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Nos Lecteurs ont la Parole - Adib Y. TOHMÉ

Un jeune homme désenchanté

La ronde des comédiens n'en finit plus de tourner toute la semaine. Ils occupent les plateaux télé, les gros titres des journaux et les médias numériques. Ils parlent de tout pour ne rien dire ; politique, faits sociaux, faits divers, tout y passe. Quand la semaine est finie, la ronde reprend, avec d'autres comédiens. Puis d'autres. Et encore d'autres. On sait à l'avance (sauf rares exceptions) ce que vont dire les uns et les autres, avec ce qu'il faut de mauvaise foi, de feinte indignation, de retournements acrobatiques, de menaces larvées, de leçons de morale.
Et puis, un jour, voici qu'on voit une image différente, qui casse la torpeur, brise la quiétude, réveille la mémoire. Voici qu'on revoit notre enfance, nos premiers rires qui reviennent brusquement, qui nous frappent en pleine figure. Voici qu'on voit sur l'écran de notre ordinateur le portrait désenchanté d'Abou Salim, de son vrai nom Salah Tizani, qui déclare en quelques lignes qu'il est prêt à accepter n'importe quel rôle pour pouvoir vivre dans la dignité. Lui ne fait pas la comédie. Lui, c'est un comédien, un vrai. Il a fait de la comédie un art de vivre et il avait le droit de vivre de son art. Mais voilà, sur cette scène libanaise de la réalité intervertie où passent les faux comédiens, toute vraie comédie vire à la tragédie.
À 85 ans, celui qui avec sa bande, Fehmen, Assaad, Derwandeh et tous les autres, a fait rire des générations entières, doit continuer à travailler pour se nourrir. Pour beaucoup, c'est une légende du petit écran ; pour moi, c'est un vrai héros, mais lui, il s'en fout. Son histoire m'indigne. Mais que peut changer mon indignation ?
Les honneurs, les éloges, la renommée et l'amertume sont derrière lui. Ce qui compte, c'est de gagner son pain quotidien pour continuer à vivre. Ce qu'il faut, pour lui, et pour beaucoup d'autres qui ont façonné ce qui reste de meilleur dans ce pays, c'est de changer le système pour inciter les créateurs à créer et les gens talentueux à ne pas émigrer. D'ici là, il est urgent de rétribuer tous ces géants en signe de reconnaissance pour services rendus à la nation. Il en va de notre dignité humaine, de notre intégrité morale et de notre continuité en tant que société. Promulguer une loi pour leur octroyer des droits d'auteur de façon rétroactive sur les émissions qui continuent de passer à la télé ? Pourquoi pas ? Créer une caisse de retraite alimentée par une taxe spéciale pour les personnages exceptionnels dans le domaine de l'art et la culture ? Ça peut marcher aussi. Recourir au financement privé comme le crowd funding ? C'est également une idée. Les solutions ne manquent pas quand la volonté existe.
L'indifférence de l'État au sort réservé à ces artistes d'exception est tout simplement honteuse. Ce jour-là, en quelques répliques distillées avec pudeur, Abou Salim n'était pas un vieil acteur d'une autre époque. Il était ce jeune homme désenchanté de 85 ans qui nous a mis en face de nos responsabilités.

Adib Y. TOHMÉ

La ronde des comédiens n'en finit plus de tourner toute la semaine. Ils occupent les plateaux télé, les gros titres des journaux et les médias numériques. Ils parlent de tout pour ne rien dire ; politique, faits sociaux, faits divers, tout y passe. Quand la semaine est finie, la ronde reprend, avec d'autres comédiens. Puis d'autres. Et encore d'autres. On sait à l'avance (sauf rares...

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