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La loi électorale - Analyse sur la loi électorale (avant l'accord de Doha)

Loi électorale I - S’il vous plaît, (re)dessine-moi…

La scène peut paraître surréelle, absurde : un bateau en train de sombrer au milieu d’une mer infestée de requins et, pendant ce temps, les responsables du bord polémiquent sur le mode de leur élection. Le plus cocasse, c’est que parmi ces plaideurs, il y a ceux qui réclament depuis des mois un scrutin législatif anticipé, mais font tout pour entraver celui par lequel le capitaine du navire doit être désigné. Lorsque la pièce qui se joue s’enfonce à ce point dans l’absurde, c’est que, quelque part, on peut y voir du positif. Regardons donc le bon côté des choses et disonsnous qu’à bord de cette embarcation, on a réussi l’énorme gageure de ne jamais perdre le Nord, même lorsque le bateau est en perdition ! Revoici donc soudain tout le monde converti en garçon tailleur, chacun tenant ses ciseaux à la main pour découper le patron à sa mesure. Il est permis de douter, dans l’état actuel des divisions politiques, qu’il sorte quelque chose de sérieux du débat en cours sur la loi électorale. Naturellement, on excusera le recours au terme « débat », un bien grand mot pour qualifier l’espèce d’échange primitif auquel nous assistons sur la question. Mais puisqu’on y est, et puisqu’il faut toujours penser au lendemain – même si le présent ne nous dit pas si nous serons encore là demain –, autant jouer le jeu. Faisons donc semblant que tout est normal et discutons de loi électorale. D’une échéance à l’autre, la classe politique reprend à ce propos le même arsenal et recommence. Les uns veulent tailler menu, les autres voient plus grand. Il y a tout de même une nette différence par rapport aux pugilats des seize ou dix-sept dernières années sur le sujet. C’est qu’en moyenne générale, les mesures du patron ont été revues à la baisse. À l’époque des Syriens, la tonalité était fixée au diapason de la circonscription unique. À la manière de la soupe du régiment, on prend la plus grosse marmite qui soit, on y jette tout ce qui tombe sous la main, et le résultat est une tambouille d’autant plus appréciée du tuteur qu’on ne saurait plus en reconnaître les ingrédients (les « 128 » ingrédients) les uns des autres : tous sont laminés. Aujourd’hui, on n’en est plus là, heureusement. Les conducteurs de poids lourds d’antan se contenteraient bien de camionnettes, et ceux des camionnettes voudraient prendre des estafettes. Qui sait, peut-être que lors du « débat » sur la loi électorale d’après, c’est-à-dire celle qui suivra la prochaine, on en arrivera enfin à la trottinette. Mais il n’y a pas que les hommes politiques à se mêler de loi électorale. Il y a aussi l’armée d’universitaires, d’« experts » désolés de tant de primitivité chez les premiers et qui, à chaque saison, nous inondent des résultats de leurs réflexions en la matière. Leurs projets ne sont pas toujours forcément mauvais, il est vrai. Théoriquement, certaines études sont même plutôt acceptables, comme celle qui a été publiée mardi dernier dans le quotidien an-Nahar. Ce projet divise le Liban en 14 circonscriptions de taille moyenne, plus ou moins « correctes » sur le plan de l’équilibre confessionnel, et est fondé (en théorie) sur la proportionnelle. Il en est de même des propositions en faveur de la majoritaire uninominale (une circonscription = un siège), un système en vigueur pour les législatives dans les trois grandes démocraties occidentales, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Le problème avec toutes ces études, c’est qu’elles manquent quelque peu de modestie. Pas une seule qui ne soit pas accompagnée d’une énorme littérature hagiographique, annonciatrice de lendemains qui chantent ; pas une seule qui ne soit pas présentée comme étant celle qui sortira le Liban de ses ténèbres et y transformera, comme par enchantement, la vie politique libanaise en programme d’initiation monastique. *** Commençons par ce qui devrait être le commencement : il n’y a pas de loi électorale idéale. Toutes sont mauvaises. Même les meilleures que l’on connaisse. Même celles qui sont en vigueur dans les démocraties les plus authentiques de la planète. Ce n’est qu’à partir de là qu’on peut opérer une distinction entre ce qui est franchement détestable, tronqué, obsolète ou simplement inadapté, et ce qui pourrait constituer un pis-aller. Mais cette distinction ne peut être faite uniquement par une simple comparaison théorique entre les divers modes de scrutin possibles. Ce qui est infiniment plus important, en premier lieu, c’est de tenter de cerner le plus précisément possible la fonction qu’on attribue à une loi électorale. Or, à cet égard, la vie politique libanaise ballotte entre deux extrêmes également néfastes. D’une part, la rhétorique ambiante va jusqu’à réclamer à une loi électorale qu’elle façonne le système politique libanais, voire le fonde. De l’autre, la pratique en fait un simple instrument aux mains des pouvoirs, utilisé pour qu’arrivent à la Chambre ceux qu’on voudrait voir arriver. Et pas les autres. C’est l’irréalisme de la première démarche qui, en quelque sorte, fait qu’au final, c’est toujours la seconde qui prévaut. Espérer pouvoir faire l’économie d’un règlement politique à la crise libanaise rien qu’en adoptant la « bonne » loi électorale est une absurdité qui dissimule mal la perplexité de nombreux Libanais à l’égard des remèdes au mal qui ronge leur pays. En réalité, c’est le processus inverse qui doit s’imposer : d’abord un règlement politique, impliquant ou pas des réformes institutionnelles, et ce n’est qu’ensuite qu’il serait possible de mettre en place un système électoral moins mauvais que l’actuel. Évidemment, avant et après ne doivent pas être nécessairement compris ici dans le sens d’une antériorité dans le temps, mais simplement dans celui d’une adéquation des solutions aux problèmes posés. *** Une loi électorale ne peut pas fonder un système politique. Elle ne fait que le réguler, et encore, à condition qu’elle soit accompagnée d’une volonté de stabilité, non qu’elle soit changée à chaque législature. En revanche, ce qu’elle ne peut pas faire en positif, elle peut le faire en négatif, c’est-àdire, si elle est très mauvaise ou inadaptée, détruire carrément un État, ou du moins sa bonne gouvernance. C’est par exemple le cas en Israël, où la proportionnelle intégrale à circonscription unique, après avoir été jusqu’au début des années quatre-vingt-dix l’un des instruments de la puissance de l’État, en est devenue aujourd’hui le bourreau. Tant que le paysage politique israélien était dominé par le bipartisme, reflétant une réalité sociologique plus ou moins homogène (chez les juifs), le système électoral en vigueur donnait des résultats satisfaisants, à la fois sur le plan de la représentation démocratique et sur celui de la solidité des équipes gouvernementales. Depuis, la société de l’État hébreu a sombré dans une espèce de communautarisme tantôt ethnique (arabe, juif russe, etc…), tantôt religieux (laïc ou ultraorthodoxe). Cela s’est aussitôt traduit dans la vie politique du pays par la multiplication des formations à caractère communautaire et l’affaiblissement subséquent des deux grands partis (travaillistes et Likoud). Or le maintien du même système électoral à l’ombre de ces nouvelles conditions sociopolitiques tend à accentuer la dérive que ces conditions ont infligée à la puissance israélienne. Cela se manifeste principalement par l’extrême morcellement de la Knesset, ce qui, automatiquement, conduit à des coalitions gouvernementales monstrueuses, où la droite se mêle à la gauche et au centre, des Russes déchaînés côtoient des Arabes exsangues, et d’ « effarouchables » ultraorthodoxes doivent coexister avec des « valets de Satan » laïcs. L’exemple israélien est important parce qu’il tend à démontrer qu’on n’avale souvent que des clichés sur les bancs de l’université. Comme, par exemple, sur la vocation de chaque mode de scrutin à façonner différemment la vie politique. En réalité, le système électoral ne façonne rien du tout. Son unique apport positif est de contribuer, lorsqu’il est bien adapté à la réalité sociopolitique d’un pays, à réguler le jeu politique démocratique dans ce pays de façon à l’apaiser. Il sera nécessaire de tenir compte de cette donnée dans toute réflexion sur la bonne loi électorale à mettre en place au Liban. Prochain article : Majoritaire ou proportionnelle, quel choix pour le Liban ?
La scène peut paraître surréelle, absurde : un bateau en train de sombrer au milieu d’une mer infestée de requins et, pendant ce temps, les responsables du bord polémiquent sur le mode de leur élection. Le plus cocasse, c’est que parmi ces plaideurs, il y a ceux qui réclament depuis des mois un scrutin législatif anticipé,...