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Liban - Initiative

Un ministère des Droits de l’homme au Liban ?

La psychanalyste Reina Sarkis, à l'origine du projet, y voit une nécessité nationale face à la longue liste des violations des droits de l'homme au pays du Cèdre.

Le 3 juin, des intellectuels libanais de différents domaines se sont réunis pour discuter de la création du ministère.

Détenus torturés en prison, femmes battues, citoyens privés d'eau et d'électricité, réfugiés laissés à leur propre sort, artistes sous l'emprise de la censure et journalistes qui paient fort le prix d'une liberté d'expression souvent piétinée, la liste des violations des droits de l'homme au Liban est assez longue.

Selon les classements du Réseau arabe d'ONG pour le développement, le pays du Cèdre n'occupe que la 106e place mondiale en ce qui concerne la protection des droits de l'homme. Et si la société civile tente de combler le vide laissé par les autorités étatiques qui manquent clairement à leur devoir sur ce plan, les efforts des ONG restent pour de nombreux Libanais insuffisants, voire incapables de remplacer une institution publique en bonne et due forme. C'est le cas de Reina Sarkis, psychanalyste qui a longtemps œuvré pour le respect des droits de l'homme à travers son travail, notamment en établissant un programme de thérapie de groupe pour les victimes de la torture. Cofondatrice de deux organisations qui visent à étudier les moyens de réforme en politique, la jeune psychanalyste a aujourd'hui en tête une initiative d'un tout autre genre, celle de créer un nouveau ministère des Droits de l'homme au Liban.

« Ce n'est pas une idée qui m'a illuminée soudainement, explique Reine Sarkis à L'Orient-Le Jour. Je suis une personne qui travaille sur le terrain et qui a déjà collaboré avec de nombreux individus et groupes. Avec le temps, l'on réalise qu'il y a tellement d'initiatives, de bonne ou de mauvaise foi, de la part de la société civile qui est très active, mais le gouvernement est toujours le grand absent. Au Liban, la crise des droits de l'homme est grave. Pas un article des conventions signées par le Liban à ce sujet n'est respecté, et les violations apparaissent à tous les niveaux. Pas un citoyen au Liban ne se sent pas lésé au niveau de ses droits fondamentaux. » « Où est le gouvernement dans tout ça ? s'interroge Reina Sarkis. Ce ne sont pas les ONG qui manquent. Elles sont même parfois en compétition. La solution ne serait pas de créer une nouvelle association, mais bien un ministère, une institution officielle. Face à un tel problème national, il faut une réponse de taille, et je m'étonne qu'un tel projet n'ait jamais été jusqu'alors proposé. »

Sortir du déni

Selon le livret élaboré par la psychanalyste pour expliquer son initiative, le nouveau ministère devrait promouvoir les valeurs du respect des droits de l'homme, de coordonner les efforts des ONG locales et internationales, demander des comptes à ceux qui violent les conventions internationales et de tenter de s'atteler aux différents dossiers les uns après les autres. « Il s'agit d'adopter un agenda réaliste, bien sûr, et de chercher des résultats mesurables, assure Reina Sarkis. Créer ce ministère, toutefois, est avant tout une prise de position, une déclaration de la part de l'État qu'il est en phase avec ses prétentions d'adhérer à la Charte des droits de l'homme, de montrer qu'il se soucie. C'est en fait sortir du déni et avouer qu'il existe bel et bien un problème qui nécessite une politique nationale. » « Si jamais ce ministère a une marge d'action minime, il pourra au moins évaluer la situation, la présenter telle qu'elle et en assumer la responsabilité », ajoute-t-elle, affirmant que le travail du ministère n'empiétera pas sur l'action de celui de la Justice. « Les deux ministres se compléteront pour l'intérêt public et l'intérêt commun du citoyen, mais les droits de l'homme méritent un ministère à part entière, qui se doit d'être indépendant, bien évidemment », précise-t-elle, citant l'exemple du Pakistan où les deux ministères ont été fusionnés, au grand mécontentement des ONG et de la communauté internationale qui y ont vu une tentative de paralyser le ministère des Droits de l'homme.

En effet, plus de dix pays ont témoigné dans le monde de la création d'un ministère similaire, comme la Nouvelle-Zélande, le Brésil, le Yémen et l'Indonésie. Afin de permettre la mise en place de ce nouveau portefeuille ministériel, un décret présidentiel ou ministériel est requis, mais Reina Sarkis trouve qu'il est encore tôt pour proposer son adoption aux différents blocs politiques. Pour l'instant, elle tente de disséminer l'idée parmi les activistes de la société civile et des personnes influentes au pays du Cèdre. Le 3 juin, elle a réuni dans sa traditionnelle bâtisse de Mar Mikhaël une trentaine d'intellectuels, d'artistes, de journalistes et d'hommes d'affaires qui ont débattu du projet, notamment la cinéaste Nadine Labaki, le PDG de la LBCI Pierre Daher, la chanteuse Yasmine Hamdane et la journaliste réputée Raghida Dergham. « Les participants étaient très enthousiastes. Certains ont exprimé des réserves en estimant que ce ministère sera miné par la corruption, mais je ne pense pas que ce soit une raison valable pour annuler le projet, qui mérite une chance », confie-t-elle, affirmant que les responsables politiques ne pourront pas refuser une telle initiative et qu'elle les sollicitera en temps voulu. « Je dois tout d'abord faire parler du projet qui a déjà suscité l'attention de nombreux médias, et cela n'est pas facile étant donné que je suis une personne discrète de par mon métier. Il n'est pas par ailleurs question de fonder un groupe qui se réunisse chaque semaine et qui finisse par pondre un communiqué de presse après un an sans action concrète. J'essaie de faire les choses autrement et je suis confiante », avoue Reina Sarkis. Et si la psychanalyste refuse de proposer dès lors le nom d'une personne qui pourrait diriger le ministère, elle répond perplexe à la question de savoir quel sujet un tel ministère devrait d'abord traiter : « On ne sait vraiment pas par où commencer, dit-t-elle. Tellement de violations sont commises, et s'occuper d'une cause n'empêche pas de traiter d'une autre. Entre les détenus qui ont des droits fondamentaux que l'on oublie, les femmes battues, la discrimination sexuelle, ce n'est pas le travail qui manque. La dignité de tout être humain est chose sacrée, et nous ne gagnerons pas à garder le mutisme. »


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Détenus torturés en prison, femmes battues, citoyens privés d'eau et d'électricité, réfugiés laissés à leur propre sort, artistes sous l'emprise de la censure et journalistes qui paient fort le prix d'une liberté d'expression souvent piétinée, la liste des violations des droits de l'homme au Liban est assez longue. Selon les classements du Réseau arabe d'ONG pour le développement,...

commentaires (1)

C'est urgent ! et cela serait un geste de salubrité novatrice ! dans ce pays ou tout le monde , de l'administration ou du civil ventouse 'compromis' ...Veut vendre l'image in qui colle ...! à il est beau et tout le monde il est gentil ...! alors que la réalité masquée par cet enfumage sociétal .... est sordide....!

M.V.

13 h 10, le 28 juin 2014

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Commentaires (1)

  • C'est urgent ! et cela serait un geste de salubrité novatrice ! dans ce pays ou tout le monde , de l'administration ou du civil ventouse 'compromis' ...Veut vendre l'image in qui colle ...! à il est beau et tout le monde il est gentil ...! alors que la réalité masquée par cet enfumage sociétal .... est sordide....!

    M.V.

    13 h 10, le 28 juin 2014

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