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La loi électorale - Analyse sur la loi électorale (avant l'accord de Doha)

Loi électorale II - Majoritaire ou proportionnelle : quel choix pour le Liban ?

Choisir un mode de scrutin implique en règle générale, pour ceux qui ont à opérer ce choix, d’avoir en vue deux objectifs, ou plutôt un objectif double : qui faire élire et qui écarter d’emblée. Le reste est (mauvaise) littérature. Certains verront sans doute dans cette présentation quelque peu tranchée une conception pessimiste, radicale ou blasée de la question. Il n’en est rien. On peut, sans crainte de la contradiction, faire ce constat et être un fervent croyant dans la réalité vivante de la démocratie et de son corollaire direct qu’est la votation. Ce qui distingue une démocratie authentique d’un système dictatorial, autocratique et/ou totalitaire, ce n’est pas uniquement la présence d’une aire de liberté dans la première et son absence dans le second. Tous deux imposent des limites au champ politique de la société et de l’individu, mais l’un le fait horizontalement, l’autre verticalement. En clair, cela signifie que, dans une démocratie, ce sont les acteurs dominants tous ensemble, au pouvoir et dans l’opposition, qui décident de manière conventionnelle – expressément ou tacitement – où placer la barre entre ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas ; autrement dit, en matière électorale, qui peut être élu et qui ne le peut pas. Sous une dictature, c’est le détenteur du pouvoir et lui seul qui le fait. Un exemple illustre parfaitement cette explication : alors qu’il détenait plus de trente sièges à l’Assemblée nationale au milieu des années quatre-vingt, à l’issue d’un scrutin pourvu à la proportionnelle, le Front national de Jean-Marie Le Pen perdit tous ses députés lors des consultations suivantes, alors même que son audience populaire gonflait, dépassant parfois les 15 % de l’électorat français. Pourquoi ? Simplement parce que, dans l’intervalle, on avait décidé de revenir à la majoritaire à deux tours, un mode de scrutin qui se révéla impitoyable pour le FN, dans la mesure où il lui imposait, arithmétiquement, de contracter des alliances pour être en mesure de remporter des sièges. Or personne, ni à gauche ni à droite, ne voulait d’une alliance avec lui. Dans l’esprit de ceux qui se liguèrent pour ainsi mettre au ban le Front national, c’est-à-dire les 80 à 85 % de Français qui lui étaient hostiles, il y avait d’abord et surtout un souci de protéger la démocratie et les valeurs de la France. Après tout, si les Allemands avaient fait la même chose en 1933, un certain Adolf Hitler n’aurait peut-être pas accédé au pouvoir, en tout cas pas démocratiquement. Au Liban, les tuteurs syriens usèrent et abusèrent de telles pratiques au cours de la précédente décennie. Ils ne le firent pas conventionnellement et certainement pas pour protéger les valeurs démocratiques du Liban. Toute la différence est là. À l’équilibre politique libanais traditionnel, passablement préservé par le système électoral en vigueur avant la tutelle syrienne, ils voulurent substituer un autre, plus propice à leurs intérêts. À cette fin, ils n’eurent pas même besoin de modifier le mode de scrutin, la majoritaire plurinominale en vigueur depuis toujours au Liban étant elle-même une porte ouverte à tous les abus. Ils se contentèrent donc d’agir sur le découpage des circonscriptions. Ce fut grandement efficace. Partout dans le monde, la manipulation des ciseaux électoraux est une affaire grave. À plus forte raison dans un pays comme le Liban. Aujourd’hui même, il est possible, rien qu’en redessinant la géographie électorale libanaise avec quelques subtilités par-ci ou par-là, de donner d’emblée la majorité à la Chambre aux uns ou aux autres, quelle que soit la réalité sur le terrain. Avec les conséquences que l’on imagine. Peu avant l’assassinat de Rafic Hariri, le gouvernement Karamé et son ministre de l’Intérieur, Sleimane Frangié, avaient concocté un projet de loi « bien dosé », se fondant théoriquement sur le système des cazas de 1960. En apparence, le tuteur syrien pouvait ainsi se targuer d’être généreux au point de prendre en compte les exigences du patriarche maronite et de l’opposition de l’époque, tout en cherchant en réalité à préserver ses intérêts. Car ce projet renfermait, à Beyrouth, un petit piège antiharirien capable à lui seul de donner la victoire aux protégés de Damas et d’Émile Lahoud. La capitale avait en effet été divisée en trois circonscriptions, comme en 1960 (verticalement), puis en 2000 (horizontalement). Sauf que, cette fois-ci, on créa de toutes pièces une circonscription sans continuité géographique, formée des quartiers de Rmeil, Medawar, Bachoura et Zokak el- Blatt, et dotée de 9 sièges. Pour qui connaît la démographie électorale de Beyrouth, il est clair que là se jouait le sort de tout le scrutin. L’objectif était de subtiliser à Hariri les neuf sièges ou au moins la quasi-totalité d’entre eux, les électeurs chiites et arméniens, supposés antihaririens, formant ensemble une petite majorité des inscrits dans cette circonscription. À l’époque, Hariri riposta en relevant le défi : il déplaça sa propre candidature à cette circonscription, dans un geste destiné à montrer qu’en s’y présentant personnellement, il garantissait une mobilisation de son électorat telle qu’il devenait impossible pour lui d’être battu. Cette audacieuse décision ne manqua pas d’impressionner ses adversaires et de les embarrasser au point qu’ils commençaient à douter de la possibilité d’une victoire contre lui. C’était quelques semaines avant son meurtre… Mais tout le monde n’est pas Rafic Hariri pour être capable de défier ainsi celui qui tient les ciseaux. Aujourd’hui, les Syriens ne sont plus là (en tout cas pour découper des circonscriptions à leur guise), ce qui rend plus difficile, dans le contexte actuel, tout accord interlibanais sur une réforme électorale. Le projet Boutros, censé plaire à tout le monde à la fois, ne plut finalement à personne. Cela était prévisible, dans la mesure où la tâche confiée à la commission présidée par l’ancien ministre était tout simplement impossible. Que faire alors ? Rien, sinon continuer à théoriser sur les divers systèmes électoraux, en attendant qu’un contexte politique favorable permette un jour aux Libanais de faire le choix le moins mauvais. D’ores et déjà, trois grandes possibilités s’ouvrent, intellectuellement parlant : maintenir la majoritaire plurinominale, en modifiant de temps en temps le découpage, opter pour la majoritaire uninominale ou enfin se lancer dans la proportionnelle. La première option, héritée d’errements passagers de la IIIe République française, nous ne la connaissons que trop pour l’avoir pratiquée longtemps. C’est, de loin, la plus mauvaise, la plus confuse et la plus obsolète des trois. Plus aucune vraie démocratie dans le monde ne la pratique aujourd’hui. L’argument généralement avancé en sa faveur au Liban est qu’elle est mieux adaptée aux réalités du pays. Il faudrait ajouter : aux réalités clientélistes dans ce pays. S’il existe un mode de scrutin dans lequel presque tout peut être décidé en amont du vote, c’est bien celui-là. Et naturellement, plus la taille de la circonscription est grande, plus cette caractéristique s’aggrave. En réalité, l’unique explication valable pour le maintien de ce système réside d’abord dans la difficulté de mettre en place les deux autres, dans un pays où, pour nommer un balayeur de rues, il faut presque aller jusqu’au Conseil de sécurité, et, ensuite, parce qu’on leur prête des possibilités de bouleversement telles que personne n’ose sérieusement s’y aventurer. La majoritaire uninominale est, en effet, d’un accès très ardu, puisqu’il faudrait tailler autant de circonscriptions que de sièges. Mais elle est loin d’être impossible, en cas de consensus politique. Son principal avantage est, quoi qu’on dise, de clarifier d’une façon maximale la représentation politique, à défaut de la rendre totalement juste (l’exemple du FN). Loin d’effacer la réalité clientéliste, elle la divise, et donc… la démocratise. De fait, on n’a plus besoin d’être millionnaire, ni de posséder un arsenal militaire pour pouvoir remporter un siège. Mais surtout, sa spécificité est de rendre sa place à chaque député, désormais comptable uniquement devant ses électeurs. Au Liban, une telle évolution est actuellement souhaitable. On reproche d’abord à la majoritaire uninominale de favoriser le système confessionnel. Cela est vrai dans une certaine mesure, mais c’est justement la raison pour laquelle elle « colle » mieux à la réalité et permet donc de la maîtriser plus efficacement. En outre, des experts estiment qu’au Liban un tel système ramènerait le niveau de représentation d’un député à celui d’un président de municipalité. L’argument ne tient pas, en raison de la différence fondamentale des mandats électifs en question. D’abord, on ne peut pas dire aujourd’hui qu’un député de Beyrouth vaut le 1/19e du président du conseil municipal de la capitale. D’autre part, en Suisse, les cantons, dont certains ont une population ne dépassant pas quelques dizaines de milliers d’habitants, sont eux-mêmes divisés en plusieurs districts, lesquels sont dotés chacun de plusieurs sièges législatifs. Reste la proportionnelle. En règle générale, c’est naturellement le plus « juste » de tous les systèmes, puisqu’il reflète le plus fidèlement possible l’état de l’opinion. On lui attribue aussi l’avantage (ou l’inconvénient, selon les cas), d’effacer quelque peu l’individu au profit du programme. Mais cela ne serait pas véritablement le cas au Liban, dans la mesure où, en l’absence de partis fortement structurés capables de présenter des listes hiérarchisées, il faudrait imposer à l’électeur deux opérations : il ou elle doit d’abord voter pour la liste de son choix, et ensuite opérer un vote préférentiel à l’intérieur de la liste. Mais il y a autre chose de plus pernicieux avec ce mode de scrutin s’il est appliqué au Liban. Certes, le découpage y est beaucoup plus aisé que dans le cas de la majoritaire uninominale, comme le démontrent des projets sérieux et équilibrés réalisés dernièrement. Le problème, c’est que ce ne serait pas à proprement parler une proportionnelle, dans la mesure où, en raison de l’impératif de répartition confessionnelle, les proportions devraient être obligatoirement faussées dans de très nombreux cas. C’est un bel euphémisme de dire que, par les temps qui courent, une réflexion sereine au sujet de la prochaine loi électorale au Liban est un luxe hors de portée. Dans la meilleure des hypothèses, nous assisterons à un replâtrage de la loi de 1960, pivot autour duquel tournent actuellement les polémiques. Il restera à voir dans quel sens ce replâtrage aura lieu. Prochain article : À vos marques ! Prêts ?… Reculez !
Choisir un mode de scrutin implique en règle générale, pour ceux qui ont à opérer ce choix, d’avoir en vue deux objectifs, ou plutôt un objectif double : qui faire élire et qui écarter d’emblée. Le reste est (mauvaise) littérature. Certains verront sans doute dans cette présentation quelque peu tranchée...