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Moyen Orient et Monde

La disparition de l’État-nation arabe

Des manifestantes ont peint leurs mains aux couleurs des drapeaux du Yémen, de la Libye, de la Syrie, de la Tunisie et de l’Égypte. Gamal Noman/AFP

Dans une région où les crises semblent être la norme, le dernier cycle de violences au Moyen-Orient laisse à penser qu'une évolution de plus grande ampleur se dessine : le début de la dissolution de l'État-nation arabe, reflétée par la fragmentation croissante de l'Arabie sunnite.
Les États du Moyen-Orient deviennent de plus en plus faibles, à mesure que les autorités traditionnelles, qu'elles soient des monarques vieillissants ou des régimes autoritaires laïcs, semblent de plus en plus incapables de répondre aux attentes de leurs citoyens rétifs. Avec l'affaiblissement de l'autorité étatique, les allégeances tribales et sectaires se renforcent.


Que signifie aujourd'hui être irakien, syrien, yéménite ou libanais ? Toute désignation significative semble nécessiter un nom composé – irakien sunnite, syrien alaouite, et ainsi de suite. Comme le démontrent ces exemples, l'identité politique est devenue moins civile et plus primordiale.
Au vu de la situation catastrophique de l'Irak aujourd'hui, l'invasion et l'occupation du pays menée par les États-Unis sont généralement accusées d'avoir involontairement introduit une notion sectaire de l'identité dans ce pays. En fait, le sectarisme a toujours été bien vivant en Irak, mais il est à présent le moteur et le principe d'organisation de la vie politique irakienne.


Lorsque des minorités religieuses ou ethniques ont dirigé des pays – par exemple les sunnites en Irak –, elles ont en général eu tout intérêt à minimiser le sectarisme ou l'ethnicité. Elles sont souvent devenues les principaux défenseurs d'un concept civil plus large d'appartenance nationale, rassemblant en théorie tous les citoyens. En Irak, ce concept était le baassisme. S'il était plus associé à la minorité sunnite qu'à la majorité chiite, il a persisté pendant des décennies comme instrument, bien que cruel et cynique, de l'unité nationale.
Lorsque le parti Baas, et sa doctrine de société civile, a été réduit à néant par l'occupation américaine, aucun nouveau concept civil ne l'a remplacé. Dans le contexte de vide politique qui s'ensuivit, le sectarisme est devenu le seul autre principe d'organisation viable.


Le sectarisme est ainsi devenu le cadre de la politique irakienne, rendant impossible la constitution de partis non sectaires sur la base, par exemple, d'intérêts socio-économiques partagés. En Irak aujourd'hui (abstraction faite des Kurdes), il est rare qu'un sunnite vote pour un chiite, ou inversement. Une compétition existe entre les partis sunnites et entre les partis chiites ; mais rares sont les électeurs à franchir la ligne de démarcation sectaire – une triste réalité qui persistera sans doute dans les années à venir.
Rendre les États-Unis responsables de la situation actuelle en Irak n'est pas totalement infondé (bien que le maintien de l'État baassiste dirigé par Saddam Hussein n'ait pas été une option spécialement attrayante). Le même constat pourrait s'appliquer à la Libye (bien que les États-Unis n'aient pas été à la tête de l'intervention militaire dans ce pays). Mais les États-Unis n'ont pas envahi les autres pays du Moyen-Orient – par exemple le Liban, la Syrie ou le Yémen – où se pose également la question de la survie de l'État.


De nombreuses raisons sont à l'origine de l'affaiblissement des États-nations arabes, la plus récente étant l'héritage du printemps arabe. À ses débuts en 2011, les populations arabes ont manifesté pour demander le départ de régimes autoritaires ou monarchiques perçus comme ayant perdu toute énergie et direction. Mais ces manifestations initiales, souvent dépourvues de chefs de file et de programmes, ont rapidement cédé le pas aux vieilles habitudes.


C'est ainsi qu'en dépit des espoirs présentés par la transition politique en Égypte à la suite du renversement du régime de Hosni Moubarak, qui bénéficiait de l'appui de l'armée, le résultat a été la constitution d'un gouvernement des Frères musulmans dont l'idéologie d'exclusion augurait mal de ses chances de succès à long terme. Dès le départ, la plupart des observateurs ont estimé que ses jours étaient comptés.
Lorsque l'armée a chassé les Frères musulmans du pouvoir un an plus tard, de nombreux Égyptiens, pourtant partisans du mouvement démocratique du printemps arabe, ont approuvé. L'Égypte est le pays de la région dans lequel persiste le plus fermement le sentiment de l'État-nation ; il n'en est pas moins devenu une société fragmentée et divisée à qui il faudra de nombreuses années pour se remettre.


D'autres pays ont connu un sort moins enviable encore. En Libye, la bouffonnerie malfaisante de Mouammar Kadhafi a été remplacée par le tribalisme bédouin dont les différents éléments seront difficilement amalgamés en un État-nation, si tant est que la Libye ait jamais été une nation. Le Yémen est également en proie à des conflits tribaux et à un clivage sectaire qui met l'État en péril. Et la Syrie, une fragile mosaïque de sunnites, d'alaouites, de Kurdes, de chrétiens et autres, ne sera sans doute plus jamais l'État qu'il a un jour été.
Ces évolutions nécessitent une approche politique bien plus large et approfondie de la part des pays occidentaux. Cette approche doit prendre en compte les synergies de la région et ne pas présumer que les changements qui affaiblissent ces États seraient sans relation les uns aux autres.


Les États-Unis en particulier doivent examiner comment ils ont géré l'effondrement de la Syrie et de l'Irak, et cesser de considérer qu'il n'existe aucun lien entre les deux situations. Les États-Unis ont appelé à un changement de régime en Syrie et cherché à stabiliser le régime en Irak ; à la place, ils ont obtenu un État islamique dans les deux pays.

 

Christopher R. Hill, ancien secrétaire d'État adjoint américain pour l'Asie de l'Est, est doyen de la Korbel School of International Studies de l'université de Denver.

 

©  Project Syndicate, 2014. Traduit de l'anglais par Julia Gallin.

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