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Liban - Droits de l’homme

Au Liban, les familles des disparus retiennent leur souffle...

La présidence du Conseil s'engage à exécuter la décision du Conseil d'État et à remettre ainsi aux familles des disparus le rapport de la commission nationale chargée d'enquêter sur le sort de leurs proches... lundi au plus tard.

Le visage de cette femme résume toute la souffrance des familles.

Le soleil tape fort en cette journée de septembre. Les conditions difficiles de la météo n'ont toutefois pas eu raison de la détermination des familles des disparus et détenus libanais, qui ont entamé hier un nouveau mouvement de protestation susceptible de les aider à être fixés sur le sort de leurs proches. Baptisé « la permanence des familles des disparus », ce sit-in consiste à assurer, tous les jeudis de 11h à 15h, « une permanence » devant le Grand Sérail, jusqu'à ce que le gouvernement, conformément à une décision du Conseil d'État, leur remette une copie du rapport de la commission officielle chargée en 2000 par Salim Hoss, alors Premier ministre, d'enquêter sur le sort des disparus. Elle était présidée par le général Salim Abou Ismaïl.


Dès 10h, les parents commencent ainsi à affluer vers le petit jardin à Zokak el-Blatt, à quelques mètres du Grand Sérail. Ils sont vite rejoints par de nombreux défenseurs des droits de l'homme. Ce rassemblement se veut pacifique. Les forces de l'ordre en décident toutefois autrement. Vers 11h en effet, alors que les manifestants s'apprêtent à se diriger vers le Grand Sérail, les policiers qui avaient établi un cordon de sécurité dans le périmètre s'opposent férocement à la foule, lui coupant l'accès à l'aide de fils barbelés. Wadad Halawani, présidente du Comité des disparus au Liban, essaie de s'introduire en force, mais se heurte aux policiers. Le ton s'élève des deux côtés. Un policier n'hésite même pas à battre le caméraman de la chaîne MTV qui essayait de filmer la scène.
« Pour quelques instants, je me suis sentie à la frontière libano-israélienne », s'exclame Wadad Halawani, commentant l'installation des fils barbelés. « Regardez les parents ! »
poursuit-elle, montrant du doigt des personnes du troisième âge, ployant sous le poids de l'incertitude et des longues années d'attente, mais qui puisent leur force du seul espoir d'être fixées sur le sort de leurs proches. « Vous pensez vraiment qu'ils sont en mesure de déstabiliser l'ordre et de menacer la paix civile ? » se demande-t-elle.


Finalement, Wadad Halawani, Ghazi Aad, porte-parole de Solide (Soutien aux Libanais en détention et en exil), et Nizar Saghiyeh, avocat et défenseur des droits de l'homme qui suit de près ce dossier, accompagnés d'une poignée de militants, se dirigent vers le Grand Sérail où de longues négociations ont lieu avec le responsable de la garde. Ils insistent à avoir une réponse de la présidence du Conseil concernant leurs revendications. Peu avant midi, la présidente du cabinet du Premier ministre, Mirvat Itani, vient à leur rencontre et leur annonce que le président du Conseil des ministres, Tammam Salam, s'engage à leur « remettre, lundi au plus tard, une copie du rapport ». « Le dossier est vieux. Nous devons nous assurer que tous les documents y sont », précise-t-elle.

 

(Pour mémoire : Journée internationale des personnes disparues : les familles poursuivent leur combat)

 

« Notre droit... »
« Ce n'est que le début », annonce Wadad Halawani, de retour au petit jardin de Zokak el-Blatt. Le gros travail commencera dès qu'on nous remettra le rapport, ajoute-t-elle. Notre mouvement n'a pas uniquement pour objectif de prendre connaissance du document, mais de préserver le principe de la séparation des pouvoirs, la crédibilité de la justice et des institutions constitutionnelles, et notre droit à la connaissance. À travers ce mouvement, nous voulons aussi déclarer que nous nous opposons aux enlèvements et aux contre-enlèvements. »


Ghazi Aad affirme de son côté que « le rapport de la commission du général Abou Ismaïl n'est qu'un premier pas ». « Nous voulons également une copie du rapport de la commission libanaise chargée de recueillir les témoignages des familles des disparus, présidée par Fouad el-Saad, réitère-t-il. Comme nous voulons avoir accès aux informations de la commission mixte libano-syrienne qui, depuis sa formation en 2005, n'a pas publié de rapport. »
« Mon frère avait 42 ans lorsqu'il a été enlevé en 1984, raconte Neemat el-Moallem. Il était sorti de la caserne Hélou où il était en poste et n'est jamais rentré à Kab Élias. Nous n'avons jamais pu avoir de ses nouvelles. Ses enfants, deux garçons et quatre filles, ont grandi sans lui. Nous voulons être fixés sur son sort. Nous le voulons, vivant ou mort. »
« Nos proches ne sont pas des objets perdus », martèle de son côté Yousra, dont la sœur, une jeune pédiatre de 28 ans en vacances au Liban, avait été enlevée dans le périmètre du Musée avec quatre autres amis (trois femmes et un homme). « Nous ne réclamons rien à l'État, ajoute-t-elle. Nous voulons savoir ce qu'ils sont devenus. C'est notre droit. »
« Notre droit. » Un mot que répètent inlassablement, comme une litanie, les parents, dont certains attendent depuis quatre décennies de connaître le sort de leurs proches. Comme Mariam Hussein, dont le frère Khaled Mahmoud Hussein, professeur à l'école Omar Ibn el-Khattab, a été enlevé en 1976, à l'âge de 30 ans. Ou encore Awatef el-Khatib, dont le frère a été enlevé quelques jours avant son mariage le 4 septembre 1981...

 

La vigilance est de mise
Ghassan Moukheiber, rapporteur de la commission parlementaire des Droits de l'homme ayant beaucoup œuvré en faveur des familles, a rejoint les manifestants dès la première heure du sit-in. « J'ai adressé aujourd'hui (hier) une question au gouvernement au sujet de la non-exécution de la décision du Conseil d'État, assure-t-il. Je poursuis aussi la consolidation des deux textes de loi déposés au Parlement (l'un par les députés Ziad Kadri et Ghassan Moukheiber et l'autre par le député Hikmat Dib, NDLR) à ce sujet. Les familles ont droit à la connaissance. L'exécution de la décision du Conseil d'État n'est qu'un premier pas d'une longue série d'actions devant conduire au règlement du dossier. »


Nizar Saghieh se félicite de son côté de l'engagement de la présidence du Conseil à remettre le rapport aux familles. « Cela leur permet de sentir que les décisions jouent en leur faveur, affirme-t-il. On espère que cela aura un effet boule de neige pour arriver au droit à la connaissance. Nous avons également réussi à préserver une réalisation judiciaire historique qui constitue, dans le droit international, l'un des jalons vers la reconnaissance du droit à la connaissance comme principe général. Cela constitue aussi une consolidation des principes de séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice. »
Pour Nizar Saghieh, le contenu de ce rapport définira la prochaine étape. « Plus il est riche, mieux nous avancerons », insiste-t-il. « Nous devons être toutefois vigilants : le gouvernement remettra-t-il le dossier complet ? Nous craignons constamment une omission de certaines parties du dossier ou encore la dissimulation de certains documents, sachant que le Conseil d'État était clair sur ce point : le rapport doit être remis aux familles sans omission. »


Lundi prochain constituera-t-il un tournant dans le traitement du dossier des disparus et des détenus qui n'a que trop duré ? Quel qu'en soit le résultat, les familles assureront une permanence jeudi prochain, de 11h à 15h, soit pour célébrer leur première victoire, soit pour poursuivre leur pression. À suivre...

 

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Le soleil tape fort en cette journée de septembre. Les conditions difficiles de la météo n'ont toutefois pas eu raison de la détermination des familles des disparus et détenus libanais, qui ont entamé hier un nouveau mouvement de protestation susceptible de les aider à être fixés sur le sort de leurs proches. Baptisé « la permanence des familles des disparus », ce sit-in consiste à...

commentaires (1)

Dans un pays si complexe difficile de rassurer ceux qui ont perdu leurs proches vu les diverses milices qui ont disparu avec leurs responsables .

Sabbagha Antoine

16 h 04, le 19 septembre 2014

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Commentaires (1)

  • Dans un pays si complexe difficile de rassurer ceux qui ont perdu leurs proches vu les diverses milices qui ont disparu avec leurs responsables .

    Sabbagha Antoine

    16 h 04, le 19 septembre 2014

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