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Liban - Société

Dans le Akkar, pendant le Mondial, le cœur de Beit Mellet bat un peu plus fort au rythme du Mexique

Dans le village de Beit Mellet, au Akkar, tout le monde soutient Miguel Layùn, produit de l'émigration libanaise et numéro 7 de l'équipe mexicaine engagée dans la Coupe du monde de football.

Devant la municipalité de Beit Mellet, un drapeau du Mexique. Miguel Layùn, un produit de l’émigration libanaise, est en effet le numéro 7 de l’équipe mexicaine engagée dans la Coupe du monde de football. Photos Nour Braïdy

Ce soir-là, un grand écran est installé sur un mur de la salle du rez-de-chaussée de la municipalité de Beit Mellet, un village du Akkar (Liban-Nord). Au programme, le Mondial de football, avec Croatie-Mexique... Deux équipes qui ne figurent pourtant généralement pas au top 5 des équipes soutenues par les fans de foot libanais. Beit Mellet a toutefois un intérêt particulier pour ce match. Cet intérêt a un nom, Miguel Layùn, le numéro 7 de l'équipe mexicaine, un jeune homme dont la famille est originaire de Beit Mellet. Pour l'occasion, le village, qui comporte quatre quartiers et donc quatre églises, est pavoisé aux couleurs du Mexique.

Dans la salle de la municipalité, des posters à l'effigie de Miguel ont été accrochés. Devant le grand écran, les téléspectateurs sont prêts. Alors, lorsque l'électricité se coupe, le prêtre du village se veut rapidement rassurant : « Ne vous en faites pas, nous avons tout ce qu'il faut. »

Ici, tout le monde connaît l'histoire de Miguel, de ses parents et de ses grands-parents... En ce soir de match de la Coupe du monde, nombre d'habitants de Beit Mellet se trouvent même des liens de parenté avec lui. « Nos grands-pères sont de la même famille », dit Georges Semaan, l'un des moukhtars, qui précise que c'est le grand-père de Miguel qui a émigré au Mexique.
« Nous sommes fiers de Miguel et fiers des Libanais qui sont au Mexique et qui ont levé haut le nom du Liban », dit M. Semaan, aux côtés du père Mtanios Saba. « Sans Miguel, nous n'aurions jamais vu de journalistes ici, ajoute le prêtre. Avec Miguel dans l'équipe mexicaine, c'est comme si le Liban participait à ce Mondial ! »

 

 

 



Le grand-père de Miguel fait partie des milliers de Libanais de Beit Mellet qui ont émigré au Mexique. Au village, leur histoire est connue de tous. Les habitants de Beit Mellet ont émigré par vagues, d'abord à l'époque ottomane, puis lors de la Première Guerre mondiale et, enfin et surtout, lorsque le 11 septembre 1975, pendant la guerre civile, le village est entièrement brûlé par des éléments armés. « Des gens sont morts, d'autres sont partis à Beyrouth, au Kesrouan, d'autres ont voyagé au Mexique. Ils prenaient un bateau à partir du port de Beyrouth en pensant aller au Brésil... Ils ont eu peur de rester à Beit Mellet », raconte Georges Saïfi, le président de la municipalité.

« Les raisons de l'émigration, comme partout ailleurs, sont d'abord des raisons économiques. Et quand ceux qui restent voient la réussite de ceux qui ont émigré, ils veulent eux aussi partir », explique le prêtre. Si l'on rajoute aux manques d'opportunités économiques au Akkar, une instabilité sécuritaire et politique, les incitations au départ sont nombreuses.
Selon l'homme de religion, « 5 000 à 6 000 Libanais originaires de Beit Mellet vivent actuellement au Mexique », mais « la moitié n'a même plus la nationalité libanaise ».

 

(Pour mémoire: « Notre club compte des musulmans et des chrétiens. La Coupe du monde unit les Libanais »)

Les émigrés au Mexique originaires de Beit Mellet occupent une place privilégiée dans le cœur de ceux qui sont restés au pays. Le prêtre est heureux de voir qu'ils viennent passer leurs vacances d'été au village. Pour lui, il n'est pas mauvais que les Libanais émigrent, à condition qu'ils n'oublient pas le Liban.

Mais à force d'émigration, le village est aujourd'hui assez vide. Seulement 75 maisons du village sont habitées toute l'année, indique le prêtre. « Mais chaque été, 30 à 40 familles reviennent ici », ajoute son frère Saba Saba, assurant que « les Libanais du Mexique et d'ailleurs s'occupent beaucoup du village ». « Cet immeuble-là, poursuit M. Semaan en pointant le bâtiment de la municipalité, c'est eux qui l'ont construit, à l'instar des églises et des écoles. » « Les "Mexicains" donnent des bourses, des ambulances, ils construisent le village... » renchérit Semaan Nader, second moukhtar de Beit Mellet. « Grâce à eux, l'activité économique du village est en marche », ajoute le prêtre. « On dit que sans eux, le village aurait disparu depuis longtemps, ils font en sorte que les étrangers n'achètent pas nos terres », confie aussi Elissa, 17 ans, pour justifier l'engouement des aînés.

L'heure du match a sonné. La majorité des habitants du village sont sagement assis et prêts à regarder jouer l'enfant du village, qui n'y est pourtant même pas né. « Lors de la messe, dimanche, je leur ai dit que je voulais tous les voir ici ce soir ! » lance le prêtre en riant.

Dès que Miguel Layùn apparaît sur le grand écran, applaudissements et vuvuzelas résonnent dans la municipalité. Enfants, adolescents et parents sont tous réunis pour l'occasion. Même le doyen du village, Moussa Saïfi, 94 ans, est là, appuyé sur sa canne, avec une casquette de l'équipe anglaise. Ceux venus du Mexique pour passer les vacances à Beit Mellet ont habillé leurs enfants du maillot de leur équipe favorite. Les enfants du village, eux, portent des maillots du Brésil ou de l'Allemagne. « Nous n'avons pas trouvé le maillot du Mexique », expliquent-ils.

À l'issue de la première mi-temps, plutôt calme, le score est de 0-0. Dans l'assistance, certains sont déçus de ne pas voir un peu plus d'action dans le jeu. Les cigarettes s'allument, les narguilés se font de plus en plus nombreux. Le match reprend. À la 71e minute, un but de l'équipe mexicaine réveille le public. À la 72e minute, la Croatie se rapproche du but, tout le monde retient son souffle. À la 74e minute, la Verde marque à nouveau. Dans la salle de la municipalité de Beit Mellet, la température monte encore un peu. À la 75e minute, le courant coupe, dans la salle, on s'impatiente, mais la pelouse réapparaît rapidement sur l'écran. À la 81e minute, nouveau but pour le Mexique. C'est l'euphorie totale à tel point que le but de la Croatie et la nouvelle de l'explosion à la banlieue sud de Beyrouth, où une voiture piégée explose peu avant minuit, sont totalement ignorés. La joie est trop grande pour s'y attarder...


À la fin du match, alors qu'il est bien tard, décalage horaire oblige, chacun rentre chez soi. Sur le chemin du retour, Sébastien, 6 ans, et sa cousine Catherina énumèrent les pays qu'ils vont visiter lorsqu'ils seront grands. Hanna, 16 ans, pense déjà qu'il ira rejoindre ses frères en France. « Comme mon mari dit toujours, nous sommes les gardiens du village », confie Rima, la femme du prêtre.

 

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