Au troisième jour de la guerre à Ersal, rien n'indique qu'une solution est en vue. Au contraire, les sources proches de l'armée laissent entendre que la confrontation pourrait être longue, d'autant que les combattants takfiristes sont en train de prendre les civils en otages, en refusant de les laisser partir. La veille, en quelques heures d'une trêve non annoncée, mille voitures pleines de civils ont quitté la bourgade en direction des villages voisins, notamment à Laboué, où il y a, il est bon de le rappeler en ces temps troubles, près de 500 unions mixtes entre habitants de Ersal (sunnites) et habitants de Laboué (chiites). Ce serait d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le chef de la municipalité de Laboué a aussitôt déclaré depuis dimanche que son village est prêt à accueillir les déplacés de Ersal.
Mais ce qu'il faut savoir pour ceux qui se demandent pourquoi la bataille dans cette bourgade pourrait se prolonger, c'est que Ersal et son jurd ont une superficie de 500 km2. C'est-à-dire un peu moins que le double de la bande de Gaza qui fait 320 km2. De plus, il s'agit, selon des sources militaires, d'étendues montagneuses qui ressemblent à la région de Bora Bora entre le Pakistan et l'Afghanistan où s'étaient réfugiés, dans un premier temps, Oussama Ben Laden et ses partisans. De plus, cette région n'a jamais été sous le contrôle d'aucun État, ni le Liban ni la Syrie, tant elle est difficile d'accès. Cette frontière entre le Liban et la Syrie, qui commence au Akkar et finit près du Golan, a toujours été ouverte à toutes sortes de trafics et de contrebandes. D'où son importance pour les combattants takfiristes qui s'y sont installés, projetant de faire la jonction avec les groupes installés au Liban-Nord, entre le Akkar et Tripoli. Cachés dans ce vaste espace difficile d'accès, les combattants takfiristes peuvent tenir longtemps.
Mais depuis la fermeture par l'armée syrienne de la jonction entre le Kalamoun et la région de Zabadani, ils ont besoin de l'espace vital en matière de ravitaillement et de soins que constitue Ersal. Ils s'y sont installés d'abord avec l'accord de certaines parties influentes au sein de la bourgade, soit par sympathie pour l'opposition syrienne, soit pour des raisons politiques, religieuses ou matérielles. Des témoignages d'habitants de Ersal réfugiés dans les villages voisins révèlent qu'une partie des combattants s'est retranchée dans les mosquées que l'armée refuse de bombarder pour des raisons d'éthique. Sachant que très rares sont les armées dans le monde qui agiraient ainsi dans un tel contexte.
En tout cas, autour du Liban, ni l'armée israélienne n'a eu ces scrupules à Gaza, ni l'armée irakienne ou l'armée syrienne et même pas l'armée américaine lors de son invasion de l'Irak. Mais l'armée libanaise, il faut le lui reconnaître, a un code moral élevé, soucieux avant tout de protéger la population et les symboles religieux. Les déplacés de Ersal confient aussi que les combattants ne veulent plus laisser partir les civils, car ils veulent les utiliser comme des boucliers humains, face à la progression de l'armée libanaise.
C'est donc un peu le scénario du camp de Nahr el-Bared qui se répète, mais à une bien plus grande échelle. C'est pourquoi, selon des sources militaires, le commandant en chef de l'armée, le général Jean Kahwagi, aurait déclaré à tous ceux qui l'ont sollicité pour entreprendre une médiation avec les combattants takfiristes qu'il exige trois choses : la libération des soldats et des éléments des FSI pris en otages lors des attaques-surprises, dimanche, contre leurs positions (il s'agit de 16 soldats et de 20 éléments des FSI) ; le retrait des éléments armés au-delà de la frontière libanaise, vers la Syrie ; et le départ des civils qui le souhaitent.
Le commandant en chef de l'armée aurait tenu ce langage à la délégation des ulémas qui lui a rendu visite lundi, avant d'essuyer des tirs de la part des combattants qui ont blessé cheikh Salem Raféi et Nabil Halabi, et un de leurs gardes du corps. Autrement dit, la médiation est morte avant d'avoir réellement commencé et en tout cas, le général Kahwagi a affirmé qu'il considère les attaques contre des positions militaires à Ersal comme une agression contre l'État libanais.
Par conséquent, il n'est pas question d'évoquer une éventuelle remise en liberté de Imad Jomaa. Des sources militaires confient d'ailleurs à cet égard que ce dernier aurait révélé lors de ses interrogatoires que la victoire de Daech (l'EI) à Mossoul (Irak) et à Raqqa (Syrie) aurait donné des ailes à ses partisans en Syrie et au Liban et un sentiment d'euphorie de la victoire. Ces derniers auraient alors décidé de ressortir l'agenda qu'ils avaient mis en veilleuse et qui prévoit de créer l'émirat du Liban qui devrait couvrir Ersal, Baalbeck, la Békaa-Ouest, le Akkar, Tripoli et éventuellement s'étendre du côté de l'Iqlim el-Kharroub (ce serait d'ailleurs une des raisons du cri d'alarme lancé par le leader druze Walid Joumblatt). Il ne s'agit donc pas d'un incident de parcours ou d'une réaction à une arrestation, mais bel et bien d'un vaste programme qui rejoint les développements en Irak et en Syrie. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si depuis le début de l'offensive des combattants contre l'armée à Ersal, les incidents se sont multipliés à Tripoli. Hier encore, un bus transportant des soldats a essuyé des tirs, faisant plusieurs blessés parmi les militaires.
Le Liban est donc aujourd'hui une scène, voire un champ d'action, pour les groupes takfiristes, et l'armée est prête à tous les sacrifices, sachant qu'il ne faut pas faire preuve de laxisme avec ces combattants. Elle mise sur ses propres hommes, mais aussi sur le soutien des Libanais, toutes tendances confondues, et surtout sur celui de la classe politique qui devrait, pour une fois, mettre de côté ses divergences.
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commentaires (5)
les combattants takfiristes sont en train de prendre les civils en otages, en refusant de les laisser partir une partie des combattants s'est retranchée dans les mosquées Ici c'est une critique ouverte contre les takfiristes mais hier encore quand un autre groupe faisaient exactement la meme chose a 300 kilometres d'Ersal c'etait des heros que nos dirigeants ont glorifies au parlement no comment
LA VERITE
12 h 35, le 06 août 2014