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Ces étés dans les garrigues

C'est l'époque où l'on redescendait de la montagne. Le dernier jour, les parents, satisfaits de voir nos joues rosies à point, gavées de soleil et de fruits, claquaient sans se retourner la porte de la maison. Bientôt les grands vents l'envelopperaient de silence. On n'aura pas fait grand-chose, ces étés-là. Beaucoup marché, sans doute, lu des romans « jusqu'à 4h », bu des litres de chocolat chaud. On enviait les Beyrouthins qui, eux, passaient l'été à la plage, nageaient comme des dauphins, plongeaient comme on s'envole et occupaient en conquérants une ville désertée. Tandis que nos petits camarades jouaient « en bas », soit dans la cour de l'immeuble dont ils faisaient inlassablement le tour à bicyclette, sous les bougainvillées qui sentaient le pipi de chat, nous usions nos genoux dans le chardon des collines. Nous nous enivrions d'essences affolées sous la chaleur, thym et menthe sauvage, sauge et épines de pin, baies de genièvre que nous écrasions entre nos doigts et qui nous explosaient au visage en éclaboussures poisseuses au parfum divin. Mais il fallait pour cela grimper aux arbres, suivre des sentiers qui souvent conduisaient vers de grands dangers, des monstres aperçus à travers les brumes vespérales et dont nous ne sommes toujours pas sûrs qu'ils aient été imaginaires. Le dimanche, ceux qui avaient une grand-mère allaient à la messe. C'était une spécialité des grand-mères que de vous conduire à la messe ou à n'importe quel autre lieu de culte, en ce « musée de survivances religieuses » (Arnold Toynbee) qu'est la Montagne libanaise. Nous plonger jusqu'à la nausée dans les vapeurs d'encens et les mélopées d'une langue disparue était une manière d'ancrer notre appartenance. En semaine, c'était à qui se lèverait le plus tôt pour entamer la petite heure de marche vers la forêt où nos raisins, fromage blanc, œufs durs et pommes de terre grillées auraient des saveurs d'un autre monde. Nous étions toujours étonnés de découvrir que malgré l'héroïsme que nous mettions à nous extraire du lit avant le lever du soleil, il y avait toujours plus matinal que nous. De vieilles dames dans leur éternelle robe noire donnant à manger à leurs poules, ou un jeune berger parlant chèvre avec un accent mouton et que ses bêtes écoutent avec ferveur. La fin de l'été nous trouvait humides de ciel, des touffes épaisses de brouillard encore accrochées à nos cheveux coupés court par commodité.
Sur les bancs de l'école, nous nous sentions un peu plus étrangers à la ville qui pourtant nous avait vus naître. Nous avions des mots différents, un accent bizarre qui n'existait pas avant les vacances. Nous ne supportions plus les murailles hérissées de tessons, les vapeurs de gasoil dans les embouteillages. Avec quel langage, quelles couleurs retenir ces souvenirs sacrés avant qu'ils ne s'effacent ? Les citadins faisaient merveille en mathématiques. Mais nous, pauvre de nous, la nostalgie faisait de nous des artistes, de futurs saltimbanques, des forts en thème qui n'avaient rien demandé.

C'est l'époque où l'on redescendait de la montagne. Le dernier jour, les parents, satisfaits de voir nos joues rosies à point, gavées de soleil et de fruits, claquaient sans se retourner la porte de la maison. Bientôt les grands vents l'envelopperaient de silence. On n'aura pas fait grand-chose, ces étés-là. Beaucoup marché, sans doute, lu des romans « jusqu'à 4h », bu des litres de...

commentaires (6)

Savoureux...

Michele Aoun

14 h 35, le 18 septembre 2014

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Commentaires (6)

  • Savoureux...

    Michele Aoun

    14 h 35, le 18 septembre 2014

  • L’été a la Corniche pour tous les gamins de Ain-El-Mraisseh… des sauts périlleux des rochers ou même du bord de la route… a cote du cabaret Ajram… puis la nage jusqu’aux Bains Jamal ou Bains Normandie, caches comme des pirates derrière les rochers pour attaquer un gamin avec sa hasqueh et la lui voler ! Puis lâcher la hasqueh en plein mer et revenir a la nage, avant de se faire prendre par les grands… revenir au point de départ, ou notre chien fidele gardait nos shorts et chemises… la montagne, nous on n’en connaissait rien du tout. C’était pour les « riches » !

    Gerard Avedissian

    12 h 37, le 18 septembre 2014

  • AH...LA BONNE VIE ! AH.. LA SAINE VIE ! AUTREFOIS... IL FUT : LE "LIBAN" !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 57, le 18 septembre 2014

  • Douce nostalgie en effet ou les premières pluies de septembre nous invitaient à plier bagages et regagner la capitale. Dommage ou sont les pluies ? Et depuis quand à la montagne on remplit des citernes d’eau pour irriguer jardin et usage au quotidien ?

    Sabbagha Antoine

    11 h 24, le 18 septembre 2014

  • Ces temps mémorables de douceur sont révolus. Il ne reste plus que le temps de la barbarie. Hélas !

    Halim Abou Chacra

    10 h 37, le 18 septembre 2014

  • ÉMOUVANT, NOSTALGIQUE, PLEIN DE DOUCEUR, DANS CE MONDE QUI A PERDU CES VALEURS, ET "CES GRAND-MÈRES" JE DIRAI, UN POT DE CONFITURE D'AUTREFOIS SUR UNE ÉTAGÉRE DE CUISINE. NOS PAPILLES DÉTÉRIORÉES SAURIONS-ELLES ENCORE SAVOURER SON GÔUT ? BRAVO GABRIEL BOUSTANY

    gabriel boustani

    09 h 35, le 18 septembre 2014

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