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Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine MESSARRA

L’autre ou le prochain ?

J'ai toujours été sceptique, méfiant, sans oser le dire dans des milieux académiques, à l'égard de recherches et souvent de palabres à la mode sur l'autre, l'image de l'autre, le problème des stéréotypes, des perceptions mutuelles et de la connaissance dite mutuelle.
Mon engagement pour la paix civile, la convivialité, les relations islamo-chrétiennes, la libanité profonde me faisait percevoir, sans oser le dire face à des recherches fort élaborées, que le problème de l'autre se situe ailleurs. Ni dans la seule connaissance mutuelle ni exclusivement dans les perceptions mutuelles.
La connaissance, quand elle est seulement intellectuelle, ne suscite pas mon intérêt, ni surtout mon engagement. Il y a de l'abstraction, de la réduction, dans la propension de sciences humaines et de programmes sur l'interculturalité et le dialogue interreligieux, à se borner à la notion de l'autre. Il y a surtout le risque d'envisager l'altérité sans y inclure la notion concrète de relation.
C'est là où surgit, avec toute sa profondeur, l'idée vivante du prochain dans le message de Jésus. Le prochain n'est pas l'autre, certes différent, singulier, mais celui avec qui je suis en relation et avec qui j'engage une relation. Avec le prochain, je partage une histoire, une humanité commune, un destin, une responsabilité, une fraternité, un avenir. C'est le prochain qui me libère des identités meurtrières, des racismes à fleur de peau, des exclusions, discriminations et individualités cloisonnées.
Le prochain, notion que des sciences humaines d'aujourd'hui et des programmes à la mode d'interculturalité cherchent à éviter parce qu'il est de source chrétienne, est pourtant au cœur de toute sociologie bien comprise et pas seulement de théologie chrétienne.
Qu'est-ce qui fait société ? Sommes-nous vraiment une société ? Le mot société, de socius, signifie compagnon, c'est-à-dire qui accompagne, avec lequel je suis embarqué et avec lequel j'engage des rapports sociaux.
Sans la relation, l'autre est une abstraction, une singularité conflictuelle. L'autre sans amour n'est-il pas le plus souvent un rival, un concurrent, un adversaire et, dans le moins pire des cas, un gêneur et dans le pire des cas un ennemi ?
Nombre de travaux aujourd'hui en sciences dites humaines sur l'image de l'autre sont vides quand on est sensible à la quête de Beethoven de cet univers spirituel où « les hommes deviennent frères ». Quand on a compris ce que signifient le prochain et l'amour du prochain ou, du moins pour employer un langage appelé neutre mais non moins sociologique, ce que signifient relation (relatio, lien) et société.
J'aurais beau étudier l'islam et le christianisme et toutes les religions. J'aurais beau faire de l'érudition sur ces problèmes. Les rapports vivants et concrets avec l'autre ne seront pas naturellement harmonieux. La conflictualité pourra toujours surgir à mesure que je connais l'autre différent, si différent, trop différent, si je ne regarde que la différence. Même mon épouse et mes enfants avec lesquels je partage la vie deviendraient insupportables avec leurs défauts pas toujours agréables et leurs vertus pas toujours supportables. N'accusons pas Jean-Paul Sartre d'avoir écrit : « L'enfer c'est les autres. » Oui, c'est l'autre, et les autres, sans le prochain, sans la relation, à des niveaux multiples et variables suivant les différents contextes de la vie familiale, du voisinage, du travail professionnel, de la vie nationale et publique...
Il y a eu tellement d'études, une inflation de recherches sur l'autre, l'image de l'autre, la connaissance de l'autre... Heureusement. Mais, parallèlement, les exclusivismes, ostracismes, discriminations et même exterminations se propagent à un rythme accéléré. Pire, un individualisme sauvage lime la vie quotidienne, les rapports dits sociaux et des collectivités autrefois soudées. Le lien social, le public, l'intérêt général se diluent dans un individualisme à outrance menaçant les acquis de la démocratie(1).
C'est le prochain, et non l'autre, qui fait société. C'est le prochain, et non l'autre, même si je le connais bien et trop bien, qui fait le Liban de la coexistence islamo-chrétienne. Si l'autre ne devient pas le prochain, il est et sera toujours l'autre.
C'est dans cet esprit que nous avons envisagé la création, depuis 2007, du master en relations islamo-chrétiennes à l'Université Saint-Joseph, et la création de l'association Gladic (Groupement libanais d'amitié et de dialogue islamo-chrétien). C'est dans cet esprit que travaillera à l'USJ la chaire Unesco d'études comparées des religions, de la médiation et du dialogue. Il appartient en effet au Liban et aux Libanais d'élaborer une théologie du prochain. Et aussi de réhabiliter la vraie sociologie qui est la science de ce qui fait société, c'est-à-dire du prochain avec lequel je suis en relation et avec lequel une relation est engagée pour un avenir commun et partagé.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel, coordonnateur du master en relations islamo-chrétiennes USJ

(1) Coll. « L'individu contemporain » (Regards sociologiques), Paris, éd. Sciences humaines, 2014.
Dominique Schnapper, « L'esprit démocratique des lois », Paris, Gallimard, 2014.

J'ai toujours été sceptique, méfiant, sans oser le dire dans des milieux académiques, à l'égard de recherches et souvent de palabres à la mode sur l'autre, l'image de l'autre, le problème des stéréotypes, des perceptions mutuelles et de la connaissance dite mutuelle.Mon engagement pour la paix civile, la convivialité, les relations islamo-chrétiennes, la libanité profonde me faisait...

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Qu'est-ce qu’une société ? Le produit de l'action des hommes. Sont-ils libres de choisir laquelle ? Non. Qu’on Pose un certain état de leur développement, et on aura telle forme de rapports sociaux. Poser certains degrés de développement, et on aura telle forme de catégories sociales ; telle société civile. Poser celle-ci, et on aura tel état politique qui n'est que l'expression de celle-ci. Voilà ce qu’on ne comprendra jamais, car on croit faire grande chose quand on en appelle de l'État à la société, i.e. du résumé officiel de la société à la société officielle. Ainsi les humains ne sont pas les libres arbitres de leur stade de développement, car il est le produit d'une activité antérieure. Le résultat de leur énergie ; circonscrite par les conditions dans lesquelles ils sont ; est par leur acquis, la forme sociale qui existe avant eux, qui est antérieure. Du fait que toute génération postérieure trouve un développement acquis par la génération antérieure ; matière pour un New développement ; il se forme une connexité dans leur histoire humaine, qui est d'autant + l'histoire de l'humanité que leur développement a grandi. Leur histoire sociale n'est jamais que l'histoire de leur développement individuel, qu'ils en aient conscience ou pas. Leurs rapports réels forment la base de tous leurs rapports, qui ne sont que les formes dans lesquelles leur activité individuelle se réalise.

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

09 h 19, le 01 août 2014

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Commentaires (1)

  • Qu'est-ce qu’une société ? Le produit de l'action des hommes. Sont-ils libres de choisir laquelle ? Non. Qu’on Pose un certain état de leur développement, et on aura telle forme de rapports sociaux. Poser certains degrés de développement, et on aura telle forme de catégories sociales ; telle société civile. Poser celle-ci, et on aura tel état politique qui n'est que l'expression de celle-ci. Voilà ce qu’on ne comprendra jamais, car on croit faire grande chose quand on en appelle de l'État à la société, i.e. du résumé officiel de la société à la société officielle. Ainsi les humains ne sont pas les libres arbitres de leur stade de développement, car il est le produit d'une activité antérieure. Le résultat de leur énergie ; circonscrite par les conditions dans lesquelles ils sont ; est par leur acquis, la forme sociale qui existe avant eux, qui est antérieure. Du fait que toute génération postérieure trouve un développement acquis par la génération antérieure ; matière pour un New développement ; il se forme une connexité dans leur histoire humaine, qui est d'autant + l'histoire de l'humanité que leur développement a grandi. Leur histoire sociale n'est jamais que l'histoire de leur développement individuel, qu'ils en aient conscience ou pas. Leurs rapports réels forment la base de tous leurs rapports, qui ne sont que les formes dans lesquelles leur activité individuelle se réalise.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 19, le 01 août 2014

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