Il fallait s'y attendre, la toute récente réconciliation interpalestinienne vacille. Le Fateh accuse le Hamas de garder le monopole à Gaza, malgré la formation d'un gouvernement d'union nationale. Et le Hamas dénonce l'interdiction de manifestations, notamment durant l'opération israélienne « Protective Edge » à Gaza, et l'arrestation de centaines de ses membres en Cisjordanie où les forces de sécurité de l'Autorité palestinienne coopèrent avec Israël. En outre, de nombreux problèmes internes, tels les salaires impayés depuis octobre 2013 des fonctionnaires gazaouis et l'assignation à résidence de centaines de membres du Fateh dans l'enclave palestinienne, ont alimenté la discorde entre les deux camps. Un cycle semble s'être installé entre les frères ennemis, ponctué de périodes d'accalmie et de violences, qui ne semblent toutefois jamais durer assez longtemps pour que les problèmes de fonds se règlent ou dégénèrent définitivement.
C'est la énième réconciliation qui a lieu entre le Fateh et le Hamas, mais l'on doute qu'elle perdure. Les deux mouvements sont-ils donc irréconciliables/inconciliables, sur le fond comme sur la forme ?
Ils sont dans un dilemme : ils sont irréconciliables sur le fond (pas sur la forme), mais sont obligés de travailler ensemble car sans cela leur pouvoir de négociation avec Israël – déjà très faible – devient presque inexistant. Pourquoi irréconciliables ? Ce qui les sépare est une donnée structurante qui affecte l'ensemble des pays arabo-musulmans : doit-on définir notre identité sur une base religieuse, ou nationale/culturelle/politique ? Cette question a commencé à être posée avec la modernisation de Mohammad Ali en Égypte au début du XIXe siècle et elle n'est toujours pas résolue. Ce choix politique et identitaire a des conséquences sur la façon dont on aborde la question palestinienne. De plus, chaque fois qu'une réconciliation est amorcée, une agression israélienne vient la torpiller car le Hamas a décidé de riposter (même s'il y a d'énormes coûts) et le Fateh de se mettre à plat ventre... donc la coalition éclate. Le fait que le Fateh se mette à plat ventre et fait toutes les concessions possibles à Israël ne découle pas du fait qu'il n'est pas religieux. Il découle des politiques occidentales de cooptation des leaders en leur faisant miroiter des avancées qui se sont avérées fictives, et en punissant ceux qui n'embarquaient pas dans leur jeu. Le Hamas n'est pas à l'abri de telles cooptations. Mais en ce moment ce sont plutôt les monarchies pétrolières qui cooptent le Hamas.
Cette réconciliation interpalestinienne est-elle nécessaire aux négociations de paix avec Israël ?
Il n'y aura pas d'avancée réelle tant que les deux mouvements n'arrivent pas à un compromis sur la façon d'aborder la paix. Donc, ça traîne, puisqu'ils n'arrivent pas à s'entendre. De l'autre côté, Israël a fait le choix de la fuite en avant : toujours plus de violence. C'est un chemin sans issue, et la question est de plus en plus posée non plus comme une lutte pour deux États, mais comme une lutte citoyenne pour l'égalité dans le cadre d'un État raciste...
Dans quelle mesure la dernière guerre à Gaza a-t-elle aidé à la rupture entre le Hamas et le Fateh et qui pointe le bout de son nez aujourd'hui ?
La guerre à Gaza a fait éclater une fois de plus les contradictions. A-t-elle épuisé le Hamas ? Pas sûr. Je crois qu'Israël non plus n'a pas encore heurté le mur qui lui fera changer de politique. Donc je m'attends, après une période d'accalmie, à d'autres flambées de violences. La seule chose qui pourra faire changer la dynamique serait un changement des politiques occidentales (USA et Otan) envers Israël. Le jour où la situation fera mal à l'Europe et aux USA, il y aura peut-être un changement. En ce moment, l'asymétrie du rapport de force est telle que la situation est bloquée. Mais le jour où elle va changer, cela risque d'être brutalement, sans préavis.
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commentaires (4)
SI CLASSIQUE, A VRAI DIRE.
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
18 h 56, le 15 septembre 2014