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Liban - Reportage

Younine, village chiite adossé au jurd de Ersal, veut en finir avec les réfugiés syriens

À Younine, dans le caza de Baalbeck, une quinzaine de tentes de réfugiés syriens ont été incendiées la semaine dernière, quelques heures après l'annonce de l'exécution du soldat Abbas Medlej, un chiite originaire de la région et enlevé à Ersal par l'État islamique le mois dernier. Jusqu'à hier soir, les réfugiés dont les tentes ont été brûlées ignoraient que faire et où aller.

C’est tout ce qui reste de la tente que ces petits réfugiés syriens ont habitée depuis qu’ils sont arrivés au Liban il y a presque un an.

Younine, village à majorité chiite avec, aussi, une petite minorité sunnite, compte 30 000 habitants. Située sur la route menant au Hermel, juste avant Laboué, la localité est adossée aux montagnes de Ersal ; elle accueillait, jusqu'à l'exécution du soldat Abbas Medlej, 1 500 réfugiés syriens. Aujourd'hui la municipalité préfère qu'ils soient logés ailleurs.

Dans la plaine de Younine, plusieurs petits campements champignons de réfugiés ont poussé depuis la guerre en Syrie. Les ouvriers saisonniers, originaires notamment de Raqqa et de Deir ez-Zor, à la frontière avec l'Irak, qui avaient l'habitude de travailler au Liban en été et de rentrer chez eux en hiver, ont décidé, avec les événements dans leur pays, de rester au Liban et d'y amener leurs familles. Hommes, femmes et enfants se sont toujours sentis en sécurité dans cette localité de la Békaa... jusqu'au samedi 6 septembre à 23 heures.

Ce soir-là, des hommes en cagoule et en treillis militaire ont mis le feu à une quinzaine de tentes dans trois campements de la localité. Fayçal, réfugié syrien et père de trois enfants, montre sa tente réduite en cendres. Frigo, télévision, réchaud à gaz, matelas, couvertures et vêtements sont partis en fumée.
Avec ses camarades, il raconte ce qui s'est passé. « Tout était normal ce soir-là. Il y avait même, comme à l'accoutumée, à proximité de nos campements des patrouilles de la municipalité et de l'armée. Puis, nous avons entendu des coups de feu et des cris. Et nous avons vu des tentes brûler dans le campement voisin. Femmes, enfants et nombre d'hommes ont pris la fuite. Ils se sont réfugiés sous les arbres », dit-il montrant les collines entourant la plaine. « Je suis resté avec trois autres hommes du campement. Je voulais protéger nos tentes. Nous en avons trente-cinq », poursuit-il.
« Puis des voitures 4 x 4 de couleur sombre se sont garées à l'entrée de notre campement, des hommes en treillis militaire et cagoule portant des armes automatiques en sont descendus. Ils ont roué de coups l'un de nous. Ils n'ont dit aucun mot. Ils ont tiré dans tous les sens et ont mis le feu à cinq tentes et détruit une sixième en y roulant dessus avec leurs véhicules . Notre voisin libanais, propriétaire de la station d'essence, est accouru pour tenter de nous protéger, mais il n'a rien pu faire », indique-t-il.

 

(Lire aussi : Derbas à « L'OLJ » : Les camps, une idée à l'état brut, dans l'attente d'un financement...)

 

« Nous dormons à même le sable... »
Ibrahim, qui a également perdu sa tente et qui est père de six enfants, indique : « Nous n'avons plus rien, ni matelas, ni couvertures, ni vêtements, ni télévision. Nous n'avons même plus de quoi manger. Nous nous endettons à l'épicerie voisine pour acheter du pain. Les propriétaires du magasin ont été gentils avec moi, ils m'ont donné une chambre en construction avec quelques matelas et des couvertures que je partage avec mon neveu dont la tente a également brûlé. L'épouse de ce dernier rentrait le jour de l'incident de l'hôpital où elle venait d'accoucher, elle a fui avec le nouveau-né entre ses bras... Nous sommes une vingtaine dans une même pièce. » « Dans ma tente, j'avais deux kilos de sucre, un réchaud, une bonbonne de gaz..., là je n'ai même plus de quoi me faire un thé », ajoute-t-il.

(Lire aussi : Au Sud, les réfugiés syriens interdits de circuler le soir)


« Nous dormons à même le sol, dans le sable, nous n'avons plus rien et personne ne nous a aidés jusqu'à présent, que ce soit pour nous donner des bâches ou des couvertures. Nous n'avons plus d'eau, ils ont détruit les réservoirs en tirant dessus », souligne Mohammad qui a envoyé ses dix enfants et son épouse dans un campement de réfugiés de Qaa, où il a de la famille. On rapporte également que dans un autre campement de la localité, le propriétaire libanais du terrain où les tentes avaient été plantées a empêché les miliciens d'y pénétrer.

Dans le camp voisin, quatre tentes ont été brûlées. Ahmad dont la tente a été réduite en cendres estime les dégâts. « J'en ai pour au moins 500 dollars : la bâche, le bois, la télévision, le réchaud... J'ai envoyé ma femme et mes enfants dans un autre campement pour quelques jours. Là, ils viennent de rentrer », dit-il, montrant une femme entourée d'enfants et portant un nourrisson de trois kilos, âgé de trois mois.
En face de ces deux campements se trouve l'épicerie qui vend du pain et des biens de consommation à crédit aux réfugiés syriens et la station d'essence dont le propriétaire a essayé en vain d'empêcher la destruction des tentes.

« C'est comme si on brûlait ma propre maison »
Turkié est la propriétaire de l'épicerie et de la petite chambre en construction donnée à Ibrahim et sa famille ; la station d'essence appartient à son fils. La famille libanaise vit à l'étage, au-dessus de son fonds de commerce. Turkié, mère de sept enfants et deux fois grand-mère, précise : « Ces Syriens travaillent dans nos champs depuis quinze ans. Leurs tentes ont brûlé, ils n'ont plus de toit au-dessus de la tête. Il est de notre devoir de les aider...Ça m'a attristée de voir les hommes en cagoule brûler les tentes et tirer sur le campement... C'est comme si on avait brûlé ma propre maison. Mon fils a tenté d'intervenir, mais il a été roué de coups. »

 

(Lire aussi : Les réfugiés syriens personae non gratae dans des localités chiites de la Békaa et du Sud)


Turkié comme son fils, tout comme la municipalité et tous les habitants du village « ignorent » qui sont ces « inconnus » qui ont mis le feu aux tentes des réfugiés syriens et se contentent de répondre quand on leur pose la question : « Ce sont des inconnus, ils cachaient leur visage sous une cagoule. »
Joint au téléphone par L'Orient-Le Jour, le président du conseil municipal, Mohammad Fakhreddine, indique que « les individus qui ont brûlé les tentes syriennes sont étrangers au village et n'ont pas pu être identifiés. L'incendie des tentes était une réaction à l'exécution du soldat Abbas Medlej, enfant du caza de Baalbeck ». Et d'ajouter que « les tentes brûlées étaient complètement vides et abandonnées ».

Le conseil municipal de Younine compte dix-huit membres dont les deux tiers font partie du Hezbollah, le autres étant affiliés au mouvement Amal. Les portraits de cinq miliciens hezbollahis originaires du village, tués alors qu'ils combattaient en Syrie, ornent les rues.

« En 2006, nous sommes rentrés chez nous rapidement »
Hassan est policier municipal ; il compte « les martyrs » en citant leur prénom, tous des jeunes hommes qu'il connaissait. Il montre la montagne aride en face : « Voilà le jurd de Ersal. Quelques jours avant les combats entre l'armée et l'EI, des miliciens du Hezb s'y étaient battus contre les jihadistes Quatre des nôtres ont été tués et deux autres pris en otage », dit-il. Hassan, comme nombre d'autres Libanais, rêve de voir son village se vider des réfugiés syriens. « Il y a un couvre-feu. Les réfugiés ne peuvent pas sortir de leur campement après le coucher du soleil. Et encore, il y a de plus en plus d'incidents... Des Libanais qui s'en prennent aux réfugiés . Soit ils les tabassent, soit ils saccagent leurs mobylettes... Ras le bol. Il faut que l'État agisse, qu'il installe les Syriens dans des camps sécurisés et qu'on en finisse. Plus personne ne veut d'eux », se plaint-il.
« Durant la guerre de 2006, nous nous sommes réfugiés en Syrie... pour un mois et demi seulement et nous sommes bel et bien rentrés chez nous. Les Syriens sont là depuis trois ans, ils profitent de toutes les aides. Et il ne semble pas qu'ils veuillent partir de sitôt », martèle-t-il.

 

(Lire aussi : À Bourj Hammoud, les Syriens « de première génération » dans l'expectative)


Si les habitants de Baalbeck et particulièrement la communauté chiite du caza ne voient pas vraiment les Syriens d'un bon œil, les mettant tous dans le même panier, pourquoi donc les membres du Hezbollah se battent-ils en Syrie ? Hassan sourit, répond sans hésiter : « Pour protéger le Liban du danger de l'État islamique. »
Hassan se demande quand est-ce que le cauchemar finira et confie : « Nous avions des touristes. Des personnes qui venaient de Beyrouth pour la chasse. D'autres nous commandaient des provisions pour l'hiver, nos produits du terroir, kecheck, makdous, confiture... Cette année personne n'est venu à cause de la situation. L'année dernière non plus. Le souk de Baalbeck est vide. » Le trentenaire maudit « les Syriens, l'EI et les habitants de Ersal... ».
Pourra-t-il un jour revivre normalement avec les habitants de Ersal, ses voisins libanais ? « Bien sûr que non », s'emporte-t-il. Il marque une pause et se ravise : « Oui, peut-être. Lors des combats à Ersal, j'ai appelé un homme originaire de la localité ; j'avais l'habitude de lui acheter des pierres de taille pour la construction. Je lui ai dit que s'il voulait fuir son village, il pouvait venir chez moi, rester autant qu'il voudrait... »

Les Libanais n'ont probablement rien appris de leur guerre civile. Après les chrétiens et les musulmans, les maronites et les druzes, aujourd'hui c'est au tour des sunnites et des chiites de se maudire et de se détester.
Pour se réconcilier un jour avec des séquelles... Mais inévitablement.

 

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Younine, village à majorité chiite avec, aussi, une petite minorité sunnite, compte 30 000 habitants. Située sur la route menant au Hermel, juste avant Laboué, la localité est adossée aux montagnes de Ersal ; elle accueillait, jusqu'à l'exécution du soldat Abbas Medlej, 1 500 réfugiés syriens. Aujourd'hui la municipalité préfère qu'ils soient logés ailleurs.Dans la plaine de...

commentaires (2)

Chez nous, beaucoup de résidents libanais n'ont pas les moyens de se payer : ni tente, ni surtout: frigo, télévision, réchaud à gaz, matelas, couvertures etc., etc. Alors que ces "réfugiés" au culot immense rentrent dans leur pays, et vite ! Irène Saïd

Irene Said

15 h 08, le 12 septembre 2014

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Commentaires (2)

  • Chez nous, beaucoup de résidents libanais n'ont pas les moyens de se payer : ni tente, ni surtout: frigo, télévision, réchaud à gaz, matelas, couvertures etc., etc. Alors que ces "réfugiés" au culot immense rentrent dans leur pays, et vite ! Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 08, le 12 septembre 2014

  • Puisque, de toute façon, ils vivent dans des tentes et dans des conditions dramatiques, qu'ils retournent dans leur pays, dresser une nouvelle tente en attendant de reconstruire leurs maisons. Au moins, ils seront chez eux.

    NAUFAL SORAYA

    07 h 32, le 12 septembre 2014

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