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Un monde de solutions (II) - Innovation

Le livre qui rend l’eau potable

Une chimiste et un graphiste ont créé ensemble un « livre buvable » destiné à combattre les maladies liées à l'eau.

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Lorsque nous songeons à des enfants en route pour l'école, peut-être nous les figurons-nous avec leur boîte à déjeuner à la main, mais certainement pas avec une bouteille d'eau contaminée. Or, selon Iddrisu Abdul-Aziz Boar, directeur de l'antenne ghanéenne de l'association WATERisLIFE, c'est pourtant ce qui se passe au Ghana, dans les districts de Tolon et de Kumbungu.
« Dans pratiquement toutes les écoles de ces districts, huit enfants sur dix apportent de l'eau contaminée à l'école, explique-t-il. La consommation d'eau contaminée provoque des maladies et accroît l'absentéisme. »


Au Ghana comme dans d'autres pays en développement, nombre d'enfants et d'adultes ignorent qu'en buvant de l'eau non filtrée, ils risquent de contracter toutes sortes de pathologies, telles le choléra, la dysenterie, l'hépatite A et la typhoïde. L'association à but non lucratif water.org estime que près de 3,4 millions d'individus meurent chaque année de maladies liées à l'eau.
Jusqu'à présent, les techniques de filtration de l'eau étaient coûteuses et relativement compliquées à mettre en œuvre. Le « livre buvable » change la donne.
«Il était essentiel de concevoir un outil de filtration de l'eau susceptible d'être adopté et utilisé par des individus et des communautés qui ont besoin d'eau potable », souligne Kristine Bender, présidente de WATERisLIFE, une association caritative basée à Edmond, dans l'Oklahoma. «Un livre est un objet précieux, qui soulève toute une palette d'émotions et de sentiments. Ce support constitue une interprétation brillante et novatrice d'un outil simple destiné à assurer un besoin élémentaire de la vie: l'eau propre.»

 

 

Nanoparticules d'argent
Mais comment un livre peut-il filtrer l'eau ?
Tout a commencé dans le laboratoire d'une chimiste. Il y a quelques années, la Dr Theresa Dankovich a créé à l'université McGill de Montréal (Canada) un filtre à eau antibactérien à partir d'un papier revêtu d'une couche de nanoparticules d'argent, un oligo-élément connu pour ses propriétés bactéricides, qui élimine les microbes responsables des maladies mortelles liées à l'eau.
Au fil de ses recherches, la chimiste s'était demandé comment elle pourrait mettre au point un filtre à eau abordable. En 2009, elle réussit à démontrer que des feuilles tapissées d'argent éliminent 99,9% des bactéries dans une «eau extrêmement polluée, comparable à des effluents domestiques». Elle parvient à obtenir une eau aussi propre que celle qui sort des robinets des grandes villes occidentales. Le filtre ne revient en outre qu'à quelques centimes et reste efficace pendant trente jours.
Après avoir amélioré le procédé en éliminant tous les composés chimiques toxiques, elle présente sa découverte dans une vidéo de trois minutes qu'elle publie sur YouTube, sans penser que grand monde y prêtera attention.

 

 

Mais Brian Gartside la voit. À l'époque, ce graphiste designer pour l'agence de publicité new-yorkaise DDB, travaille sur des campagnes conventionnelles pour WATERisLIFE. Après avoir vu la vidéo du Dr Dankovich, il lui écrit pour lui proposer de collaborer à un projet qui n'a rien de commun avec ce qu'il avait pu faire jusqu'à présent.
«L'idée du livre est née l'été dernier, lorsque Brian m'a contactée», raconte le Dr Dankovich. Elle est aussitôt séduite. Les deux inventeurs s'accordent à penser que le livre doit avoir une composante pédagogique, par le biais de messages inscrits sur chaque page. «Nous savons que si l'eau que nous buvons n'est pas propre, nous tombons malade, dit-elle. Mais pour ceux qui n'ont pas appris cette règle dans leur enfance, l'idée peut paraître saugrenue. Et s'ils n'en mesurent pas l'importance, ils ne feront rien pour assainir l'eau qu'ils consomment.»
Le papier utilisé est robuste et ressemble à du carton très fin. De couleur blanche à l'origine, il vire au jaune, puis à l'orange foncé sous l'effet des nanoparticules d'argent.
Pour imprimer du texte sur les pages, il restait à trouver une encre adaptée. «La plupart des encres d'imprimerie commerciales contiennent des composés chimiques nocifs qu'il ne faut surtout pas absorber, explique Brian Gartside. Nous avons fini par dénicher un fabricant disposé à créer une encre comestible.»
Aujourd'hui, la première page du livre porte la mise en garde suivante: «L'eau de votre village peut provoquer des maladies mortelles. Mais chaque page de ce livre est un filtre à eau qui la rendra
potable.»
Chaque feuille est divisée en deux carrés à découper selon une ligne préperforée. Sur celui du haut, le texte est imprimé en anglais, et sur celui du bas, dans la langue du pays de destination – le swahili pour le Kenya, par exemple. Avec ses vingt-quatre pages, le livre permet de filtrer l'eau pendant quatre ans.

 

 

Testé dans des ruisseaux pollués
L'été dernier, la Dr Theresa Dankovich a testé ses filtres dans un ruisseau d'Afrique du Sud pollué par des matières fécales. L'expérience a démontré que le papier argenté était tout aussi efficace hors laboratoire.
Cet été, avec des étudiants de l'université Carnegie Mellon (Pittsburgh Pennsylvanie), où elle poursuit ses recherches postdoctorales, la chimiste a rejoint l'équipe de WATERisLIFE au Ghana afin de mener de nouveaux essais sur le terrain. Il s'agissait de voir comment le livre serait accueilli par la population locale et de savoir, par exemple, s'il convenait d'intégrer davantage d'illustrations à l'intention des usagers illettrés.
Aujourd'hui, la Dr Dankovich cherche des moyens de produire le papier à plus grande échelle. Le procédé actuel, réalisé depuis quelque temps dans la cuisine d'une église de Pittsburgh, lui paraît en effet trop long et trop laborieux.
À partir de 2015, une fois que le financement et la production du livre seront assurés, WATERisLIFE commencera à le distribuer dans des villages en Haïti, au Kenya, en Inde et au Ghana. L'association espère ainsi permettre à des dizaines de milliers d'individus d'accéder à l'eau potable. L'objectif à long terme est de créer un livre pour chacun des trente-trois pays où WATERisLIFE est présent.
Le livre pourrait également intéresser des consommateurs des pays développés qui souhaitent filtrer leur eau, comme les randonneurs.
Au Ghana, Abdul-Aziz Boare attend avec impatience de pouvoir présenter le livre buvable à ses concitoyens. « La communauté sera en meilleure santé et, du même coup, plus productive. » Et surtout, ajoute-t-il, la vie des habitants sera « transformée ».

 

 

 

 

Lisez l'intégralité de notre supplément ici

Lorsque nous songeons à des enfants en route pour l'école, peut-être nous les figurons-nous avec leur boîte à déjeuner à la main, mais certainement pas avec une bouteille d'eau contaminée. Or, selon Iddrisu Abdul-Aziz Boar, directeur de l'antenne ghanéenne de l'association WATERisLIFE, c'est pourtant ce qui se passe au Ghana, dans les districts de Tolon et de Kumbungu.« Dans...

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