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Liban - Patrimoine

Deir el-Qamar célèbre le 150e anniversaire de sa municipalité

Une plongée dans l'histoire de la Cité des émirs, première localité du Liban et du monde arabe à se doter d'une municipalité.

Palais de l’émir Youssef Chéhab, siège de la municipalité de Deir el-Qamar.

Après les douloureux événements de 1860 et plus particulièrement ceux de Deir el-Qamar où plus de 2 000 habitants ont péri sous le joug des Ottomans et de leurs alliés, une commission diplomatique européenne, dite Commission internationale, se réunit du 5 octobre 1860 au 4 mai 1861, tout d'abord à Beyrouth puis plus tard sur les rives du Bosphore, et consacre 29 séances pour déterminer principalement les indemnisations aux sinistrés.
Deux délégués sont désignés par la Commission pour évaluer les pertes en vies et en biens de la Cité des émirs : Izzat Effendi pour les musulmans et le père Badour pour les chrétiens. Devant le grand écart des estimations des délégués et la mésentente entre eux, la France, mais aussi l'Angleterre, la Prusse, l'Autriche, la Russie et plus tard l'Italie exigent de la Sublime Porte le règlement définitif du problème libanais.
Leurs gouvernements respectifs décideront avec Fouad Pacha, ministre ottoman des Affaires étrangères, d'un nouveau gouvernement régi par un « Règlement organique » qui fera du Mont-Liban « stricto sensu » une province ottomane autonome.
Autonome, mais amputé de Beyrouth et de son port, de la Békaa, de Tripoli et de Saïda, le « petit Liban » d'alors continue à relever de la Sublime Porte. À sa tête, un moutassarrif, Daoud Pacha (1864-1868), sujet ottoman, chrétien, mais ni maronite ni originaire de la Montagne, prend pour résidence principale la ville de Deir el-Qamar qui redevient ainsi la capitale du Liban.


Dans les délibérations préparatoires au règlement de la Montagne, il est question d'une organisation municipale, destinée à préserver « les intérêts de chacun des groupes principaux du Liban ». Étant donné les nombreux problèmes à régler, il n'est resté aucune trace concrète de cette intention dans les dispositions promulguées.
Deir el-Qamar refuse obstinément cette situation et, à défaut de textes, la ville prend l'initiative de reproduire l'organisation municipale des wilayas de l'empire ottoman.
Les Ottomans exerçant une surveillance constante sur tout mouvement populaire, l'application de cette réforme majeure ne peut s'effectuer que par étapes progressives. Par une initiative habile et prudente, Daoud Pacha décide que le conseil municipal soit constitué d'un comité « nommé » par ses soins et non élu par le peuple. En conséquence, le décret promulgué le mercredi 31 août 1864 consacre officiellement cette première municipalité du Liban qui reste toutefois sous la tutelle du majlis.
La traduction du texte arabe est la suivante : « Pour réfléchir aux raisons, moyens et mesures à prendre pour la restauration et la propreté du territoire de la ville de Deir el-Qamar, et afin de nous soumettre ses réflexions, il a été décidé de constituer une commission nommée conseil municipal qui inclut des membres influents de la ville. Ont été désignées sept personnalités dont les noms sont mentionnés ci-après : Béchara Bou Ghandour, Melhem Eid, Chahine Abou Nahhoul, Habib Merhej, Habib el-Jaouich, Antoun Khaled et Ibrahim Hobeika. Les membres de ce conseil resteront sous l'autorité de Abdallah Agha, responsable de la ville... Le 28 rabih Ier de l'an 1281 ».


Selon les us et coutumes de l'époque, le premier nom d'une liste la préside. Ainsi donc, Béchara Bou Ghandour, principal notable de la famille Nehmé et figure importante parmi les habitants de Deir el-Qamar, devient le premier président « nommé » du premier conseil municipal constitué au Liban et dans le monde arabe, et dont nous célébrons en ce mois d'août 2014 le cent cinquantenaire.
L'instauration de ce conseil municipal représente un événement majeur révolutionnaire et constitue un fait remarquable de l'histoire du Liban et de tout le Moyen-Orient.


Trois ans plus tard, après que ce conseil a fait ses preuves de gestionnaire et réalisé les projets et infrastructures auxquels aspiraient les habitants de la ville, Daoud Pacha décide que le nouveau conseil municipal de Deir el-Qamar sera « élu » par les habitants. Ainsi, le 8 août 1867, la ville de Deir el-Qamar devient la première ville du Liban et de tout l'Orient à bénéficier d'un conseil municipal élu. Il est présidé par Nader Bou Acar, également membre de la famille Nehmé.
Bou Acar était préparé à cette haute responsabilité puisque, déjà en 1860, il avait été désigné par le général Beaufort d'Hautpoul, chef de l'expédition française au Liban, afin de rétablir l'ordre et le calme à Deir el-Qamar et d'en assurer la bonne gestion. De réputation irréprochable, homme de conviction et d'autorité, il signe avec les notables de la localité le pacte de soulèvement populaire contre Ibrahim Pacha et s'engage à le combattre jusqu'à l'évacuation totale des troupes égyptiennes du Liban.


En 1870, le troisième conseil municipal est de nouveau présidé par un membre de la famille Nehmé : Ibrahim Adib, oncle du président de la République, feu Camille Nemr Chamoun, et père d'Adib Auguste Bacha Nehmé qui occupa le poste de Premier ministre dans le premier gouvernement de l'État du Grand Liban.
Quatre autres personnalités appartenant à la famille Nehmé ont présidé à différentes périodes les conseils municipaux de Deir el-Qamar. Il s'agit de Boulos Adib Nehmé, Boutros Adib Nehmé, Ibrahim Dib Nehmé et Georges Dib Nehmé, ancien député du Chouf.


L'importance de la création de cette première municipalité de 1864 réside dans le fait qu'elle constitua le premier pas vers l'adoption des concepts occidentaux d'autodétermination du peuple ouvrant la voie à l'adhésion à un régime démocratique. Régime qui mena à la création d'une Assemblée nationale représentant le peuple et dont les membres sont élus démocratiquement au suffrage universel.
Cette Assemblée fixe les règles de la vie des citoyens à l'aide de lois dont l'application revient au pouvoir exécutif et le contrôle au pouvoir judiciaire.
De plus, la leçon à tirer de la formation de ces conseils municipaux dans une région où la « revendication populaire » était vaine sinon inexistante, réside dans le fait qu'elle émane d'une province qui n'a subi que tyrannie et oppression de la part des dirigeants et gouverneurs féodaux. L'affranchissement de cette soumission de fait accompli est né à Deir el-Qamar. Il fut même le déclencheur d'un vaste mouvement qui s'est propagé aux autres villes libanaises et même au-delà jusqu'à des régions lointaines en Afrique et en Asie, encore soumises à l'esclavage, l'humiliation et la soumission ottomane.


Deir el-Qamar fut donc la première à se mobiliser et à encourager les revendications populaires à une période où d'autres contrées ne les concevaient ni même les imaginaient. Pour commémorer cette date historique du 31 août 1864 et à la mémoire de ces premiers présidents de conseil municipal, une cérémonie officielle a eu lieu samedi dernier à Deir el-Qamar à laquelle étaient conviés tous les notables et familles de la ville. Une messe a été célébrée en l'église Saïdet el-Tallé par l'abbé Tannous Nehmé, supérieur général de l'ordre des moines maronites libanais. L'office religieux a été suivi d'une cérémonie devant la stèle des martyrs de 1860 et d'une rencontre générale à la salle à la Colonne.

 

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Après les douloureux événements de 1860 et plus particulièrement ceux de Deir el-Qamar où plus de 2 000 habitants ont péri sous le joug des Ottomans et de leurs alliés, une commission diplomatique européenne, dite Commission internationale, se réunit du 5 octobre 1860 au 4 mai 1861, tout d'abord à Beyrouth puis plus tard sur les rives du Bosphore, et consacre 29 séances pour...

commentaires (1)

J'ai lu cet article avec beaucoup de plaisir, mais je voudrais y apporter un correctif: Ibrahim Adib est le grand-père maternel du président Camille Chamoun et non pas son oncle. Aussi, le fils de Ibrahim Adib s'appelle Auguste Adib Pacha (et non pas Adib Auguste Bacha Nehmé)et lui est l'oncle du président Chamoun.

Camille Chidiac

19 h 55, le 02 septembre 2014

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Commentaires (1)

  • J'ai lu cet article avec beaucoup de plaisir, mais je voudrais y apporter un correctif: Ibrahim Adib est le grand-père maternel du président Camille Chamoun et non pas son oncle. Aussi, le fils de Ibrahim Adib s'appelle Auguste Adib Pacha (et non pas Adib Auguste Bacha Nehmé)et lui est l'oncle du président Chamoun.

    Camille Chidiac

    19 h 55, le 02 septembre 2014

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