Le week-end a été marqué par une polémique autour de propos attribués par le quotidien al-Joumhouriya, dans son édition de samedi matin, au chef du bloc du Changement et de la Réforme, le député Michel Aoun.
Selon al-Joumhouriya, le général Aoun aurait affirmé, au cours de sa rencontre vendredi avec les représentants des institutions maronites (Ligue maronite, Fondation maronite dans le monde et Conseil central maronite), qu'il « soutient le président syrien Bachar el-Assad, auquel il faudrait décerner un prix Nobel pour sa lutte contre le terrorisme ». M. Aoun aurait par ailleurs affirmé, toujours selon le quotidien, que « les chiites constituent une minorité, et s'ils gagnent, nous gagnerons ensemble ».
« Je refuse de rester neutre. Celui qui gagnera méprisera celui qui est resté neutre, tandis que celui qui perdra n'aura que haine pour lui. Moi, j'ai choisi de m'allier aux chiites », aurait-il ajouté. Michel Aoun aurait poursuivi devant la délégation qu'il « refuse de légiférer dans les circonstances actuelles », révélant que « le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil imposera des limites aux président du Conseil et que les députés du Courant patriotique libre feront de même à l'égard du président de la Chambre ». « Dorénavant, Tammam Salam ne pourra pas décider de l'ordre du jour (du Conseil des ministres) tout seul », a-t-il ajouté, encore selon al-Joumhouriya.
Le chef du CPL s'en serait en outre pris au chef du Rassemblement démocratique, le député Walid Joumblatt, le qualifiant d'« œuf pourri », et l'accusant d'avoir bloqué lui-même l'élection présidentielle en proposant la candidature du député Henry Hélou. Michel Aoun aurait ajouté que « le dialogue avec le courant du Futur se poursuit, et qu'il est fondé sur trois points : la loi électorale, qui sera leur candidat si ce n'est pas moi, et le dossier du gouvernement ». « Ils ont confirmé leur coordination au niveau du gouvernement. Mais en ce qui concerne la présidence et les élections, un suivi et des concertations sont nécessaires », aurait-il souligné.
L'ancien chef du gouvernement militaire de transition aurait estimé que « seule une volonté étrangère (en allusion à l'Arabie saoudite) pourrait l'empêcher d'accéder à la présidence », précisant qu'il « tranchera le 20 août, date de la convocation des collèges électoraux ». « Il n'y a pas d'autre candidat fort à part moi », aurait-il ajouté.
Pas de démenti du CPL
Les propos publiés par al-Joumhouriya ont fait durant le week-end un véritable buzz sur les réseaux sociaux. Pourtant, les institutions maronites ont apporté des précisions à ce qui a été publié par le quotidien (voir encadré), dans un communiqué rédigé par le chef du Conseil central maronite, l'ancien ministre Wadih el-Khazen, samedi matin, sans toutefois vraiment démentir la teneur des propos.
Selon des sources bien informées, c'est l'entourage immédiat du général Aoun qui aurait réclamé aux institutions maronites de faire paraître le communiqué. Mais le bureau de presse du général Aoun et le CPL, eux, se sont gardés de publier tout démenti. Le député Hikmat Dib s'est ainsi abstenu de démentir les propos attribués à son chef, confirmant, dans une déclaration samedi à l'agence al-Markaziya, le climat d'hostilité à l'encontre de Walid Joumblatt. « La vision qu'a le général Aoun du président syrien Bachar el-Assad est liée à la question stratégique régionale. La Syrie a mené la plus grande des confrontations contre le terrorisme. C'est elle qui fait face à la pensée takfiriste », a ajouté M. Dib.
Le député Alain Aoun a lui aussi refusé hier de commenter cette affaire, préférant s'en remettre à la teneur du communiqué des institutions maronites. Selon des observateurs avisés, « apporter un démenti pourrait en effet s'avérer encore plus problématique pour le chef du CPL, qui tient à continuer à donner de lui une image de candidat consensuel, en raison de son ouverture en direction du chef du courant du Futur, l'ancien Premier ministre Saad Hariri, tout en maintenant de bons rapports avec le Hezbollah et Damas. Démentir ou confirmer les propos reviendrait à heurter l'un des deux camps ».
Des sources bien informées, confirmées par le quotidien al-Joumhouriya, ont par ailleurs indiqué que, selon des témoins, les propos rapportés par le quotidien ont bien été tenus, mais que la teneur de la conversation aurait dû rester secrète et ne pas transpirer dans les médias. Sur ce point précis, des observateurs n'écartent pas qu'à travers al-Joumhouriya, « une partie proche d'un autre candidat non déclaré à la présidence de la République ait voulu profiter du procès-verbal de l'entretien qu'elle a eu entre les mains pour griller la candidature du général Aoun ».
« Il ne veut pas recevoir le message »
Dans un entretien à l'agence al-Markaziya, le député Ahmad Fatfat (courant du Futur) a estimé que « ces propos, s'ils sont confirmés, auront de grosses répercussions sur le dialogue entre le Futur et le CPL ». « Cela voudrait dire qu'il n'y a eu aucun développement dans sa position stratégique pour qu'il soit un candidat consensuel. Cela voudrait dire qu'il est, au contraire, un candidat de confrontation, même s'il fait encore plus d'efforts dans les jours à venir » pour se débarrasser de cette étiquette. « Aoun assure qu'il fait partie du 8 Mars et de l'axe syro-iranien, et qu'il fait partie intégrante du projet du Hezbollah », a ajouté M. Fatfat. « Il dit qu'il attend une réponse du courant du Futur concernant l'adoption de sa candidature à la présidence. Chaque semaine, nous publions un communiqué après la réunion du bloc du Futur, dans lequel nous réitérons notre attachement jusqu'au bout au candidat du 14 Mars, le président des Forces libanaises, Samir Geagea. Il apparaît que Aoun ne veut pas recevoir le message. C'est son problème », a-t-il conclu.
Quant au député joumblattiste Alaeddine Terro, il a refusé de répondre aux propos concernant Walid Joumblatt. « En tant que députés du bloc, nous nous gardons de répondre à un tel langage. Nous refusons de nous abaisser à ce genre de style bon marché », a-t-il indiqué dans un entretien au quotidien koweïtien al-Siyassa.
Lire aussi
Ça va mal finir..., la chronique de Nagib Aoun
Au-delà des questions constitutionnelles, débat sur le rôle des chrétiens, l'éclairage de Scarlett Haddad
Présidentielle : le dialogue de sourds, plus que jamais
Salam : Le gouvernement prend en compte le caractère « exceptionnel » de cette phase
commentaires (7)
Le non savoir vivre semble ronger la caste politique libanaise qui devient de plus en plus pourrie .
Sabbagha Antoine
16 h 56, le 02 juin 2014