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Au-dessous du gazon

Que diable peut-on faire quand on est assiégé dans un territoire misérable, exigu et surpeuplé, véritable souricière sur laquelle s'abattent périodiquement des ouragans de fer et de feu ? C'est simple, on descend sous terre, et c'est exactement ce qu'ont fait, à travers les âges, toutes les résistances à l'oppression.

C'est à la lettre cependant, au sens le plus matériel du terme, que les Palestiniens de Gaza ont été amenés à mettre en application la formule. Ainsi, c'est à travers des tunnels souterrains menant vers le Sinaï égyptien qu'ils s'approvisionnent en armes et en munitions, et même en produits alimentaires. Et c'est en empruntant un autre réseau de galeries invisibles que, surgissant de sous terre, il leur arrive de surprendre dans son propre fief, de l'acculer à un vrai combat d'hommes, un ennemi plus à l'aise dans une guerre de lâches : telle celle consistant à écraser sous les bombes les enfants réfugiés dans les écoles et hôpitaux onusiens.

Ces tunnels entrés dans la légende, Benjamin Netanyahu s'est juré de les détruire un à un, aux explosifs. Mais le Premier ministre israélien ne semble pas se rendre compte qu'au fond, et aussi vrai qu'on n'a jamais fini de tondre le gazon, il ne fait que s'emmurer lui-même dans un tunnel sans autre issue qu'une guerre ruineuse sans cesse recommencée. La pathétique pelouse, c'est la surface de Gaza, cuite et recuite par les bombes au phosphore sans que jamais le sinistre travail soit achevé, sans que soit une fois pour toutes pulvérisé le fruste mais opiniâtre appareil militaire du Hamas : sans qu'irrésistiblement, l'herbe se remette à pousser. Or, depuis le temps qu'ils existent et qu'on s'emploie en vain à les ensabler, les tunnels, ça repousse très bien aussi. Alors, condamnés à leur tour, comme leurs tortionnaires, à errer dans un tunnel sans fin, ces Palestiniens qui paient de leur innocente progéniture le terrible tribut de l'émancipation ? Très probablement hélas, en la persistante absence d'une paix juste ; mais au contraire de leur conquérant ennemi eux ont, du moins, la double excuse du bon droit et du désespoir...

D'autant plus surréel est le tableau qu'en ce moment, c'est tout le Proche-Orient ou presque qui se trouve parcouru, de long en large, de labyrinthes d'une cauchemardesque complexité : une Syrie en ruines et exsangue ; et plus loin, un Irak qui n'en finit pas de partir en pièces détachées sur fond d'affrontements entre sunnites et chiites, et où l'impensable progression des forcenés islamistes de Daech a porté à son paroxysme le processus d'élimination des chrétiens.

Il est grand temps cependant que les Libanais se décident à prendre conscience de l'enchevêtrement de tunnels qui courent sous leurs pieds. Voilà bien en effet un pays qui passait pour un modèle de coexistence religieuse, et qui se trouve déjà pris à son tour dans l'infernale vogue des tensions intersectaires ; un pays qui se posait de même en parangon régional de démocratie, mais où les institutions sont, l'une après l'autre, tombées en panne ; un pays seul, dans cette partie du monde, à avoir un chrétien pour président mais qui, comme par un bien suspect hasard, se trouve, depuis plus de deux mois, impuissant à élire ce président.

Il a toujours été soutenu, dans ces colonnes, qu'il incombe à l'islam lui-même, le vrai, plutôt qu'aux armadas étrangères, de faire échec aux criminelles dérives du fanatisme. C'est encore plus vrai aujourd'hui. S'y ajoute toutefois, pour les musulmans libanais, l'obligation – mais aussi l'intérêt bien compris – de préserver, sur place, une présence chrétienne active sans laquelle ils auraient, eux aussi, figuré au nombre des perdants. Il va de soi, pour finir, qu'un tel impératif n'exonère en rien de ses responsabilités une chrétienté libanaise elle-même en proie à d'inextinguibles rivalités.

Les derniers des Mohicans ne s'étaient même pas offert le suicidaire luxe de la division.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Que diable peut-on faire quand on est assiégé dans un territoire misérable, exigu et surpeuplé, véritable souricière sur laquelle s'abattent périodiquement des ouragans de fer et de feu ? C'est simple, on descend sous terre, et c'est exactement ce qu'ont fait, à travers les âges, toutes les résistances à l'oppression.
C'est à la lettre cependant, au sens le plus matériel du terme,...