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Économie - Par Toufic GASPARD, économiste

L’économie-politique du Liban à court terme (première partie)

« Nous autres, ministres et députés, avons corrompu l'administration. »
Fouad Siniora

Deux dangers imminents menacent le Liban, l'un existentiel, l'autre financier. Les éviter devrait constituer la priorité absolue de toute autorité politique.
Une première question s'impose : comment se fait-il que les responsables politiques libanais se soient jusqu'à présent abstenus de traiter le problème des déplacés syriens, un problème sans précédent qui menace non seulement la stabilité politique et économique du pays, mais aussi l'existence même de l'entité libanaise ? Selon une récente déclaration du ministre de l'Intérieur, le nombre réel des déplacés syriens avoisinerait désormais un million quatre cent mille personnes, et cela sans compter les quelques centaines de milliers de Syriens travaillant et résidant au Liban depuis plusieurs années. En somme, le nombre de Syriens, déplacés et résidents confondus, constituerait près du tiers de la population résidente du pays ! Cette situation, jusqu'ici inconnue de toute nation, est une bombe à retardement sur les plans politique et social, menaçant aussi bien l'identité que l'existence de l'entité libanaise.
Et tandis que le nombre de déplacés ne cesse d'augmenter de jour en jour et que les suggestions pour y faire face prolifèrent, aucune mesure effective n'a encore été prise sur le terrain. Pourquoi ?
La réponse est claire. Les responsables libanais ne sont pas en contact direct avec les déplacés, leur situation financière et leur train de vie quotidien ne risquent pas d'être affectés par leur présence. C'est pourquoi l'afflux de déplacés syriens n'est pour eux qu'un problème abstrait. En revanche, ce sont les Libanais pauvres ou aux revenus modestes qui sont en contact avec les déplacés syriens pauvres qui leur disputent leur gagne-pain. Car la concurrence est forte, particulièrement dans beaucoup de secteurs d'activité pour la main-d'œuvre libanaise, comme dans le petit commerce, la restauration rapide, les transports en commun ou encore au sein de beaucoup d'institutions de services, comme les stations d'essence, sans mentionner les secteurs agricole et industriel. Ajoutons à cela que la concurrence que subit la main-d'œuvre libanaise tourne d'autant plus à l'avantage des déplacés syriens que nombre d'employeurs libanais – dont il faut souligner la grande responsabilité dans ce contexte – ne craignent pas de profiter de la situation, embauchant ainsi un Syrien à moindre coût tout en échappant à l'obligation de verser des cotisations à la Sécurité sociale.
Ce problème exceptionnel doit être résolu par un responsable. Malheureusement, la Constitution stipule que le pouvoir exécutif est du ressort du Conseil des ministres en tant qu'entité indissociable. Cela signifie que, dans les faits, on ne peut attribuer la responsabilité de telle décision ou telle autre à quiconque en particulier, de sorte que tout politicien pourra reprocher à un « autre » toute faute ou tout manquement. Le système politique actuel, sans tête discernable, réduit ainsi le Liban au statut d'orphelin.
Le second danger qui nous guette est de nature financière. La dette du gouvernement a atteint un niveau alarmant qui menace désormais la stabilité tant financière que monétaire du pays. Cette dette est la résultante d'une accumulation de décisions politiques ainsi que d'un gaspillage soutenu depuis le début des années 90 dont sont responsables les deux camps dits du 8 et du 14 Mars réunis, ainsi que tous ceux qui ont participé au pouvoir au cours de cette période.
Pour mesurer quelques-unes des conséquences de ces politiques, considérons les chiffres officiels suivants : les gouvernements qui se sont succédé entre 1993 et 2013, soit pendant 21 ans, ont dépensé l'équivalent d'environ 166 milliards de dollars, dont 9 % seulement en investissements. Et 6 à 7 % (10-11 milliards) seulement de ces investissements ont été dépensés en projets d'infrastructure exécutés dans le cadre de ce que l'on se complaît à appeler « la reconstruction » avec tout ce que l'on connaît de gaspillages à ce niveau aussi.
Ces chiffres devraient mettre un terme une fois pour toutes à l'idée répandue selon laquelle c'est la « reconstruction » qui est à l'origine de la dette de l'État libanais. En réalité, les deux tiers des dépenses publiques servent à financer les intérêts de la dette, et les salaires et traitements de la fonction publique.
Malgré sa gravité, ce problème suscite l'indifférence – je dirais même l'inconscience – des responsables politiques. Aucun débat sérieux n'a été jusqu'ici entamé au sujet de la dette publique, ni au Parlement ni en Conseil des ministres. Pas un seul débat !
La raison ? C'est la même qui explique la négligence des responsables face au danger que représente le nombre chaque jour croissant de déplacés syriens au Liban : bien à l'abri, leurs fortunes sont à l'étranger, et leur situation globale ne peut être affectée par un éventuel désastre financier ou monétaire.
Revenons à la question-titre de cet article : comment va évoluer la situation politico-économique du Liban à court terme, disons jusqu'à fin 2015 ?
En un mot, la situation financière actuelle est mauvaise, et il est plus que probable qu'elle se détériorera davantage si le Hezbollah poursuit son soutien militaire au régime syrien et si les pays du Golfe continuent leur boycott économique du Liban tant au niveau des investissements que du tourisme, et ce alors que les déplacés syriens continuent d'affluer. Dans cette hypothèse, il est fort probable que la croissance économique restera faible, sinon négative, et que, quel que soit le gouvernement en place, l'on continuera à dépenser pour des considérations surtout politiques, ce qui entraînerait une dangereuse aggravation du niveau de la dette du gouvernement par rapport au PIB.
Ces sombres prévisions se fondent également sur des indicateurs économiques inquiétants. Selon les récentes estimations de la Banque mondiale, la croissance économique du pays a dramatiquement chuté depuis 2011 jusqu'à atteindre 0,9 % en 2013, alors que la moyenne annuelle était de 9,2 % entre 2007 et 2010. En parallèle, et pour la 1re fois depuis 2006, le ratio du déficit budgétaire au PIB est reparti à la hausse, dépassant les 140 % en 2013 contre 134 % l'année précédente. L'indicateur économique le plus révélateur dans ce contexte est la balance des paiements qui est restée en déficit sur trois années consécutives (2011 à 2013), et ce pour la première fois depuis l'indépendance.
Le problème que pose la révision en cours de la grille des salaires de la fonction publique ne se limite pas à souligner la gravité de la situation financière du pays, il met en relief plus précisément la responsabilité de la classe politique dans cette crise.
Aujourd'hui, les syndicats d'enseignants fondent leurs réclamations sur deux arguments, tous deux légitimes. Le premier, de nature administrative, tient au fait qu'on ne peut refuser aux enseignants ce qui a déjà été accordé à d'autres salariés du secteur public, tels que les magistrats et les professeurs de l'Université libanaise. Le problème ne tient donc pas à ces demandes elles-mêmes, surtout si l'on considère leurs niveaux de salaires, généralement bas et qui méritent d'être réajustés.
Le problème résulte plutôt des politiques irresponsables menées au cours de ces dernières années et qui ont fortement affecté la situation financière de l'État.
Savez-vous, par exemple, que des professeurs retraités de l'Université libanaise perçoivent actuellement une pension annuelle de plus de 50 000 dollars, une somme bien supérieure à celle versée à leurs professeurs par les meilleures universités européennes et américaines ?
Savez-vous également que le nombre de contractuels dans l'enseignement public est passé de moins de cent personnes fin 2006 à près de 25 000 fin 2013, et ce en dépit du fait que le Liban se distinguait déjà par l'un des taux d'enseignants les plus élevés au monde par rapport au nombre d'élèves ? Quel est donc le responsable qui nous a conduits à cette situation ?
L'État libanais, l'économie libanaise peuvent-ils s'accommoder de ces dépenses ?
Le second argument sur lequel les enseignants fondent leurs réclamations tient au volume du gaspillage dans le secteur public et qui dépasserait les sommes que coûterait à l'État la nouvelle grille des échelons et des salaires. Cela aussi est vrai. Mais peut-on raisonnablement espérer que la classe politique responsable de ce gaspillage y mette fin d'elle-même ?
Le gaspillage se pratique de manière systématique, presque organisée, dans la plupart des institutions publiques. Prenons l'exemple le plus coûteux pour le Trésor : Électricité du Liban (EDL) a reçu des transferts annuels de plus de deux milliards de dollars durant les trois dernières années (2011 à 2013), soit près de 60 % du déficit budgétaire annuel durant cette période. Ainsi, la situation financière d'une seule institution publique (dont la dernière comptabilité vérifiée remonte à 2007) met en péril la situation financière de tout l'État !
Quant aux recettes douanières, de première importance dans le budget, il suffit de remarquer qu'elles n'ont augmenté que de 60 % au cours des dix dernières années, alors que, durant la même période, la valeur des marchandises importées s'est accrue de 140 % environ !

Suite dans le numéro de demain jeudi 12 juin 2014.

« Nous autres, ministres et députés, avons corrompu l'administration. »Fouad Siniora
Deux dangers imminents menacent le Liban, l'un existentiel, l'autre financier. Les éviter devrait constituer la priorité absolue de toute autorité politique.Une première question s'impose : comment se fait-il que les responsables politiques libanais se soient jusqu'à présent abstenus de traiter le...

commentaires (2)

POUR SAUVER L'ÉCONOMIE DU PAYS... ET PARTANT LE PAYS LUI-MÊME... JE NE PARLE PAS DES POLITICIENS CAR NOUS N'AVONS QUE DES POLICHINNELLES ET PERSONNE NE VEUT LES SAUVER... LES MOUTONS DEVRAIENT DEVENIR DES SANGLIERS ET CHASSER TOUS LES PANURGES DE TOUS BORDS !!!

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 35, le 11 juin 2014

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Commentaires (2)

  • POUR SAUVER L'ÉCONOMIE DU PAYS... ET PARTANT LE PAYS LUI-MÊME... JE NE PARLE PAS DES POLITICIENS CAR NOUS N'AVONS QUE DES POLICHINNELLES ET PERSONNE NE VEUT LES SAUVER... LES MOUTONS DEVRAIENT DEVENIR DES SANGLIERS ET CHASSER TOUS LES PANURGES DE TOUS BORDS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 35, le 11 juin 2014

  • Tout cela n'in_té_re_sse pas et je_m'en_fous ! Moi président ou personne !

    Halim Abou Chacra

    05 h 29, le 11 juin 2014

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