il accueille près d'un million et demi de réfugiés syriens sur son territoire, qui constituent un facteur de pression non négligeable sur son eau, dit-il. On pourrait aborder ce sujet avec les autorités syriennes par le biais de Blue Peace. » Une idée à creuser...


Pour mémoire

I- Épuration des eaux usées au Liban : beaucoup de bruit pour si peu de résultats...

II - Dans la station d'épuration de Nabatiyeh, des problèmes bien de chez nous

Le nom de l'État islamique, ou Daech, a été mentionné plus que de coutume dans le Forum de haut niveau de « Blue Peace », organisé à Istanbul (il devait se tenir initialement à Suleimaniyah dans le Kurdistan irakien, mais a été délocalisé pour des raisons de sécurité). Le volet Moyen-Orient de l'initiative lancée depuis 2011 par le think tank indien Strategic Foresight Group...

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