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Liban - Liban

Le bâtonnier de Paris plaide en faveur du « droit à la vie » devant les juges libanais

« Il n'y a pas de plus redoutable honneur pour un avocat libre que de plaider pour un homme seul, étranger, criminel, ayant commis un crime atroce contre un homme bien né, soutenu par toute une famille et toute une communauté. » C'est par ces quelques mots concis que le bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, a entamé sa plaidoirie mercredi dernier contre la peine de mort.

Dans un véhément réquisitoire devant les juges de la Cour de cassation, l'avocat a plaidé avec brio contre la sentence de mort prononcée contre un réfugié syrien de 22 ans qui avait poignardé le propriétaire d'un bureau de change à Saïda. Un crime qui avait, rappelons-le, soulevé une indignation sans égale au sein de la société libanaise dans son ensemble.
« L'honneur de prendre comme référence les valeurs les plus élevées, qui placent la justice non pas en tant qu'instrument de vengeance privée mais en tant qu'œuvre sociale d'intérêt général », devait encore relever le bâtonnier.

Figé devant les juges, les menottes aux poignets, l'accusé devait écouter attentivement la traduction mot par mot des propos du bâtonnier, avant de présenter, une fois de plus, ses excuses aux parents de la victime, présents à la cour.
Tout aussi attentif et anxieux était le représentant de l'Ajem (Association Justice et miséricorde), le père Hadi Aya, qui a sollicité la présence du bâtonnier français après autorisation préalable du bâtonnier de Beyrouth.
Sur les bancs arrière, plusieurs activistes et représentants de la société civile, et une pléthore de juristes acquis à la cause.

D'une voix puissante aux intonations variées pour mieux ponctuer les formules-chocs, accentuer les idées didactiques et souligner les grands principes de droit en la matière, le bâtonnier a tenu à corser son discours dans l'espoir de toucher l'ensemble des Libanais et les inciter à s'engager, dès à présent, sur le chemin des réformes socio-juridiques.

« Dans votre kaléidoscope de cultures et de religions – qui sera un jour un modèle d'intégration pour toutes les civilisations car la paix reviendra –, permettez que je vous propose, contre la guerre et contre la mort, le droit qui reconstruit et fait progresser l'humanité », lance-t-il.
Pierre-Olivier Sur clame haut et fort : « Tournons le dos à l'obscurantisme ! Bannissons une justice qui tue. » « Oui, condamner à mort de sang-froid est une atrocité. »

Il égrène alors les arguments juridiques – puisés du droit international mais aussi du droit interne libanais – pour rappeler d'abord le principe de la hiérarchie des normes dont découle l'obligation, pour le Liban, de respecter la Déclaration universelle des droits de l'homme. Un texte « que le Liban vise dans le préambule de sa Constitution, qui proscrit tout acte qui serait contraire à la "dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine" ». Un principe « magnifique » dit-il, qui se poursuit naturellement par un second article du même texte selon lequel « tout individu a droit à la vie ».
« Ainsi la peine de mort, diamétralement opposée "au droit à la vie" et à l'interdiction de prononcer des peines inhumaines ou dégradantes, doit-elle être considérée par votre haute juridiction comme contraire à vos engagements internationaux », insiste le bâtonnier devant les juges.

C'est sur le jeune âge de l'accusé, mais aussi son contexte social – « un réfugié » –, son mobile, « la misère », suivi de « l'acte compulsif d'une bête qui cherche à manger, le malheur », l'état d'ébriété dans lequel il se trouvait au moment du crime, que l'avocat insiste dans sa plaidoirie. Autant de circonstances atténuantes selon lui, couplées à sa demande de pardon, qui doivent indubitablement jouer pour lui éviter la condamnation à la peine capitale. « Le recours à la peine de mort rapproche paradoxalement la société qui la pratique de ses criminels, quand elle n'en fait pas des martyrs », enchaîne-t-il.

Mais surtout, dit l'avocat, la preuve que la sentence de la peine capitale n'est pas, n'a jamais été une arme de dissuasion : « Le passage compulsif à l'acte n'a pas été évité, en dépit du risque de condamnation à mort. Au moment du premier couteau, ce jeune homme ne pense ni au code pénal, ni à l'avocat, ni à ceux qui seront ses juges. Il est en proie à l'aveuglement de la misère, au désespoir et à l'absurde. »
Et d'ajouter : « Alors, comme dans Dostoïevski, lorsque Raskolnikov tue l'usurière, il dit : "Ce n'est pas moi qui ai tué, c'est le diable". »
« En pleine folie meurtrière, la conscience de la peine n'existe pas chez celui qui tue », martèle le juriste. Passant au droit interne, il dénonce « l'irrégularité incontournable, flagrante » représentée par le fait que l'accusé n'a pu bénéficier d'un avocat lorsqu'il a été entendu aux différents stades de l'enquête et lors de ses premières comparutions devant la cour criminelle. Preuves à l'appui, il conteste par ailleurs l'accusation de « crime prémédité » imputé à l'accusé.

« Si l'accusé avait passé deux heures à surveiller les lieux comme il est dit dans les procédures d'enquête et d'instruction, il aurait immédiatement remarqué la caméra de vidéosurveillance qui conduira à son arrestation », argue Pierre-Olivier Sur. « S'il avait planifié le crime, ajoute-t-il, il aurait organisé sa fuite du Liban, échappant à votre justice. » Et s'il était enfin porteur d'un couteau, « c'est parce que c'est son outil de travail, de défense et de misère », fait-il encore remarquer, rappelant que son métier – abatteur et coupeur de volailles – explique pourquoi il portait sur lui l'arme du crime ce jour fatidique.

Le juriste invoque enfin le principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi : « Vous ne pourrez prononcer la peine de mort pour un crime de droit commun, puisque le TSL l'écarte pour l'un des crimes les plus graves. »
« Je ne dis pas que la vie de l'ancien Premier ministre vaut plus que la vie du propriétaire du bureau de change de la ville de Saïda, mais je dis que s'il n'y a pas de peine de mort possible pour les terroristes qui ont assassiné de sang-froid et avec préméditation, dans le cadre d'un complot, l'ancien Premier ministre, vous ne pouvez condamner à mort ce malheureux. »

Il conclut en invitant les magistrats à être précurseurs et à abolir la peine de mort, un aboutissement incontournable selon lui du fait notamment du moratoire actuellement appliqué, « avant même les législateurs, avant les politiques ».

 

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