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Liban - Éclairage - Terrorisme

À Ersal, la schizophrénie à son comble

Un nouveau soldat menacé de décapitation par l'EI et un sous-officier kidnappé en plein jour.

À l'instar des militaires captifs retenus par les jihadistes dans le jurd, le village de Ersal est lui aussi l'otage d'une situation complexe.


Depuis les affrontements avec le Front al-Nosra et l'État islamique, et l'enlèvement de plusieurs militaires dont la libération a été conditionnée par une multitude d'exigences rédhibitoires pour l'État, ce village sunnite de 40 000 habitants, relié à la Syrie par son jurd, se trouve enlisé dans une guerre de souveraineté que mène la troupe contre les jihadistes. Ployant sous le poids socio-économique et démographique des 140 000 réfugiés syriens accueillis sur les lieux, dont quelques-uns ne sont autres que les familles des jihadistes qui mènent depuis des semaines des incursions dans le village, Ersal vit actuellement une totale schizophrénie.
Tiraillé entre ses couleurs patriotiques – le village compte 1 000 militaires qui servent dans l'armée et les FSI – et une propension à l'islamisme politique illustré par un soutien quasi aveugle à l'opposition syrienne, le village paie aujourd'hui le prix de cette duplicité.
Celle-ci s'est manifestée une fois de plus hier par le kidnapping, au niveau du barrage de Wadi Hmayyed, d'un nouveau soldat, un membre des services de renseignements de l'armée. Quelques heures plus tard, en soirée, l'État islamique menaçait de tuer un des soldats qu'il détient dans les prochaines 24 heures si les négociations de l'échange n'aboutissent pas entre-temps. Cette menace survient après un ultimatum similaire lancé avant-hier par le groupe al-Nosra qui détient lui aussi des militaires et des gendarmes.

 

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Originaire de Ersal, l'adjudant-chef Kamal Mohammad Khalil Hojeiry se trouvait dans sa ferme lorsque des éléments armées y ont fait irruption hier et l'ont amené avec eux, emportant plusieurs têtes de bovins. Les assaillants, qui étaient à bord de deux camionnettes, se sont par la suite dirigés vers le jurd de la localité.
Appartenant à une famille, les Hojeiry, ce qui théoriquement aurait pu jouer en sa faveur puisque nombre des Hojeiry de Ersal ont déjà montré patte blanche aux jihadistes et aux réfugiés syriens dans leur ensemble, le sous-officier est cependant désavantagé par son rôle au sein des services de renseignements, ce qui vient compliquer les choses.
Une source sécuritaire se demande d'ailleurs comment la ferme de la famille du soldat, située pourtant tout près d'une position de l'armée, a pu attirer, en plein jour, ces éléments armés que rien, absolument rien, ne semble pouvoir intimider.
La question est de savoir aussi qui a pu donner aux jihadistes des renseignements aussi précis sur l'emplacement de la ferme familiale du caporal et la carte d'accès aux lieux. La réponse est malheureusement facile à deviner : une partie des habitants de cette bourgade – une minorité – ne serait pas très loin de l'esprit qui anime les combattants jihadistes, encore moins de leur agenda communautaire et politique. Certains d'entre eux, notamment le fameux cheikh Moustapha Hojeiry, sont devenus en eux-même une référence « quasi officielle » pour les habitants, du fait de leurs relations privilégiées avec le Front al-Nosra. C'est désormais lui qu'il faut consulter pour les questions de logistique locale, témoigne un habitant.
D'ailleurs, en agissant en toute impunité, dit une source du village, les éléments armés veulent envoyer un message clair et ferme aux habitants récalcitrants qui consiste à les dissuader de toute tentative d'opposition à leur action.


L'exode d'une partie de la population locale n'est pas sans déplaire non plus aux jihadistes, d'autant qu'ils semblent clairement animés par l'ambition de prendre racine dans ce village, mitoyen des régions chiites qu'ils ont en point de mire. L'emplacement stratégique de Ersal et le poids de la population syrienne par rapport à la population locale n'en sont que plus significatifs à cet égard. Autant de facteurs qui viennent malheureusement conforter quelque peu les thèses évoquant les velléités d'un détachement de Ersal du reste du pays pour y créer un émirat.

 

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Un autre incident est venu embrouiller un peu plus hier l'état des lieux, mettant aux prises cette fois-ci l'armée et quelques habitants du village. Suite à l'interdiction par la troupe de laisser passer les camions transportant du mazout – vraisemblablement utilisé dans les carrières de la localité –, les habitants ont coupé la route dans un premier temps en signe de protestation.
En soirée, le mouvement de protestation a dégénéré et certains des protestataires ont tenté d'agresser les soldats au niveau du barrage de Wadi Hosn, comme précisé dans un communiqué de l'armée. Celle-ci a dû riposter, blessant l'un d'entre eux, Khaled Hojeiry.


La décision de l'institution militaire de bloquer l'accès du mazout au village est motivée par un facteur purement tactique : empêcher l'approvisionnement en fuel et en essence des jihadistes qui se préparent dès à présent à affronter les intempéries et la rudesse du relief dans le jurd, à l'approche de l'hiver. Ils ont également besoin d'essence pour leurs véhicules et leurs équipements divers. Bref des substances vitales pour ces islamistes déterminés à affronter les soldats en toutes circonstances. En soirée, une unité de l'armée postée à Wadi Hmayyed a lancé des fusées éclairantes au-dessus de leurs positions après avoir détecté des mouvements suspects. La veille, la troupe a également repoussé une tentative d'incursion des jihadistes du côté de Flita. Les accrochages ont fait plusieurs morts et blessés parmi eux.


Jour après jour, il apparaît de plus en plus clairement que la troupe est désormais engagée dans une guerre d'usure contre, d'une part, les jihadistes repliés dans le jurd, et, d'autre part, l'ambiguïté d'un tissu social à Ersal qui ne lui est pas totalement acquis.

 

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