Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde

Les derniers païens d’Irak

Fuyant Sinjar et les persecutions de l’État islamique qui en a pris le contrôle, ces membres de la communauté yazidie se retrouvent sur la route, sans endroit où aller. Rodi Said/Reuters

Maintenant que le président américain Barack Obama a, tardivement, donné l'ordre de frappes aériennes et que des parachutages de nourriture et de premiers secours ont été organisés pour les réfugiés en Irak du Nord, la communauté internationale s'est enfin décidée à agir contre l'État islamique (EI). En l'espace de quelques mois, le groupe jihadiste, qui jusqu'à récemment était connu sous le nom d'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), a pris le contrôle de larges portions de ces deux pays, où il a proclamé un nouveau « califat ». Mais la véritable raison pour laquelle il faut craindre l'EI n'est pas sa soif de pouvoir, mais la manière dont ses membres sont en train d'effacer, systématiquement et de sang-froid, le passé social, culturel et démographique de la région.
En quelques semaines, l'EI a quasiment éliminé les populations chiite et chrétienne des territoires qu'il contrôle. La ville de Mossoul, qui abritait l'une des plus anciennes communautés chrétiennes du monde, ne compte plus un seul chrétien aujourd'hui. Des objets d'art assyriens d'une valeur inestimable ont été publiquement détruits pour démontrer son opposition à ce qu'il qualifie d'idolâtrie.
En fait, l'EI n'a même pas épargné les coreligionnaires sunnites qui n'adhéraient pas à son interprétation extrémiste de l'islam. Plusieurs lieux saints ont été détruits, dont la tombe présumée de Jonah.
Aussi terribles que soient ces exactions, les yazidis, une ancienne communauté religieuse rattachée aux Kurdes, font l'objet d'une persécution plus impitoyable encore. Leur population compte moins d'un demi-million de personnes, dont les deux tiers vivent dans la région de Mossoul, dans le nord de l'Irak. Le tiers restant est disséminé dans les pays avoisinants, notamment en Syrie, Arménie et Turquie. Des communautés d'immigrés yazidis ont récemment été formées en Allemagne et aux États-Unis.
Bien qu'influencée au cours des siècles par le christianisme et l'islam, la religion yazidie a d'anciennes racines païennes qui remontent au moins à la fin de l'âge du bronze. Il est intéressant de noter que leurs croyances comportent de nombreuses similitudes avec l'hindouisme – ils croient par exemple en la réincarnation, font leurs prières face au soleil au lever du jour et au coucher du soleil, et leur société est organisée en un système de castes. Ils vénèrent également Malek Taous, l'ange-paon, un oiseau présent dans le sous-continent indien, mais pas dans les terres yazidies.
Si les origines des yazidis sont incertaines, des éléments génétiques et culturels laissent à penser qu'ils seraient les descendants de tribus indiennes ayant migré vers l'Ouest au cours du IIe millénaire avant Jésus-Christ. Il existe de nombreuses preuves de liens entre l'Inde et le Moyen-Orient durant l'âge du bronze. Par exemple, le zoroastrisme, la religion de l'ancienne Perse – auquel ont été apparentées les croyances religieuses yazidies – a des racines communes avec l'hindouisme primitif.
Au cours des siècles, tant les chrétiens que les musulmans ont traité les yazidis « d'adorateurs du diable » et les ont soumis à une persécution incessante, en particulier sous l'Empire ottoman aux XVIIIe et XIXe siècles, durant lesquels une série de massacres ont pratiquement conduit à l'extinction des yazidis.
Sous le régime de Saddam Hussein, les yazidis n'ont pas fait l'objet de persécutions religieuses, mais ont été soumis à des pressions pour arabiser leur culture. Depuis lors, la situation n'a fait que s'aggraver. En avril 2007, des hommes armés ont tiré 23 hommes yazidis d'un bus avant de les exécuter. Quatre mois plus tard, un attentat coordonné de camions-suicide faisait plus de 300 morts, dont des femmes et des enfants.
Les yazidis sont aujourd'hui confrontés à la pire crise de leur histoire. L'EI a donné aux chrétiens de Mossoul le choix entre se convertir, payer la jizia (une taxe spéciale que la charia impose aux non-musulmans) et l'exil. Les yazidis n'ont pas eu ce choix et sont systématiquement abattus comme « adorateurs du diable ».
Le fief de la communauté yazidie, autour de Mossoul, est aujourd'hui contrôlé par l'EI. La petite ville de Sinjar, la seule au monde qui comptait une majorité yazidie, est tombée aux mains des jihadistes dans les premiers jours du mois d'août, lors d'une offensive à laquelle n'ont pu résister les combattants kurdes. Des comptes rendus de massacres à grande échelle commencent à parvenir aux médias. Des groupes importants de yazidis se sont réfugiés dans les montagnes, où ils sont coincés dans des enclaves de plus en plus réduites. Des centaines d'entre eux seraient déjà morts de faim et de soif. Le site de pèlerinage de Lalish, le plus sacré de la communauté, risque d'être détruit.
Malheureusement, les médias ne se sont guère indignés de la situation tragique dans laquelle se trouvent les yazidis. Il est possible que les interventions stratégiques et les parachutages promis par les Américains, associés à une éventuelle opération coordonnée des forces kurdes (réarmées par les États-Unis), puissent venir en aide aux survivants, mais il est peu probable qu'ils puissent regagner leurs foyers dans un avenir prévisible.
Il y a plusieurs siècles, les zoroastriens ont fui les persécutions en Iran et ont trouvé refuge en Inde. Leurs descendants, la minuscule communauté parsie, y vivent encore. Aujourd'hui, qui accordera l'asile aux derniers païens d'Irak ?

Traduit de l'anglais par Julia Gallin
© Project Syndicate, 2014.

Maintenant que le président américain Barack Obama a, tardivement, donné l'ordre de frappes aériennes et que des parachutages de nourriture et de premiers secours ont été organisés pour les réfugiés en Irak du Nord, la communauté internationale s'est enfin décidée à agir contre l'État islamique (EI). En l'espace de quelques mois, le groupe jihadiste, qui jusqu'à récemment était...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut