« Tous pour un »... C'est par ce slogan qu'il serait possible de résumer le Xe congrès du Rassemblement de Saydet el-Jabal, hier, à l'hôtel Le Gabriel, à Achrafieh.
Le « un » en question étant chaque individu, chaque sujet, et, par extension, le Liban. Mais un Liban en révolte contre toutes les dérives intégristes, communautaristes et populistes, pot-pourri mortel pour une explosion imminente si elle n'est pas rapidement contenue.
C'est en effet une volonté civile, transcommunautaire de sortir de tous les replis identitaires vers une paix commune qui s'est exprimée hier face aux crispations sectaires et à la montée aux extrêmes.
Panachés dans toutes les communautés libanaises, les participants étaient là à titre individuel, mus par une inquiétude commune face au danger qui guette le Liban, sinon chacun au Liban, mais animés par une sorte de sérénité intérieure et une volonté manifeste de faire front ensemble par un projet national, civil, pacifique et rassembleur face au morcellement identitaire sur tous les fronts. Mais ils étaient surtout sur la même longueur, comme si une main invisible, formée par la cascade d'événements alarmants ces derniers mois, les avait puisés dans le même creuset.
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Mais, surtout, sur le plan symbolique, ils ont dit « non » d'une même voix au projet de l'Alliance des minorités, celui de la déétatisation et de la surcommunautarisation dans l'objectif de transformer toutes les communautés, désormais sur la défensive en raison de la montée aux extrêmes, en minorités apeurées, irrationnelles, agressives et à la recherche permanente d'un protecteur providentiel.
Siniora
Le congrès s'est déroulé en la présence – très forte sur le plan politique – du chef du bloc du Futur, le député et ancien Premier ministre Fouad Siniora, qui a prononcé une allocution jugée fondatrice par nombre des participants, un document fondamental à prendre en considération pour comprendre et contrecarrer la montée aux extrêmes, et un acte de foi dans le Liban. Un Fouad Siniora qui a franchement abattu les frontières identitaires dans son discours, en condamnant d'une manière explicite toutes les formes de terrorisme et en prônant l'attachement à la formule paritaire de Taëf, au vivre-ensemble et au projet de l'État civil (voir par ailleurs). Avec, à la clef, ce témoignage personnel qui résume tout : « Je me reconnais en vous tous ici présents plus qu'en quiconque qui parlerait au nom de l'islamisme. »
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Le thème du refus d'une protection étrangère et exclusive similaire au régime ottoman des capitulations, qui avait été au centre de la réunion des patriarches orientaux à Bkerké la semaine dernière, est par ailleurs revenu comme un leitmotiv. C'est d'abord l'ancien député Farès Souhaid qui a rejeté ce positionnement, dans son allocution de bienvenue. « Nous, chrétiens de cette région, ne voulons de protection de personne. Tous ceux qui ont prétendu nous protéger défendaient en fait leurs intérêts en notre nom », a-t-il dit, rejetant par ailleurs toute distinction, menée à des fins politiques, entre une victime (du régime Assad) et une autre (celle du terrorisme de Daech).
Frangié
Samir Frangié revient lui aussi à la charge contre le protectionnisme recherché par certains (voir par ailleurs). « J'ai honte que quelqu'un parle en mon nom en vertu de mon appartenance confessionnelle et se permette de quémander ma protection personnelle à l'étranger. Ma protection vient de l'État, que je forme avec mon partenaire musulman. Que ceux qui réclament une protection étrangère demande d'abord à l'étranger de corriger ses nombreuses erreurs – en Palestine, en Irak, et son silence inadmissible en Syrie – pour participer avec nous à la bataille de la paix », dit-il en substance. Car, in fine, c'est le projet de la paix au Liban, et, au-delà, dans la région, qui préoccupe l'ancien député.
Le pôle chiite libaniste, qui s'inscrit dans la droite lignée étatiste libaniste de la tradition amélite et des principes de l'imam Mohammad Mahdi Chamseddine, par opposition à l'intégrisme pro-iranien du Hezbollah, n'est pas en reste.
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Chamseddine et Fahs
Le sociologue Mohammad Hussein Chamseddine n'y va pas par quatre chemins pour déconstruire la vaste fumisterie qui vise à réveiller le sentiment minoritaire dans la région, notamment chez les chrétiens, dont il déplore un repli identitaire qui n'a rien à voir avec la tradition du patriarche Hoyek. « Ceux qui veulent vous protéger du terrorisme sont ceux-là mêmes qui en sont les fondateurs », affirme-t-il, rejetant à son tour le principe de « minorité » et de « protection » de ces derniers. « L'imam Chamseddine disait qu'il n'y a pas de minorités en Orient, mais deux majorités : l'une, islamique, arabe et non arabe, et l'autre, arabe, islamo-chrétienne », a souligné le sociologue, un partisan invétéré de l'identité complexe, qui refuse d'être cloisonné à sa seule dimension chiite.
Hospitalisé, l'uléma Hani Fahs a également dépêché son fils, le journaliste Moustapha Fahs, pour lire un message en son nom, centré sur la nécessité inéluctable d'édifier l'État, de le séparer de la religion et d'œuvrer à l'émergence de la citoyenneté.
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Sabra et Mouacher
Des lettres de l'étranger ont également été rendues publiques : l'une est de Georges Sabra, haut responsable au sein de la Coalition nationale syrienne, et l'autre de l'ancien chef de la diplomatie jordanienne, Marwan Mouacher. Elles appellent toutes deux, en substance, les Libanais à ne pas se laisser aller à la réaction minoritaire des chrétiens, car cela signifierait la fin de l'Orient arabe. Le message est le même : le terrorisme vise toutes les composantes sociétales de la région, le « minoritarisme » est un état d'esprit artificiellement maintenu à des fins politiques impériales, les chrétiens ne doivent pas se laisser faire en se cloîtrant dans un enclos identitaire qui refuse le partenariat avec l'islam, et la seule garantie de la survie de tous est l'État.
Une série de messages venus de l'étranger, notamment de Washington et du Canada, a elle aussi abondé dans le sens des idées défendues tout au long du congrès.
L'épistémologue Antoine Courban a donné lecture au cours de la réunion de sa lettre ouverte aux patriarches d'Orient, publiée samedi dans L'Orient-Le Jour. Plusieurs participants ont par ailleurs pris la parole dans le cadre du débat.
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Étaient présents à la réunion : les députés Marwan Hamadé, Ahmad Fatfat, Dory Chamoun, Bassem el-Chab et Jamal Jarrah, l'ancien ministre Michel Béchara el-Khoury, les anciens députés Samir Frangié, Farès Souhaid et Moustapha Allouche, l'ancien bâtonnier Michel Lyane, l'ambasadeur Khalil Kazem el-Khalil, ainsi que plusieurs personnalités politiques, académiques et de la société civile, parmi lesquelles MM. Daoud Sayegh, Antoine Haddad, Ahmad Ayyache, Joseph Fadel, Lokman Slim, Malek Mroué, Mohammad Sammak, Mohammad Hussein Chamseddine, Moustapha Fahs, Youssef Bazzi, Antoine Béchara, Sobhi Mounzer Yaghi, Naufal Daou, Adel Sassine, Eddy Abillamaa, Nadi Ghosn, Marwan Sakr, Melhem Riachi, Michel Abou Abdallah, Georges Droubi, Sélim Dahdah, ainsi que Mmes Mona Fayad et Alia Mansour (opposition syrienne).
Le communiqué final
Dans son communiqué final, Saydet el-Jabal a mis l'accent sur cinq points : la distinction entre le terrorisme de Daech et les terrorismes d'État contre les peuples palestinien, irakien et syrien est rejetée ; le terrorisme vise toutes les composantes de la société, et non l'une ou l'autre exclusivement; la protection des chrétiens ne passe pas par l'Alliance des minorités, qui « porte atteinte au partenariat historique islamo-chrétien et transforme les chrétiens en comparses dans le cadre d'un projet de survie d'un régime en décomposition et en satellites, d'un projet hégémonique d'une minorité qui ne réussira pas » ; il n'y a pas de solution uniquement chrétienne aux problèmes des chrétiens ; et, enfin, le modèle de pluralisme libanais mérite d'être étudié comme solution aux problèmes régionaux.
Une remarque s'impose enfin, à l'issue du congrès : ce que les politiques traditionnelles n'ont pas réussi à faire, Daech et consorts ont probablement commencé à le faire : provoquer un début de ras-le-bol qui porte en lui les germes de l'individu-citoyen libanais et le libère des liens confessionnels.
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commentaires (13)
RAS LE BOL... TOUS, LES POURS ET LES CONTRES, ATTRAPENT LES ERREURS D'AUTRUI À L'ENVOL ! 3AL TAYER...
LA LIBRE EXPRESSION
12 h 46, le 04 septembre 2014