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Moyen Orient et Monde - Le point

Candidat cherche électeurs

S'il avait tenu respecter son engagement, Amr Adib devrait être mort à l'heure qu'il est. Le présentateur vedette de la chaîne satellitaire al-Yom s'était dit prêt à se couper les veines des poignets, « là, devant vous, avait-il dit en s'adressant aux téléspectateurs, si cela peut vous porter à voter ». Moins hardis, ses collègues avaient rivalisé de lyrisme pour sortir de leur torpeur de potentiels électeurs convaincus que leur héros pouvait fort bien se passer de leur voix du moment que la victoire lui était acquise. Malgré le petit plus, cette journée supplémentaire consacrée aux retardataires et aux indécis, le compteur est resté désespérément bloqué, loin des 45 millions de voix qu'ambitionnait de décrocher Abdel Fattah al-Sissi.


Efficaces – un peu trop peut-être ... – quand il s'agit de bouter hors de l'arène politique Mohammad Morsi et ses compagnons, les militaires se révèlent piètres tacticiens en matière de consultation populaire. Ils avaient rêvé d'un plébiscite, la seule manière qu'ils connaissent d'accéder à la tête de l'État. Tout le monde convient aujourd'hui que la cote de popularité du maréchal a été surestimée, et sous-estimé l'attachement du paysan de Haute-Égypte à la confrérie de feu Hassan el-Banna, organisation aux contours on ne peut plus flous et qui, en l'espace d'une courte année passée aux commandes, avait accumulé un nombre impressionnant d'erreurs. Pour la petite histoire, on retiendra aussi que l'appel aux urnes coïncidait malencontreusement avec la période des grandes chaleurs et que, si Napoléon avait été vaincu à Moscou par le général Hiver, le maréchal, lui, a frôlé la défaite des mains du dieu solaire Ra.


En juin 2012, le peuple s'était vengé de Moubarak en élisant Morsi. Soixante ans auparavant, le coup de force des Officiers libres menés par Abdel Nasser avait réussi parce qu'il était dirigé contre une royauté honnie. Mais aujourd'hui ? L'ancien chef de l'État se trouve à l'ombre, dans une méchante cellule d'une caserne militaire ; les Ikhwane sont neutralisés pour un temps indéterminé ; le régime qui se met en place promet au peuple « du sang, de la sueur et des larmes » – enfin presque ; unique représentant d'une opposition qui peine à faire acte de présence, Hamdine Sabbahi ne fait pas illusion et se contente de jouer les sparring partners. Difficile dans ces conditions de s'enflammer pour un match dont on connaît le score par avance.
Bien entendu, il n'y a pas que cela. S'ajoutent à toutes ces raisons qui expliquent, sans les justifier pour autant, l'apathie du bon peuple d'Égypte, le fait que l'on se trouve face à un pays divisé en deux tendances qui aujourd'hui s'opposent l'une à l'autre, celle des militaires d'une part, celle des partisans de la     rigueur islamiste d'autre part. Égypte, société militaire est le titre d'un ouvrage d'Anouar Abdel Malek paru en 1962, qui explique la montée en puissance, en une dizaine d'années, d'une classe (on devrait parler plutôt de caste) qui continue de gouverner le pays. Jadis, le général avait osé (qui d'autre que lui pouvait le faire ?) ce jugement : « Tout homme fut, est ou sera gaulliste. » Du cas de l'Égypte, on peut dire que tout homme compte, a compté ou comptera parmi les siens un militaire. Idem pour les Frères musulmans ? Tout doux !

 

Les partisans de l'uniforme le sont autant par conviction que par nécessité, l'armée représentant un débouché idéal pour les jeunes candidats au chômage, sortis frais émoulus de l'école. Les adeptes des théories par trop simplistes de Banna affichent, eux, un attachement viscéral à la charia et rejettent violemment toute forme de laïcité, toute expression de mode occidentale. Combattus du temps de la royauté, pourchassés par les trois premiers présidents de la République, les Ikhwane ont fait preuve d'une inattendue aptitude à résister et d'une surprenante capacité à s'adapter à la clandestinité. Les réseaux sociaux qu'ils sont alors parvenus à mettre en place leur donnant même l'opportunité de se renforcer. C'est leur éloignement de la scène publique, cause de leur maladresse dans l'exercice du pouvoir, et la hâte mise dans l'exercice de celui-ci aux premiers temps de l'ère post-Moubarak qui ont provoqué leur perte.


Ce qui peut survenir dans un pays ainsi coupé en deux, il est aisé de le deviner. Ce qu'il importe de faire pour prévenir le clash est moins facile à définir. Dans une conversation off the record avec un journaliste, Sissi interpelle le peuple : « Voulez-vous être une grande nation ? Cela signifie, pour deux années, être prêts à vous réveiller à 5 heures du matin, à réduire votre alimentation, à renoncer à la climatisation. »
Il semble que Abdel Fattah al-Sissi devra attendre longtemps encore la réponse à sa question.

 

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