Le Vatican veut prendre des initiatives pour les chrétiens de la région, et du Liban en particulier, mais il ne sait pas exactement quoi faire dans ce climat de divisions internes. C'est ce qui ressort des échos parvenus à des personnalités chrétiennes qui ont eu récemment l'occasion de s'entretenir avec des autorités religieuses. Visiblement, le Vatican souhaite appuyer tout ce qui peut renforcer la présence chrétienne au Liban et dans la région, mais la situation complexe dans la région ainsi que le climat d'intolérance qui est en train de se développer constituent, pour lui, une grande entrave. C'est pourquoi il ne rate pas une occasion de transmettre des messages clairs sur l'importance de la présence chrétienne dans la région et sur le rôle des chrétiens au Liban en particulier. C'est dans cet esprit que le nonce apostolique et Mgr Samir Mazloum ont participé samedi dernier à la célébration du tricentenaire de l'arrivée de la première famille maronite à Hammana, dans le Metn-Sud, au domicile de l'ancien ministre et descendant de cette famille, Abdallah Farhat, et en présence de près de 500 notables de la localité.
Pour la petite histoire, cette famille était venue de Hadchit dans le caza de Bécharré. L'archiprêtre de Hadchit voulait se rendre à Zahlé et en chemin, il s'était arrêté à Hammana, où il a passé trois nuits chez les Mezher (notables druzes du village). L'archiprêtre a trouvé l'endroit superbe, mais il s'était désolé de voir de vastes étendues de terres délaissées, livrées aux ronces et aux broussailles. Il avait alors proposé aux Mezher de conclure un accord par lequel il fournissait la main-d'œuvre pour la culture des terres, à condition de partager les récoltes et de se faire construire une église, l'église Saint-Raymond (il y en a deux au Liban, la première à Hadchit et la seconde à Hammana) et une maison pour abriter ses sept fils. La famille de l'archiprêtre s'est ainsi installée à Hammana et elle n'a cessé de se développer, comptant aujourd'hui près de 10 000 personnes, qui fonctionnent comme un véritable clan (il faut préciser que Hammana compte près de 25 000 habitants). L'histoire a plu au nonce apostolique, surtout qu'elle remonte à l'époque où la présence chrétienne se développait et s'étendait dans toutes les régions du Liban, alors qu'aujourd'hui, elle est en train de se réduire dans la région, mais aussi au Liban...
L'histoire de l'archiprêtre de Hadchit qui s'est installé à Hammana et y a fondé la communauté chrétienne qui forme aujourd'hui la grande majorité des habitants de la bourgade a donc séduit les représentants du Vatican et de l'Église catholique, surtout que la cérémonie arrive à point pour tenter de redonner le moral aux chrétiens et pour leur insuffler la volonté de construire et de consolider leur présence dans la région.
Selon des sources proches du Vatican, celui-ci est donc très inquiet de ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient et il pense que le Liban devrait jouer un rôle plus grand dans l'accueil et la protection des chrétiens contraints de fuir leurs villes et villages. Certains responsables au Vatican vont même encore plus loin, considérant que le Liban pourrait préparer des structures d'accueil aux chrétiens qui ont fui Mossoul et la plaine de Ninive, au lieu de laisser ceux-ci livrés à eux-mêmes et contraints d'émigrer dans des régions lointaines, comme l'Australie. Au Liban, ils se sentiraient moins déracinés et pourraient revenir chez eux dès que la situation se serait stabilisée. De plus, ces mêmes responsables du Vatican seraient convaincus qu'il est impératif de préserver toutes les minorités dans la région pour pouvoir protéger la présence chrétienne. C'est dans ce sens que l'approche du leader druze Walid Joumblatt de considérer que les druzes et les chrétiens sont en train de disparaître de la région doit être prise au sérieux, selon les dignitaires religieux chrétiens. Le problème, selon ces dignitaires religieux, c'est que les deux camps rivaux au Liban utilisent la persécution dont sont victimes les minorités dans la région pour justifier leur propre attitude politique. Les chrétiens du 8 Mars par exemple voient dans cette persécution la justification de leur alliance avec la minorité chiite et les chrétiens du 14 Mars estiment au contraire qu'elle montre l'importance de s'allier à la grande majorité sunnite pour se protéger. Par cette attitude, les chrétiens des deux camps sont en train d'alimenter le conflit, estiment les dignitaires religieux, et d'approfondir le fossé entre les deux grandes formations libanaises, les communautés sunnite et chiite, sachant que si la discorde entre chiites et sunnites devait éclater, les chrétiens en seraient les premières victimes, en tant que maillon faible.
Selon les sources proches du Vatican, ce dernier aurait donc souhaité que les chrétiens ne soient pas rattachés à un camp ou à un autre, pour avoir leur place dans le compromis à venir entre les sunnites et les chiites par le biais de l'Arabie saoudite et de l'Iran. S'ils continuent à être à la traîne, ils n'auront que les miettes du compromis, dont les principaux avantages iront aux communautés sunnite et chiite.
Les sources proches du Vatican précisent aussi qu'il faut cesser de faire assumer aux chrétiens la responsabilité du blocage politique et notamment de la vacance à la tête de la République. Ces sources affirment que le Vatican est convaincu que la présidence libanaise fait partie d'un vaste « package » régional et que par conséquent, les positions des parties chrétiennes libanaises et leurs divisions ne sont que la partie visible de l'iceberg. Leur faire assumer la responsabilité du blocage vise donc à démoraliser et à discréditer la communauté, sachant que « la clé de la présidentielle » est ailleurs...
Liban - Décryptage
Éviter l’alignement des chrétiens sur un camp ou sur un autre, une priorité pour le Vatican
OLJ / Par Scarlett HADDAD, le 03 septembre 2014 à 00h00
commentaires (11)
"PAUVRE" VATICAN, DU FAIT DE CE LIBAN !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
01 h 35, le 05 septembre 2014