Rechercher
Rechercher

Diaspora - Diaspora

Au Mississippi Delta, le mélange presque parfait de la kebbé et du patrimoine local

C'est le lieu de naissance et la capitale mondiale du blues. Mais au Larksdale Mississippi, quelques restaurants appartenant à des émigrés d'origine libanaise ont trouvé des niches. Certains relatent leur histoire, qui est celle de l'émigration dans cette partie des États-Unis.

Pat Davis dans son restaurant du Mississippi.

«Kebbé, kebbé, kebbé.» Ce mot aurait été crié trois fois par un émigré syrien débarqué aux États-Unis dans les années 1920 et ne connaissant aucun mot d'anglais. Il a pensé solliciter de l'aide en prononçant ce mot magique. Voilà une des anecdotes qui expliquent pourquoi, pour certains, l'histoire de l'émigration libanaise au sud des États-Unis semble quasiment liée à ce plat de viande bien typique.

Un émigré libanais au Missisipi Delta nous explique que depuis l'arrivée des Libanais, il y a une centaine d'années, une habitude est ancrée chez ces migrants: se regrouper chaque dimanche et s'entraider afin de préparer la viande dans une grande casserole. «Nous bénissions le plat et nous le chérissions comme si c'était un membre de notre famille », se souvient-il. Aujourd'hui, même s'ils sont devenus très peu nombreux – un peu moins qu'une centaine – les Américains d'origine libanaise continuent d'attribuer de l'importance à leurs habitudes culinaires.

(Lire aussi : « Le Liban doit montrer au monde ce qu'il est réellement »)

Pat Davis, dont le grand-père est arrivé de Zahlé dans les années 1900, a hérité d'un fameux restaurant que son père avait ouvert en 1924. Certes, sa spécialité est loin d'être les feuilles de vigne et les kebbés. Ces plats ne sont servis que sur demande des clients et lors de certaines occasions. Mais Pat continue à préparer la cuisine de ses ancêtres surtout, dit-il, lorsqu'il est déprimé. Les autres jours de la semaine, la place est donnée aux fritures, au barbecue, aux tamales. «Nous avons opté pour cette formule en partie pour ne pas entrer en compétition directe avec nos compatriotes », note Pat.

Il veut parler des Chamoun, Chafik et Louise, propriétaires du «Haven». Au sein de ce restaurant, les cuisines libanaise, italienne et américaine sont à l'honneur. Ainsi, les plats libanais se combinent aux spaghettis, à la lasagne et aux raviolis. Mais c'est de la gastronomie de leur pays d'origine que les Chamoun sont le plus fiers. « Tous ceux qui se rendent chez nous raffolent du hommos, de la kebbé, disent-ils. Qu'ils soient des clients de passage ou des réguliers de la région, tous ne tarissent pas d'éloges à notre égard. »

Ce succès, les propriétaires du « Haven » le doivent à leur longue expérience dans le domaine de la restauration. Pour eux, tout débute après leur arrivée en 1954. Chafik emprunte alors une valise et cinquante dollars de crédit auprès d'un grossiste de vêtements. Il travaille en tant que colporteur pendant des années jusqu'à l'ouverture de son épicerie dans les années 1960, à Clarksdale. À l'heure du déjeuner, ses clients remarquent que l'ex-colporteur déguste avec appétit un sandwich étrange préparé avec soin par Louise. Après avoir goûté cette bizarrerie appelée « kebbé », tous en redemandent à Louise. Chafik installe alors des tables et des chaises à l'intérieur du magasin pour accueillir les amoureux de la kebbé, tout fier de ce succès inattendu.

(Pour mémoire : Philippe Ziade, une star de l'immobilier à suivre jusqu'au Nevada)

Les « seuls à servir des Noirs »
C'est donc dans cette épicerie que les adeptes des enfants du pays, tels que l'écrivain William Faulkner ou le dramaturge Tennessee Williams, aiment manger. Idem pour les amoureux du blues, ajoute Chafik.
Même chose aussi pour le restaurant de Davis. En 1924, lorsque le père de Pat préparait des barbecues, le fameux bluesman Robert Johnson était souvent présent. Pat nous relate même que c'est dans ce restaurant que « Johnson a fait un pacte avec le diable pour jouer de la bonne musique blues ».

Autre réalité dont il est fier, c'est l'adoption de la culture afro-américaine de la région par les émigrés d'origine libanaise. Dans le quartier où il a grandi, il y a avait des membres de sa communauté, des Italiens mais aussi des Afro-Américains. « Tina Turner et Ike Turner ont travaillé pour mon oncle à une époque, souligne-t-il. Nous avons côtoyé tous ces gens. » Pat se souvient également que lors du mouvement des droits civiques dans les années 1960, leur restaurant a été l'un des seuls de la région à servir les Noirs. « En 1965, un groupe de jeunes Noirs s'est rendu à divers restaurants pour tenter de se faire servir, en guise de test, et nous étions les seuls à l'avoir fait », dit-il non sans fierté.

Aujourd'hui, des années plus tard, les Noirs n'ont rien oublié de cette histoire. Ils n'hésitent pas à dire tout le bien de ces Libano-Américains qui leur ont tendu la main depuis des décennies.


Pour mémoire

Saint Charbel en Ukraine : « Toucher les miracles »

Leila Tannous, première voix féminine de la BBC en arabe

«Kebbé, kebbé, kebbé.» Ce mot aurait été crié trois fois par un émigré syrien débarqué aux États-Unis dans les années 1920 et ne connaissant aucun mot d'anglais. Il a pensé solliciter de l'aide en prononçant ce mot magique. Voilà une des anecdotes qui expliquent pourquoi, pour certains, l'histoire de l'émigration libanaise au sud des États-Unis semble quasiment liée à ce plat...