À l'image de ce soldat libanais décapité qui attend les tests ADN pour être rendu aux siens, l'entité proclamée le 1er septembre 1920 sur le perron de la Résidence des Pins a bien des difficultés à se reconnaître elle-même 94 ans après, tant sont nombreux ceux qui s'évertuent à la mutiler...
Mais à la différence du soldat, il n'y aura guère de test ADN pour déterminer si le Liban pourra un jour ressembler encore au Liban ou si ses nombreuses dérives l'ont emporté loin de ses anciens rivages.
Cet océan de noirceur dans lequel on cherche assidument à plonger le pays renferme pourtant quelques petites notes d'espoir. Ainsi, par exemple, près d'un siècle après la proclamation du Grand Liban, c'est une personnalité sunnite – en l'occurrence la députée Bahia Hariri – qui préside de nos jours le comité en charge des célébrations prochaines du centenaire : tout un symbole quand on sait combien la création du Grand Liban avait suscité de ressentiments, sinon d'hostilité, au sein de l'establishment sunnite de l'époque.
Mais c'est à peu près l'unique aspect positif qu'on est en mesure d'observer ces jours-ci sur le plan de l'évolution tant des rapports interconfessionnels au Liban qu'entre chacune des confessions et l'entité libanaise. À l'heure actuelle, le pays vit au rythme sectaire que lui imposent les organisations terroristes et semble hélas être disposé à s'y adapter.
Après avoir libéré ses otages militaires sunnites, le Front al-Nosra, qui détiendrait encore 18 soldats et policiers, s'orienterait, à en croire certaines informations puisées de bonne source, à en faire de même avec ses autres otages chrétiens et druzes, pour ne laisser entre ses mains que les chiites, au nombre de quatre.
Le but d'al-Nosra est clair : il s'agit pour lui de suggérer que son combat ne vise que le Hezbollah et plus spécifiquement la participation de cette formation à la guerre en Syrie.
Pour ce qui est de l'autre preneur d'otages, « l'État islamique » (EI, ex-Daech), il ne semble guère qu'il soit parvenu, à ce stade, à ce genre de subtilités. Ses plans en ce qui concerne les 11 otages qu'il détiendrait, tous des soldats, sont parfaitement inconnus et l'on ne présage rien de bon à leur propos.
Ce qui complique les choses dans ce dossier, ce sont d'abord les réactions confessionnelles très primaires que ces développements ont fait resurgir au niveau de la rue et dans les conversations de tous les jours et, deuxièmement, les surenchères entretenues par certains milieux politiques, notamment au sein du 8 Mars, qui jouent depuis fort longtemps sur la fibre identitaire.
Ainsi en est-il de l'insistance de certains responsables dans ces milieux à vouloir suggérer, à tort semble-t-il, qu'un bazar est en cours de négociation et qu'il consisterait à échanger les otages militaires contre des détenus islamistes (sunnites) déjà condamnés. Un pan de l'opinion a manifestement cru à la véracité de ce scénario et l'on a vu hier des gens manifester pour réclamer la libération de tous les prisonniers détenus à Roumieh, et pas seulement des (islamistes) sunnites !
Mais ce scénario est faux, affirme-t-on de plusieurs sources concordantes. Il est vrai qu'après les dernières remontrances des parents d'otages, l'État, confronté à un terrible dilemme dans cette affaire, se montre davantage disposé à assouplir sa position et à discuter, mais pas au point de livrer des condamnés. Tout au plus serait-il disposé à réviser le cas de certains individus arrêtés dans le cadre des récents troubles de la région de Ersal et d'autres qui n'ont pas encore été jugés.
Surtout, les autorités seraient enclines à hâter le jugement de la masse des islamistes détenus, mais il reste à savoir si ces mesures seront suffisantes pour amadouer les preneurs d'otages, dont on ne connaît pas véritablement les objectifs.
Et en attendant d'en savoir davantage, la République libanaise poursuit, elle, son chemin vers la déliquescence. Une onzième séance de la Chambre est prévue aujourd'hui pour élire un président de la République, mais elle connaîtra probablement le sort des rendez-vous précédents : pour les députés boycotteurs, il semble qu'il n'y a toujours pas péril en la demeure.
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commentaires (9)
TRÈS CLAIRVOYANT !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 42, le 05 septembre 2014