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Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine MESSARRA

II - Comment le droit est vécu aujourd’hui au Liban

En réaction à la pièce Antigone de Sophocle, présentée au Festival de Beiteddine 2014 par Wajdi Mouawad, je me pose la question : où en est l'esprit de justice aujourd'hui au Liban après des années de guerres multinationales ? (Voir L'Orient-Le Jour du jeudi 21 août 2014).
De mon expérience durant plus de quarante ans dans des institutions, des débats publics, des controverses sur des problèmes de droit et de société, je peux dégager nombre d'observations sur la manière avec laquelle le droit est souvent vécu aujourd'hui au Liban. Comment il est enseigné, c'est un autre problème.
Il y a au Liban une déliquescence des principes, une acrobatie sur des normes fondamentales, des arrangements équivoques et des jugements de valeur précipités. Avons-nous atteint le plus haut niveau postmoderne d'aujourd'hui de la société liquide et liquéfiée ?

***
Face à une décision à prendre dans la vie publique, il y a tout un éventail d'attitudes libanaises qu'une anthropologie juridique pratique permet de dégager. Quelles attitudes?
1. L'attitude de dire au départ, pour se dérober, ne rien apporter au débat, se dispenser de tout effort, être équidistant : Je souscris à ce que vous décidez !
2. Il y a l'attitude de celui qui a pris position au départ, qui cherche des arguments pour la justification et avec lequel le débat – ou plutôt le double monologue – ne sert pour lui qu'à rechercher d'autres arguments de justification.
3. Il y a l'attitude du centriste qui cherche à arrondir les angles, soucieux que la décision soit à l'unanimité, pour l'image peut-être de l'institution ou peut-être sa propre image, au risque cependant de camoufler des points essentiels de droit.
4. Il y a l'attitude accusatrice qui voit souvent dans les efforts des uns et des autres, se croyant un modèle de vertu, des intérêts suspects. C'est peut-être vrai, mais l'implication personnelle, proche ou lointaine, d'une personne dans une affaire n'est pas nécessairement suspecte et illégitime. Elle peut être source enrichissante d'une expérience vécue. Il n'y a que Jésus qui était absolument détaché de tout intérêt. On dira que cela nuit à l'objectivité. Combien cette notion d'objectivité est suspecte, non souhaitable dans toute approche humaine, même dans les sciences dites exactes et les sciences de la nature, surtout à partir du moment où la découverte ou la technique va être appliquée sur des êtres humains.
5. Il y a aussi l'attitude légaliste de celui qui dit : J'étudie la conformité au texte, mais ce que les autres vont effectivement faire, ce que le Parlement va faire, ce que l'administration va faire, comment la société va réagir ..., cela ne relève pas de moi. Le légaliste, quand il copie ou se réfère à une théorie juridique, il n'en voit pas les implications, les conséquences, l'effectivité. L'ordre juridique en société ? Qu'est-ce que cela veut dire ?
6. Il y a l'attitude de la complaisance qui se manifeste quand, à la clôture d'un débat, il faudra décider et avoir la majorité requise. Qui sera complaisant pour se ranger avec le groupe qui manque d'un membre ou plus pour qu'il y ait majorité ? Celui qui ne met pas de l'eau dans son vin, sur une question fondamentale de droit et de conscience, est alors qualifié de saboteur, de perturbateur, d'esprit mauvais. Par contre, le complaisant bénéficie de la gratification avec le qualificatif qu'il est « de bonne souche », du fait qu'il s'est rangé sans conviction.
7. Il y a l'attitude de l'épreuve de force qui se traduit par des accusations, des attaques, des insultes touchant la personne même et les normes élémentaires du respect et de la dignité humaine... afin de forcer, vaincre le récalcitrant, sans convaincre.
8. Il y a l'attitude juridique globale qui, au risque d'être fort incomprise, cherche plus loin que le texte de la loi, les fondements, la finalité, l'effectivité, la contribution à l'autorité des normes. Cette dernière attitude, tout en respectant les conditions de l'écoute, se caractérise par sa fermeté et s'exprime le plus souvent par le refus de se ranger.
Même quand on est un juriste chevronné, qu'on a passé des années dans la magistrature, le barreau, l'enseignement supérieur, la recherche, il y a des problèmes qui exigent des semaines d'approfondissement, de lectures, de patients travaux. Quorum, consensus, pacte, convivialité, égalité... sont autant de notions devenues des slogans.
Dans un débat sur une question publique, vous jurez sur l'Évangile et le Coran, en toute conscience, que telle est votre intime conviction. Conscience? Qu'est-ce que cela veut dire?

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel Professeur à l'USJ

En réaction à la pièce Antigone de Sophocle, présentée au Festival de Beiteddine 2014 par Wajdi Mouawad, je me pose la question : où en est l'esprit de justice aujourd'hui au Liban après des années de guerres multinationales ? (Voir L'Orient-Le Jour du jeudi 21 août 2014).De mon expérience durant plus de quarante ans dans des institutions, des débats publics, des controverses sur des...

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