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Nos Lecteurs ont la Parole - Dr Pierre MICHELETTI et Dr Kamel MOHANNA

Le Liban et la crise syrienne : une situation aussi catastrophique qu’explosive

Les conséquences de la crise syrienne sur le Liban sont multiples, complexes, et mettent à mal un pays qui demeure dans un état de guerre permanent, depuis la guerre civile et l'occupation qui l'a meurtri pendant plusieurs décennies. Même s'ils se trouvent encore quelques conférences internationales pour aborder le contexte libanais, des plus périlleux, le pays du Cèdre est oublié petit à petit. L'un des témoignages de cet aveuglement est la baisse des financements apportés à l'aide humanitaire au Liban. Ainsi, le plan régional de réponse à la crise syrienne, élaboré en coordination entre les ONG, les OIG et le gouvernement libanais, n'a été financé qu'à hauteur de 25 %. D'ores et déjà, sur le terrain, il est question de devoir choisir entre assurer le droit à l'éducation et celui au logement des populations les plus vulnérables.


L'une des principales conséquences du conflit syrien sur le Liban est démographique : plus de 1 500 000 réfugiés syriens (selon le gouvernement libanais, ils seront 2 000 000 d'ici à la fin de l'année), 52 000 réfugiés palestiniens supplémentaires (s'ajoutant aux centaines de milliers de réfugiés palestiniens déjà présents sur le territoire libanais avant la crise syrienne) et quelque 40 000 Libanais qui vivaient jusqu'alors en Syrie et qui ont été contraints de revenir au Liban.


L'impact de la situation est grave, notamment en terme de logement et de santé. La promiscuité et le manque d'espace sont inimaginables et les exemples en la matière sont légion : 20 personnes vivant dans une pièce exiguë, sans accès à l'eau potable et contraintes à dormir à tour de rôle. La pression sur les marchés locaux du travail s'accentue, générant une compétition qui attise la grogne sociale et menace de doubler le taux de chômage d'ici à la fin de l'année. Cela aurait pour conséquence de faire basculer 170000 Libanais sous le seuil de pauvreté, s'ajoutant aux 1,5 million actuellement sous ce seuil. L'accès au logement, aux soins, à l'éducation s'en trouve également menacé, rendant encore plus vulnérables les populations. Les réfugiés syriens représentent maintenant 15 % des patients des hôpitaux, 19 % de la population carcérale (1 prisonnier sur 3 à Beyrouth), et le volume de déchets par jour est passé de 5 à 7,5 tonnes en trois ans. Le faible taux de scolarisation des réfugies syriens (moins de 30 %) ne peut par ailleurs que renforcer les craintes de récupération de ces populations par des milieux extrémistes, et soulever de nouveaux défis sécuritaires (augmentation de la délinquance, de la prostitution, etc.).


Le conflit syrien vient s'immiscer dans le contexte politique déjà instable au Liban. En effet, depuis l'expiration du mandat du président Sleiman, le pays est en situation de vacance présidentielle, peinant à trouver un candidat qui fasse consensus sur la gestion de la question syrienne, et demeure soumis à de nombreux intérêts étrangers. De même, l'implication de forces politiques libanaises dans le conflit syrien a donné lieu à de violents affrontements et a ravivé les tensions communautaires. Cela dans un contexte de recrudescence générale de la violence (attentats à la voiture piégée, explosions, etc.) et de la menace israélienne toujours présente à la frontière sud. L'inquiétante progression de Daech en Syrie et en Irak, et les répercussions qu'elle pourrait avoir sur les pays voisins ne font qu'augmenter les tensions dans la région.
Des statistiques indiquent qu'entre 15 et 20 % des réfugiés actuels ne retourneront pas dans leur pays à la fin du conflit. Au total, le coût du conflit syrien sur le Liban a été estimé à 7,5 milliards de dollars par la Banque mondiale, un chiffre appelé à augmenter.


Les organisations gouvernementales et non gouvernementales doivent s'adapter à ce défi – quitte à amorcer une transformation en profondeur. En effet, l'ampleur de la crise syrienne a mis en lumière les défauts structurels dont souffre le domaine de l'humanitaire depuis quelques années. Le secteur s'est laissé empoisonner par les dérives de surmédiatisation, d'excès de professionnalisme technique, de glissement vers le « charity business » et la « Business Oriented NGOs » (BONGO). Les représentants de cette nouvelle génération ont corrompu la dynamique originelle de l'action humanitaire. De nombreuses ONG internationales sont dorénavant actives au Liban. Certaines, trop rares, tissent des partenariats pérennes avec des ONG locales. D'autres organisations s'évertuent plutôt à prendre la place des ONG libanaises, recrutant leurs employés, mettant en place des projets ne prenant pas en considération les besoins des populations locales.
Aussi affirmons-nous comme primordial un retour aux valeurs humanistes, militantes et solidaires qui firent la beauté de l'aide humanitaire jusque dans les années 1990, un retour aussi à l'humilité financière des organisations internationales et de leurs équipes, en diminuant les dépenses en frais de gestion, sécurité, logistique ou ressources humaines au profit d'une augmentation des fonds directement alloués à l'aide aux populations.


Mais plus que cela, nous souhaitons que les bailleurs et agences internationales fassent de cette réponse à la crise syrienne une opération humanitaire mise en œuvre avec et par les structures locales.
Enfin, nous soutenons la création d'un fonds de rapatriement qui doit être dédié à la reconstruction des infrastructures et à l'offre de services de base, dans les zones où les hostilités ont désormais cessé, afin de faciliter le retour des réfugiés dans leur pays.


L'association Amel souhaite être un promoteur et un catalyseur de ce mouvement au sein de la société civile libanaise. Amel a adopté le slogan « Pensée positive et optimisme permanent », afin de contribuer à la construction d'une société démocratique et prospère au Liban, et de lutter contre les fléaux qui caractérisent le monde arabe, notamment l'absence de stratégie, l'esprit de division, la critique destructive et la mentalité du tout ou rien.


De manière plus spécifique, l'association Amel a lancé en 2012 un programme compréhensif de réponse d'urgence à la crise des réfugiés syriens au Liban. Amel a fourni plus de 350000 services aux populations affectées dans le secteur de la santé, de l'éducation, de la protection de l'enfance ou du renforcement des moyens de subsistance. À travers ses 24 centres et 6 cliniques mobiles impliqués dans la réponse à la crise, Amel a maintenu une présence permanente même dans les régions et aux moments les plus sensibles. La longue implantation de l'association dans les communautés libanaises a permis l'acceptation de l'aide destinée aux réfugiés syriens, tout en prenant en considération les besoins des populations locales et en favorisant la cohésion sociale entre la population d'accueil et les réfugiés. De ce point de vue, Amel adopte à travers ses programmes une approche basée sur les besoins de toutes les populations affectées par la crise syrienne, qu'il s'agisse des réfugiés syriens ou des communautés hôtes, et ce notamment afin de limiter les tensions.


En conclusion, nous devons transformer la machine humanitaire internationale qui consomme plus de ressources qu'elle ne produit de résultat, et revenir, pour le salut du Liban et de la Syrie, à un humanitaire solidaire et raisonné. Des partenariats d'égal à égal doivent être mis en place entre les gouvernements, les acteurs internationaux et les ONG locales qui, comme Amel, sont les mieux à même de répondre aux défis de terrain.

 

Dr Pierre MICHELETTI, ancien président de Médecins du monde.
Dr Kamel MOHANNA, président-fondauteur d'Amel

Les conséquences de la crise syrienne sur le Liban sont multiples, complexes, et mettent à mal un pays qui demeure dans un état de guerre permanent, depuis la guerre civile et l'occupation qui l'a meurtri pendant plusieurs décennies. Même s'ils se trouvent encore quelques conférences internationales pour aborder le contexte libanais, des plus périlleux, le pays du Cèdre est oublié petit...

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