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Liban - Liban

Dans les Souks de Beyrouth, les délices des travailleuses domestiques émigrées

Des employées de maison migrantes, venues d'Asie et d'Afrique, mettent à l'honneur leur patrimoine culinaire à Souk el-Tayeb.

Rose-Eugénie et Lipi Khan devant leur stand.

Malgré la chaleur écrasante des samedis matin d'août, des dizaines de personnes visitent Souk el-Tayeb, installé dans les Souks de Beyrouth. Elles recherchent des produits sains, naturels ou certifiés biologiques, qu'elles affectionnent.


De bonnes odeurs se dégagent des stands, s'entremêlent et aiguisent les esprits gourmands. Les paniers se remplissent aussi assez rapidement : entre épices, confitures, pots de mouné libanaise (produits du terroir), manakich cuits au saj (four traditionnel), fruits et légumes, les habitués de ce marché ont l'embarras du choix.
Un nouveau stand attire cependant l'attention des passants. Il s'en dégage des senteurs venues de bien plus loin que les maisons et les plaines libanaises. Deux femmes, l'une asiatique et l'autre africaine, tiennent ce présentoir. Deux menus sont affichés. Le premier propose du « couscous à la Bénin » et de l'« adoyo ». Le second offre deux spécialités du Bangladesh, le « poulet byriani » et des « sambouseks végétariens ».


Rose-Eugénie invite fièrement les promeneurs à prendre une gorgée de son « adoyo », une boisson fermentée à base de maïs. Spécialité du Bénin, elle est aussi piquante et jaune qu'une limonade. « Je l'ai préparée à la maison ! » confie-t-elle. Sa camarade de table, Lipi Khan, tend aux visiteurs des portions généreuses de « sambouseks végétariens » frits qu'elle a fraîchement concoctés dans le respect de la tradition bangladaise. Les moues désengagées de certains passants ne parviennent pas à la décourager. Lipi Khan affirme avec un grand sourire que même si certaines personnes hésitent à goûter à ses plats, « celles qui le font adorent ce qu'elles mangent et finissent par commander des portions à emporter chez soi ». Succombant aux délices de ces plats, certaines femmes cherchent même à en obtenir la recette dans l'espoir de les reproduire elles-mêmes.

 

 

 

« Surmonter les barrières culturelles »
Rose-Eugénie et Lipi Khan font partie du projet « Atayeb cheghel el-beit » (Les délices faits maison), fruit d'un partenariat entre l'Organisation internationale du travail (OIT) et Souk el-Tayeb. Cette initiative s'inscrit dans le cadre du projet Prowd (Promouvoir les droits des employées de maison migrantes), réalisé par l'OIT et financé par l'Union européenne.
« Atayeb cheghel el-beit » s'adresse à un groupe de quinze femmes d'Afrique et d'Asie : les cuisines du Cameroun, du Bénin, de Madagascar, du Sri Lanka et du Bangladesh sont ainsi mises à l'honneur. Le projet met en avant donc la diversité et la richesse du patrimoine culinaire asiatique et africain, d'autant que les employées de maison migrantes ont rarement la chance de préparer sur leurs lieux de travail les spécialités de leurs pays respectifs. C'est ce qu'affirme d'ailleurs Rose-Eugénie qui raconte que « chez mes anciens employeurs, je ne pouvais cuisiner mes plats traditionnels que rarement ». La cuisine étant la meilleure entremetteuse de l'amitié, ce projet aurait pour objectif de « surmonter les barrières culturelles qui rendent souvent difficile la cohésion entre Libanais et employées de maison ».

 

Bien plus qu'un partage culinaire
« Ce projet n'est culinaire qu'en apparence », précise pour sa part Kamal Mouzawak, fondateur de Souk el-Tayeb, qui précise que celui-ci représente en effet pour les employées de maison une opportunité pour pouvoir développer les compétences nécessaires et créer leur propre ligne de restauration. De retour dans leur pays natal, elles pourront ainsi exercer une activité susceptible de leur générer un revenu. C'est ce qu'espère d'ailleurs Rose-Eugénie qui se dit confiante en l'avenir. Elle affirme vouloir retourner dans son pays natal, « mais pas à la même vie ».
« Atayeb cheghel el-beit » a également conduit à la création d'un comité des employées de maison au sein de la Fédération nationale des syndicats des ouvriers et des employés au Liban (Fenasol). Composé d'employées de maison de différentes nationalités, ce comité espère devenir un syndicat à part entière.
Les participantes à « Atayeb chegel el-beit » ont été identifiées à travers ce comité. Elles ont été sélectionnées par Souk el-Tayeb « pour l'amour qu'elles portent à la cuisine », souligne M. Mouzawak. Il explique que Souk el-Tayeb a organisé à l'intention de ces femmes des sessions de formation aux compétences de cuisine professionnelle, au contrôle de la qualité, à l'hygiène des mets et à leur présentation, sans pour autant leur « apprendre à cuisiner », une expression jugée d'ailleurs comme « colonisatrice » par le fondateur de l'organisation. M. Mouzawak note en outre que les plats proposés ont été choisis de manière à plaire aux gourmets libanais, ce qui permet d'optimiser les ventes.


Les bénéfices sont majoritairement versés aux femmes qui bénéficient du projet, d'autant qu'elles peinent à vivre avec « quatre enfants, un mari, d'énormes dépenses et seulement 400 dollars par mois », se plaint Rose-Eugénie. « Mon rêve n'a jamais été d'essuyer les sols, poursuit-elle. Je voulais être médecin. Cuisiner me permet de m'assurer une vie décente, et je suis fière des recettes héritées de ma mère. » Seuls 10 % des bénéfices sont versés au Comité des employées de maison pour financer ses activités : achat des billets de voyage, couverture des frais de santé, lutte pour de nouvelles politiques d'embauche, etc.
Pour découvrir les plats traditionnels africains et asiatiques sélectionnés par Souk el-Tayeb dans le cadre du projet « Atayeb cheghl el-beit », il est possible de contacter Souk el-Tayeb qui a élaboré un menu traiteur. De leur côté, Rose-Eugénie et Lipi Khan sont prêtes à répondre présent aux appels des particuliers qui désirent les inviter dans leur cuisine.
Le stand de « Atayeb cheghl el-beit » sera à Souk el-Tayeb six samedis consécutifs, avec au menu chaque semaine de nouveaux plats exotiques.

 

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