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À La Une - Témoignage

Un soldat irakien, survivant d'un massacre de l'Etat islamique à Tikrit, raconte

"Nous étions plus de 800 dans une grande salle. Nous n'avions pas d'eau, pas de nourriture. Ils ont versé une bouteille d'eau sur nous et ri quand certains ont ouvert la bouche pour attraper une gorgée".

Une photo non datée de combattants de l'Etat islamique en Irak. Photo AFP

En juin, près de Tikrit, dans le nord de l'Irak, 800 soldats irakiens sont répartis en lignes de dix hommes par les combattants de l'Etat islamique (EI), interrogés à la va-vite et abattus. A l'aube, il ne restait que 20 survivants, témoigne l'un d'entre eux, Mohamed Madjoul Hamoud, 24 ans, rencontré dans sa ville d'origine à Diouaniya, à trois heures de route au sud de Bagdad. Il a raconté à Reuters ce massacre qui a bouleversé l'Irak et dont les combattants de l'EI se sont vantés sur internet.

Mardi dernier, une centaine de proches des disparus ont envahis le parlement irakien pour réclamer des nouvelles des disparus, près de trois mois après les faits.

(Repère : Tout ce qu'il faut savoir sur l'Etat Islamique)


Si Hamoud a été épargné par les ultra-radicaux sunnites de l'EI, qui s'appelait à l'époque Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, ou Daech en arabe), c'est parce qu'il a prétendu être un bédouin sunnite.
Le jeune homme faisait partie d'un détachement de 1.500 militaires qui venaient tout juste de recevoir une formation de base. Quand il est apparu que l'Etat islamique avançait, le groupe a été envoyé à la base aérienne d'Al Sahra, près de Tikrit, encore appelée Camp Speicher d'après le nom d'un pilote américain.

Respirant difficilement parce qu'il a été battu, Mohamed Madjoul Hamoud parle de trahison de ses chefs. D'abord, dit-ils, les nouvelles recrues comme lui n'avaient pas reçu d'arme à feu pour combattre les djihadistes qui approchaient. Ensuite, dit-il, les chefs leur avaient promis de pouvoir sortir en sécurité quand le 11 juin, l'EI a pris Tikrit, ville d'origine de l'ex-dictateur Saddam Hussein, pratiquement sans combattre.

Face contre terre

"Si nous avions eu des armes, personne n'aurait pu capturer Speicher, Tikrit ou les autres endroits proches. Nous étions 4.000 et aucune force n'aurait pu nous affronter. Mais nous avons été vendus et trompés", affirme Hamoud.
Le commandant de la province, le général Ali al Freidji, a dit aux soldats qu'un accord avait été conclu avec les tribus locales pour permettre aux militaires de quitter les lieux, racontent Hamoud et deux autres soldats. "Nos chefs nous ont confirmé que la route était sûre, protégée par les tribus, et demandé de ne pas porter de vêtements militaires. Ils nous ont vendus à l'Etat islamique", raconte Hassan Khalil Chalal, qui a échappé au massacre en faisant le mort, caché sous un cadavre.
Les autorités irakiennes démentent. Selon elles, il n'y a pas eu de promesse de sortie sécurisée. Elles accusent les recrues sans armes d'avoir quitté la base, qui était sûre, malgré l'ordre de rester qui leur avait été donné. Le général Freidji est parti et, le jour suivant, le 12 juin, les hommes des tribus sunnites sont entrés dans la base pour escorter les recrues.

(Lire aussi : Dans le monde du jihad, el-Qaëda menacée par l'État islamique)


"Les tribus nous ont assuré que nous étions sous leur protection et que nous allions à Samarra", une ville vers le sud, raconte Hamoud. Quand les soldats atteignent l'université, leur escorte tribale leur ordonne de se coucher face contre terre. Ils sont menottés.
"Quiconque bougeait ou relevait la tête recevait une balle", raconte Hamoud. Du sol, il voit une femme s'approcher. Il espère qu'elle va faire honte aux hommes armés qui les maintiennent au sol. Au contraire, elle les encourage.

"Chiens chiites"

"Elle a dit à un membre de tribu : 'je sais que tu es un homme bon, un bon musulman courageux. Je te demande de ne pas laisser ces chiens chiites vivants; tue-les tous' et elle l'a embrassé sur la tête", raconte Hamoud.

Des voitures se sont arrêtées, des gens ont poussé des acclamations à la vue des soldats capturés. La haine pour le gouvernement chiite et l'armée a trouvé son terreau dans les villes sunnites délaissées par le pouvoir central comme Tikrit. Les hommes demandent aux prisonniers de se débarrasser de leurs chaussures, chaussettes, bagues, portefeuilles et papiers d'identité. Un homme couché à côté de Hamoud qui tente de dissimuler une bague est tué.

Les soldats sont remis aux combattants de l'Etat islamique qui les emmènent vers les anciens palais de Saddam Hussein où on leur bande les yeux avant d'être exécutés.
L'EI, qui a diffusé une vidéo et des photographie des tombes sur internet, dit avoir tué 1.700 prisonniers. L'organisation de défense des droits humains Human Rights Watch dit avoir des renseignements concernant la mort de 560 à 770 soldats tout en estimant que le total est plus élevé.

(Lire aussi : Les Etats-Unis en "guérilla" sur Twitter contre l'Etat islamique)


"Nous étions plus de 800 dans une grande salle. Nous n'avions pas d'eau, pas de nourriture. Ils ont versé une bouteille d'eau sur nous et ri quand certains ont ouvert la bouche pour attraper une gorgée", raconte Hamoud. Les combattants de l'EI ont assemblé les prisonniers en groupes de dix. Ils doivent donner leur rang et le nom de leur unité.

Accent bédouin

"Ils ont menotté et bandé les yeux de ceux qu'ils prenaient et leur ont donné un peu d'eau à boire. Ensuite, nous avons entendu 'Dieu est grand' et des tirs", dit Hamoud.
Dans le groupe de Mohamed Madjoul Hamoud, il y a son frère Kamil et quatre de ses cousins. Quand c'est à son tour de se lever pour être emmené et exécuté, il dit : "Pouvez-vous me donner un peu d'eau?", en prenant un accent bédouin. On lui demande alors d'où il vient. Il improvise, dit qu'il appartient au groupe des Choummar, une grande tribu dont les membres sont ou chiites ou sunnites et qu'il vient de Baidji, une ville sunnite vers le nord. Toujours pour cacher son appartenance au chiisme, il dit s'appeler Bandar. Il est sorti du rang alors que son frère et ses cousins sont emmenés à l'extérieur où les autres soldats ont été exécutés.

"Ils m'ont menotté et bandé les yeux et m'ont fait asseoir", raconte-t-il. Sans nouvelles de son frère et de ses cousins, il garde espoir qu'ils aient pu échapper à la mort. Vers l'aube, les tirs ont cessé. Dans la pièce où il y avait des centaines de soldats, ils ne sont plus que 20. Un homme à l'accent saoudien commence à les bombarder de questions pour vérifier qu'ils sont bien musulmans sunnites. Hamoud explique qu'en tant que bédouin, il n'a pas l'habitude de prier. Ceux qui sont considérés comme menteurs sont sommairement abattus. Le groupe de Hamoud se réduit à 11.

Au bout de quelques jours, le site est touché par un missile. Le lustre dans la pièce vole en éclats. Deux hommes tentent de s'échapper. Hamoud desserre ses menottes. Par la fenêtre, il voit les deux soldats se faire tirer dessus. Il réajuste ses menottes.

(Lire aussi : La menace jihadiste devient la priorité numéro un des monarchies du Golfe)


Finalement, au dixième jour de sa captivité, un combattant de l'EI leur annonce qu'ils sont libres. Un de ses gardes lui dit : "Toi, le bédouin : dis à ton peuple que nous ne faisons pas de mal aux sunnites et que nous vous avons donné de la bonne nourriture, de l'eau et tout ce qui était nécessaire."

Le jour suivant, six d'entre eux sont escortés jusqu'à une maison où ils sont interrogés par un dernier comité. "Ils m'ont demandé si je faisais ma prière tous les jours. J'ai dit non. L'un d'entre eux m'a dit : 'prenez-le et apprenez-lui comment prier'. Ils m'ont tiré parce que j'étais trop faible pour marcher et ont commencé à me battre", raconte Hamoud.

Les 11 rescapés sont conduits à un point de contrôle avec un numéro à appeler en cas d'arrestation à un barrage de l'Etat islamique. Terrifiés, ils parviennent à un village où l'un d'entre eux a des amis.

Mohamed Madjoul Hamoud n'ose pas appeler sa famille de crainte que les autres soldats, qui sont sunnites, ne découvrent qu'il est chiite. Il entend le fermier parler de lui aux autres. Il dit : "Je pense que Bandar est chiite et pas sunnite mais, par Dieu, je le protègerai plus que mes propres fils."
Le jour suivant, Hamoud avoue être chiite et appelle son père. Celui-ci demande à parler au fermier qui dit : "je le protègerai et le considèrerai comme un de mes fils."


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En juin, près de Tikrit, dans le nord de l'Irak, 800 soldats irakiens sont répartis en lignes de dix hommes par les combattants de l'Etat islamique (EI), interrogés à la va-vite et abattus. A l'aube, il ne restait que 20 survivants, témoigne l'un d'entre eux, Mohamed Madjoul Hamoud, 24 ans, rencontré dans sa ville d'origine à Diouaniya, à trois heures de route au sud de Bagdad. Il a...

commentaires (2)

Et pendant ce temps gwbush continue a se faire des bbq et a se souler la gueule au Jack Daniels dans son ranch . S'il y a une justice dans ce monde , il devrait finir ses jours derriere les barreaux .

FRIK-A-FRAK

11 h 05, le 07 septembre 2014

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Commentaires (2)

  • Et pendant ce temps gwbush continue a se faire des bbq et a se souler la gueule au Jack Daniels dans son ranch . S'il y a une justice dans ce monde , il devrait finir ses jours derriere les barreaux .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 05, le 07 septembre 2014

  • On dirait que c'est du roman, ce récit. Pas aussi crédible que celui du soldat "Ali Hussein Kadhim" (Kazem), publié en vidéo le 4/9 par The New York Times. Ce soldat faisait également partie de quelques milliers de recrues chiites envoyées à la hâte à la mort par Nouri el-Maliki, face aux barbares de Daech, au nord de Baghdad. Par miracle la balle tirée par le monstre de Daech n'atteint pas sa tête qui ne vole pas en éclats comme celles de centaines de ses camarades. Il simule un long moment le mort entre les cadavres. Les assassins s'éloignent et alors il fuit. Au bout de son odyssée, il est aidé par des sunnites, déjà libérés sans doute de la haine plus que millénaire entre sunnites et chiites et que le récit ci-dessus illustre bien. Cette haine monstrueuse, assassine, odieuse des hallucinés de Daech vient d'égorger dans le jurd de Ersal le brave soldat de notre armée, Abbas Medlej !

    Halim Abou Chacra

    06 h 26, le 07 septembre 2014

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