Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde

Nouvelle guerre froide ou simple calcul des risques ?

Au regard de l'escalade des violences dans le sud et l'est de l'Ukraine, et de l'absence de solution à l'horizon, la crise ukrainienne apparaît désormais comme le conflit géopolitique le plus bouillonnant que le monde ait connu depuis le choc déclenché par les attentats terroristes perpétrés aux États-Unis en 2001. La stratégie de sanction actuellement mise en œuvre par l'Amérique ne saurait ni désamorcer les tensions entre l'Occident et la Russie ni renforcer un gouvernement ukrainien prooccidental. Mais bien que les sanctions s'accentuent à l'encontre de la Russie et que la violence ne cesse de progresser en Ukraine, il est peu probable que nous vivions aujourd'hui les prémices d'une seconde guerre froide.
L'approche privilégiée par les États-Unis a jusqu'à présent consisté à renforcer les mesures de sanction face à l'agression russe, tout en veillant à ce que les alliés de l'Amérique demeurent unis. Lors d'une récente conférence de presse conjointe, le président Barack Obama et la chancelière allemande Angela Merkel ont annoncé avoir revu à la baisse le seuil au-delà duquel des sanctions supplémentaires seraient appliquées. Jusqu'alors, ce seuil résidait dans une invasion militaire directe de la part de la Russie ; désormais, comme l'a expliqué la chancelière, si la Russie venait à perturber les élections ukrainiennes du 25 mai, « de nouvelles sanctions seraient inévitables ».
Merkel et Obama ont cependant également abaissé la barre de ce que pourront être ces « nouvelles sanctions. » Plutôt que d'infliger des mesures sectorielles radicales à de larges pans de l'économie russe – nouveau franchissement en direction de sanctions « à l'iranienne » contre la Russie –, il semble désormais que la prochaine vague de mesures demeure graduelle. Le seuil fixé autour des élections fait de cette nouvelle série de sanctions une quasi-certitude, rendant toutefois possible un renforcement plus modéré et plus progressif.
Pourquoi un tel ralentissement dans le prononcé des sanctions ? Les Américains ont compris que s'ils allaient trop loin, l'Europe romprait officiellement avec l'approche américaine, dans la mesure où les Européens ont bien davantage à perdre sur le plan économique. Là où les États-Unis et la Russie n'entretiennent que des relations commerciales fort limitées – pour une valeur d'environ 40 milliards $ l'an dernier, soit environ 1 % du total des échanges commerciaux menés par l'Amérique –, l'exposition financière de l'Europe vis-à-vis de la Russie de même que sa dépendance à l'égard du gaz naturel russe conduisent la première à hésiter davantage à torpiller cette relation économique.
Plus important encore, le degré de dépendance à l'égard de la Russie varie considérablement au sein de l'Union européenne, empêchant toute coordination véritable – et limitant l'alignement de l'UE auprès des États-Unis. C'est la raison pour laquelle, lorsque les dernières sanctions ont été annoncées, les Européens n'ont alourdi que modérément leur liste existante – principalement axée sur les fonctionnaires militaires et politiques – là où les États-Unis sont allés plus loin, ajoutant à leur liste noire plusieurs institutions russes. Au prononcé de ces sanctions, les marchés russes se sont rassemblés, signe clair du manque d'impact de la réaction occidentale par rapport aux effets escomptés.
En effet, bien que ces sanctions pèsent de manière réelle sur l'économie russe (engendrant notamment une fuite des capitaux), le fait de resserrer la vis encore davantage ne saurait significativement influencer les décisions du président russe Vladimir Poutine. Les enjeux de l'Ukraine sont bien trop importants pour la Russie de Poutine, les actions du président ayant par ailleurs suscité un soutien populaire considérable au sein de la mère patrie.
Mais bien que les tensions ne cessent de s'aggraver et que rien ne laisse espérer une reculade de la Russie, le monde ne se rapproche en rien de ce qui pourrait ressembler à une nouvelle guerre froide. Pour commencer, les intérêts de l'Amérique en Ukraine ne sauraient justifier l'envoi de troupes sur le terrain, l'Europe traînant des pieds dans son soutien à la position diplomatique américaine.
La Russie évolue par ailleurs sur la voie d'un déclin à long terme. L'économie et le budget du gouvernement sont devenus de plus en plus dépendants à l'égard du pétrole et du gaz ; les 110 Russes les plus fortunés contrôlent plus d'un tiers des richesses du pays ; la Russie étant en outre bien moins puissante militairement qu'elle ne l'était à l'ère soviétique, allouant à la Défense un budget environ équivalent à un huitième de celui des États-Unis en la matière. Quant au paysage démographique, il se révèle bien sombre, étant donné le vieillissement de la population et la faiblesse du taux de fécondité.
Pour espérer former un bloc cohérent capable de s'opposer à l'ordre mondial mené par les États-Unis, la Russie aurait besoin de puissants États amis, ce dont elle manque cruellement. Lors du vote de l'Assemblée générale des Nations unies autour de la question de la légitimité de l'annexion de la Crimée, seuls dix pays – États satellites de la Russie (Arménie et Belarus), pays d'Amérique latine traditionnellement sympathisants (Bolivie, Nicaragua et Venezuela) et autres États renégats (Cuba, Corée du Nord, Zimbabwe, Soudan et Syrie) – se sont ralliés aux Russes.
Le seul pays susceptible de faire pencher la balance et d'instaurer une dynamique de guerre froide n'est autre que la Chine. Or, les Chinois se sont révélés clairement réticents à choisir tel ou tel camp, voués à profiter de nouvelles opportunités et de davantage d'achats d'exportations énergétiques de la part de la Russie à mesure que les entreprises occidentales hésiteront à faire des affaires en Russie.
La Chine a ainsi la possibilité de récolter tous ces fruits sans pour autant contrarier ses plus importants partenaires commerciaux que constituent l'UE et les États-Unis. La Chine se refuse par ailleurs à soutenir un effort russe créateur d'agitation aux frontières de l'Ukraine, dans la mesure où ses propres provinces problématiques, telles que le Xinjiang et le Tibet, pourraient tirer les mauvaises leçons de l'exemple ukrainien.
La bonne nouvelle réside ainsi dans le fait que nous ne nous dirigions pas vers quelque guerre mondiale que ce soit, froide ou plus échauffée. Pour autant, les conséquences d'une politique occidentale mal avisée se font de plus en plus apparentes. Les États-Unis ne parviendront pas à isoler la Russie aux motifs d'une violation du droit international et de l'invasion d'un territoire étranger. Bien que d'autres pays émergents majeurs n'adhèrent pas à la position russe, ils ne souscrivent pas non plus à l'approche américaine. Le fait d'appeler à des sanctions plus sévères ne fera que créer une division en Europe, tout en poussant économiquement la Russie dans les bras de la Chine.
Pendant ce temps, le gouvernement ukrainien est en péril. Bien que sa capacité militaire ne soit pas suffisante pour stopper les forces séparatistes du Sud et de l'Est, le gouvernement est voué à subir une pression intérieure croissante et critique d'illégitimité s'il se refuse à agir.
La meilleure solution pour les États-Unis consisterait à offrir davantage de carottes à l'Ukraine, plutôt que d'user plus fortement du bâton en Russie. À ce jour, les États-Unis n'ont octroyé à l'Ukraine que 1 milliard de $ en garanties de prêts, ce qui est absolument insuffisant. À peine sorti de l'œuf, le gouvernement prooccidental perd chaque jour un peu plus de terrain face à la Russie ; l'Occident devrait avoir pour priorité de l'appuyer.
La conférence de presse organisée par Merkel et Obama revêt une utilité symbolique en ce sens qu'elle établit un front uni face à la Russie, malgré un désaccord évident entre les deux dirigeants sur la question de savoir comment – et jusqu'à quel point – sanctionner le Kremlin. Ralliement autour du gouvernement ukrainien et respect des promesses de fonds – même lorsque l'Ukraine ne fera plus les gros titres face à l'irruption de nouvelles crises – s'inscrivent toutefois bien davantage dans l'intérêt des États-Unis et de l'Europe, et constituent une perspective d'avenir plus viable pour les deux camps.

Traduit de l'anglais par Martin Morel
© Project Syndicate, 2014.

Au regard de l'escalade des violences dans le sud et l'est de l'Ukraine, et de l'absence de solution à l'horizon, la crise ukrainienne apparaît désormais comme le conflit géopolitique le plus bouillonnant que le monde ait connu depuis le choc déclenché par les attentats terroristes perpétrés aux États-Unis en 2001. La stratégie de sanction actuellement mise en œuvre par l'Amérique ne...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut