L'homme qui quitte ce samedi 24 mai le palais de Baabda au terme d'un sexennat somme toute assez discret à la tête de la République libanaise n'aura visiblement apporté que très peu de choses à la vie des êtres ordinaires dans ce pays.
En six ans, le pays a clairement reculé : les blocages politiques sont devenus plus systématiques qu'auparavant; sur le plan sécuritaire, le Liban a été le théâtre d'une dégradation continue qui n'a commencé à être résorbée que ces deux derniers mois ; l'économie est littéralement par terre, le social gronde et les réformes de société sont presque totalement absentes ou alors trop timides.
D'où vient alors qu'au terme de ce parcours, on soit bien obligé de reconnaître au président Michel Sleiman d'avoir été, malgré tout, un « bon président », une qualité qui n'est pas peu de chose dans un pays comme le Liban ? C'est que, six ans après son avènement en mai 2008, M. Sleiman laisse à son successeur, hélas inconnu à ce jour, une présidence régénérée, pleinement réconciliée avec son rôle de garante de la Constitution, de l'unité de la nation, de son indépendance, sa souveraineté et son intégrité, et du règne de la loi.
(Repère : Les principaux points du mandat de Michel Sleiman)
Le contraste est d'ailleurs saisissant entre ce spectaculaire recouvrement, en six ans, du prestige de la présidence, érodé par quinze ans d'une humiliante tutelle syrienne, et la triste réalité qui continue à prévaloir à l'extérieur du palais de Baabda.
Mais justement, de cette réalité, le chef de l'État sortant n'est guère comptable, d'autant plus que près de la moitié de son mandat fut dilapidée par des crises ministérielles. Avec le peu de moyens dont il disposait du début jusqu'à la fin, son action de réhabilitation de la première magistrature relève des travaux d'Hercule.
Or, cette pauvreté de moyens n'a que peu de rapports avec l'absence de prérogatives constitutionnelles, sur laquelle des esprits chagrins se lamentent depuis Taëf pour expliquer le « déclin » politique des chrétiens au Liban. On sait plutôt que pour être un « homme fort » dans ce pays, il faut disposer soit d'un bloc consistant à la Chambre, soit d'une vraie force – y compris paramilitaire – sur le terrain, incluant les importants relais locaux que sont les conseils municipaux et les moukhtars, soit encore d'une clientèle au sein de l'administration et de ses postes-clés... Soit le tout à la fois, ce qui est encore mieux !
(Repère : Petit manuel utile en cas de vacance présidentielle)
En revanche, les prérogatives constitutionnelles, même à l'époque où elles existaient sur le papier, n'ont jamais été une arme réelle aux mains des présidents de la République libanaise.
Michel Sleiman ne pouvait se prévaloir d'aucun de ces éléments constitutifs de la puissance politique au Liban. Il le savait. Cela ne l'empêchera pas d'asseoir une sorte de cohérence à la tête de l'exécutif, même si la traduction de cette cohérence dans les arcanes ministériels et administratifs fut souvent plus que chaotique.
Sa dénonciation, depuis le début, de l'existence de « brèches » dans le dispositif constitutionnel de la présidence n'a à aucun moment évolué, dans son esprit, en une remise en cause des accords de Taëf. Son souci permanent, avant et pendant le sexennat, fut le respect des équilibres. Voilà certainement le maître mot du mandat : équilibre des pouvoirs, des forces en présence; équilibre des axes extérieurs, de la politique étrangère,...
(Voir : Qu'attendez-vous du prochain président? Les Libanais répondent)
S'il accède au pouvoir, en 2008, grâce à un « équilibrisme » négatif – la passivité de l'armée libanaise d'abord face à la révolution du Cèdre, en février-mars 2005, puis à nouveau lors des événements du 7 mai 2008, lui vaut tour à tour la gratitude des uns et des autres –, il achève aujourd'hui son mandat sur une politique d'équilibre positif, consacrée par la fameuse déclaration de Baabda de juin 2012, devenue dans son volet diplomatique l'incontournable doctrine officielle du Liban, prônant la neutralité à l'égard des axes régionaux.
Avec cette doctrine, M. Sleiman achève son entreprise de réannexion progressive de la politique étrangère par la présidence, après une longue phase de léthargie sous le signe de la « concomitance des deux volets », terme poli qui désignait l'hégémonie syrienne. Et cette politique d'émancipation, le président sortant l'entame d'entrée de jeu, bien avant le déclenchement de la révolte et de la guerre en Syrie.
Le conflit syrien, à partir de 2011, le poussera, certes, à prendre davantage ses distances à l'égard du régime assadiste, mais la rupture quasi définitive, consécutive à l'affaire Samaha, durant l'été 2012, sera le fait de Bachar el-Assad, pas de lui.
(Lire aussi : Le vide politique, une culture nationale aux effets pervers, l'éclairage de Jeanine Jalkh)
Et c'est à peu près le même processus qui le conduira progressivement au bord du divorce avec le Hezbollah. Là aussi, ce n'est guère le président qui cherche la rupture. Il se montre même conciliant à plusieurs reprises à l'égard du Hezb. Mais son légalisme, quoique décliné sur un ton courtois, son combat pour le recouvrement à terme des prérogatives régaliennes de l'État face à « l'anomalie » que représente le statut du Hezbollah placent naturellement Baabda sur une trajectoire de collision avec ce dernier. Au final, ce sera le parti de Dieu qui, par son insistance à violer ouvertement la politique de « distanciation » et à renier la déclaration de Baabda après l'avoir entérinée, fera sauter les ponts avec la présidence.
Le ton monte alors entre les deux parties, donnant à croire, à tort, à une partie de l'opinion publique que le chef de l'État ne s'est décidé à prendre le taureau par les cornes que durant les tout derniers mois de son mandat...
Le président s'en va, et nul, pour l'instant, ne lui succède. Les nouveaux atours de la présidence seront-ils pour autant faciles à effacer ?
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IL FALLAIT QU'ELLE LE SOIT DÈS L'AUBE DU MANDAT !
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 31, le 25 mai 2014