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Culture - Festival de Baalbeck

Dhafer Youssef, infatigable explorateur de sons

Dhafer Youssef : « Le public libanais est du genre à vous donner la chair de poule. »

Le oud sous le bras, Dhafer Youssef n'en finit pas de transgresser les frontières musicales. Son jazz, tagué entre world et soufi, est en perpétuelle recherche. Pour son énième retour au Liban, le mardi 26 août au Music Hall Waterfront*, il propose un vol plané au-dessus d'un « Birds Requiem ».

Il s'agit en effet du titre du sixième album de l'artiste tunisien. Dhafer Youssef y prend encore (et toujours) le parti de la fusion, entre la chaleur de son Maghreb natal et l'esthétisme froid des pays nordiques. Entre le sacré et le profane, l'ancestral et le moderne, le musicien autodidacte et intuitif y fait vibrer également ses cordes vocales, à entendre mardi 26 août.

 

Q - Comment avez-vous découvert le potentiel de votre voix ?
R - Quand j'étais jeune, mon grand-père m'a initié au récital coranique. Après, j'ai rejoint la troupe des chants religieux. Le muezzin de mon village m'a demandé d'enregistrer une cassette d'appel à la prière. Au sommet du minaret, un microphone en plastique à la main, j'écoutais, ébahi, le son qui sortait de ma propre gorge. Réciter le coran et entendre les échos que produisait ma voix sous le dôme me procuraient un plaisir indescriptible. Depuis ce jour-là, j'ai essayé de m'exprimer à travers la musique et de repousser toujours plus loin mes capacités.
Plus tard, et à l'âge de 6 ans, je m'amusais à reproduire les chants diffusés à la radio de ma mère et à chanter dans le hammam du village. Les résonances que produisait alors ma voix dans la cuisine de ma mère et dans cet espace caverneux m'ont fasciné.

 

Comment est né votre amour pour la musique ?
Je suis né avec cet amour-là. Mais c'est à 5 ans, en rejoignant le groupe de chant liturgique, que j'ai su qu'un jour je serai musicien. Pour l'anecdote, j'ai rencontré récemment un ami d'enfance. Il m'a rappelé que lorsque nous prenions ensemble nos premiers cours de oud et que je ne savais pas encore jouer deux notes, je construisais déjà des projets de tournées et de voyages. Et lui, il me prenait pour un fou...

 

Issu d'une longue famille de muezzins, qu'est-ce qui vous a orienté vers le jazz ?
J'ai découvert le jazz à Vienne. J'ai trouvé dans ce genre musical un vocabulaire et une technique qui m'ont permis de fuir l'aspect purement académique de la musique et de m'exprimer librement avec mon art.

 

« Jazz, nu jazz, ethno jazz » : où se situe votre art musical ?
Même si j'ai trouvé dans le jazz une échappatoire pour m'exprimer musicalement, je ne pense pas que ce genre définisse ma musique. En effet, je suis en perpétuelle recherche musicale. Mon parcours en atteste, puisque mon intérêt a porté sur les ondulations sonores et expérimentations de ma voix. Mes albums, quant à eux, ont été marqués par des sonorités aussi diverses que celle du oud et des sonorités électroniques que de l'acoustique. J'aime me définir comme un infatigable explorateur de sons.

 

« Le musicien joue sur la tension d'un équilibre fragile entre sons ancestraux et traitement contemporain, entre phrases enfiévrées et silences suspendus », lit-on dans une coupure de presse. Êtes-vous d'accord ?
Oui, je trouve la description assez juste. Dans mes compositions, je tente toujours de transcender les genres musicaux tout en m'inspirant de celles de mes origines et de moderniser ces dernières. Il y a également cette alternance entre rythmes enfiévrés et d'autres plus apaisés.

 

S'il fallait décortiquer, disséquer votre musique, quels sont les éléments qui en ressortiront ?
Ma musique a toujours été en constante évolution avec des influences méditerranéennes et jazz, mais aussi de musique classique et de rock... Je suis comme une éponge, j'absorbe tout et puis je ressors ma sauce, mon son à moi : un passage par les sons électro et expérimentations vocales, le jeu du oud mêlé aux sonorités électroniques, l'introduction d'instruments à cordes puis, comme sur mon dernier album Birds Requiem, retour vers des rythmes plus apaisés et mélancoliques.

 

Après sept albums studio et des centaines de performances à travers le monde, à quoi aspirez-vous ?
La musique se trouve être ma plus grande motivation. C'est un océan très profond. Parfois j'ai l'impression qu'une vie ne me suffira pas pour réaliser tous les projets que j'ai en tête. J'aspire tout naturellement à poursuivre mes collaborations artistiques et à pousser plus loin mes expériences et idées musicales.

 

Quid du programme que vous réservez aux spectateurs du Festival de Baalbeck ?
Je serai avec mon septuor composé d'Eivind Aarset à la guitare, Nils Petter Molvaer à la trompette, Philip Donkin à la contrebasse, Kristjan Randalu au piano et Ferenc Nemeth à la batterie, Husnu Selendirici à la clarinette et Aytaç Dogan au qanun, c'est la formation avec laquelle j'ai enregistré le disque, cela fait maintenant trois ans que nous sommes embarqués dans une tournée mondiale. Au départ, j'avais un projet intitulé Dance of the Invisible Derwishes, une collaboration entre le septet et un orchestre de 25 cordes, jouant l'essence de tous mes enregistrements. Il y a deux ans, je suis rentré en studio pour enregistrer Birds Requiem. C'est cet album-là qui sera présenté à Baalbeck. On va s'amuser, voler et voyager ensemble pendant le concert.

 

Justement, comment s'est faite la collaboration avec les musiciens sur cet album et dans quel esprit a-t-il été construit ?
L'idée de l'album a pris forme à la suite d'une performance à Ludwigsburg qui m'a donné une carte blanche pour trois concerts et j'ai présenté au cours de l'un d'eux Dance of the Invisible Derwishes. L'introduction de la clarinette (avec Husnu et Aytaç) a semblé intéressante pour pousser les limites de ma propre voix. Pour les sonorités électro, j'ai fait appel à mes acolytes Eivind Aarset (guitare) et Nils Petter Molvaer (trompette). Cet album, que j'ai imaginé comme une musique de film et dont l'histoire est illustrée par les photos qui se trouvent dans le booklet Un homme est à la recherche d'une âme perdue, est sûrement le plus personnel de tous. C'est un requiem à l'attention d'une personne à laquelle je suis profondément attaché et qui n'est plus.

 

Comment faites-vous pour ne pas tomber dans l'orientalisme typique ?
Il faut d'abord définir l'orientalisme. Pour moi, l'orientalisme c'est le kitch. Je pense que tout est question de goût et d'inspiration. Pour cela, il s'agit également de travailler dur et de se cultiver en permanence afin de savoir comment traduire cette inspiration en musique. Le fait d'être bien entouré, de lire beaucoup et d'être ouvert à d'autres genres musicaux m'aide à composer la musique qui me correspond.
Vous faites des passages fréquents au Liban. Que représente ce pays pour vous ? Son public ?
J'apprécie particulièrement le Liban. C'est un pays qui m'impressionne. À chaque fois, je le découvre de nouveau. L'attachement des gens à la vie, malgré toutes les guerres vécues, et leur rapport à la mort m'impressionnent ! Grand respect. En plus d'être un beau pays, il se trouve que j'y ai beaucoup d'amis. De plus, le public ici est le genre qui vous donne la chair de poule lorsque vous vous produisez devant lui.
J'ai hâte de rejouer au Liban.

 

Une maxime dans la vie, pour conclure ?
Je vais emprunter une maxime que j'apprécie et que le talentueux pianiste et compositeur André Manoukian a utilisée, un jour, en présentant Birds Requiem : « Ne demande jamais ton chemin à quelqu'un qui le connaît, car tu pourrais ne pas t'égarer. »

 

* Pour des raisons de sécurité, le concert qui devait se tenir à Baalbeck a été délocalisé au centre-ville de Beyrouth.

 

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Le oud sous le bras, Dhafer Youssef n'en finit pas de transgresser les frontières musicales. Son jazz, tagué entre world et soufi, est en perpétuelle recherche. Pour son énième retour au Liban, le mardi 26 août au Music Hall Waterfront*, il propose un vol plané au-dessus d'un « Birds Requiem ».
Il s'agit en effet du titre du sixième album de l'artiste tunisien. Dhafer Youssef y prend...

commentaires (1)

Art musical loin des échos politiques si gênants, beau de changer un peu d’air avec Dhafer Youssef.

Sabbagha Antoine

07 h 48, le 19 août 2014

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Commentaires (1)

  • Art musical loin des échos politiques si gênants, beau de changer un peu d’air avec Dhafer Youssef.

    Sabbagha Antoine

    07 h 48, le 19 août 2014

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