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Culture - Parution

Rabih Alameddine et « Alia, Don Quichotte dans une région sans solution »

72 ans, pleine de vie, coulant des jours dans une solitude grouillant d'un monde de son imaginaire où elle ne s'ennuie jamais et où l'on ne s'ennuie jamais avec elle. Pourquoi est-elle alors « La Femme d'aucune nécessité » ?

Rabih Alameddine et sa première fournée.

C'est là le nouvel ouvrage de Rabih Alameddine, récemment publié aux États-Unis sous le titre de The Unnecessary Woman (éditions Grove). Cet auteur libanais, vivant entre San Francisco et Beyrouth, a déjà fait parler de lui dans trois précédents ouvrages, dont le Hakawati. Comme ce conteur légendaire (ainsi nommé en arabe), il déploie un brillant talent pour dévider des histoires. Et il rend son héroïne, Alia, indispensable et d'une extrême nécessité en la parant d'une incroyable richesse intérieure qui dépasse son moi et étreint le Beyrouth en guerre des années 70. Sur un mode à la fois de cynisme et d'idéalisme étincelants. Rien n'échappe à cette femme qui ne s'essouffle jamais en embrassant toutes les situations. Inter-muros et extra-muros.


Alia se raconte à partir du jour où, s'étant trompé de bouteille de shampoing, elle se retrouve avec une chevelure bleue, ayant forcé sur une teinte qui ne devait être qu'un reflet sur sa tête blanche. Comme on le lui avait conseillée. Qu'à cela ne tienne, elle continue de faire ce qu'elle a toujours fait depuis un certain temps. Commencer, le premier jour de chaque année, la traduction en arabe d'un livre étranger. Travail qu'elle mettra de côté, chez elle, sans jamais lui faire prendre le chemin d'un éditeur. C'est ainsi qu'elle bâtit sa vie avec l'écriture et la lecture, seule dans son vaste appartement, en prêtant quand même l'oreille aux bruits extérieurs de la guerre et des voisines de son immeuble. En prenant soin de prendre ses distances avec les uns et les autres. Divorcée, sans enfants, avec une seule amie décédée et volontairement coupée du reste du monde, elle apparaît comme l'appendice de sa famille qui ne se reconnaît pas en elle. Mais elle est bien dans sa peau avec ses compagnons, les livres, qui remplissent sa grande demeure. Avec aussi, toujours à ses côtés, un fusil d'assaut AK-47 (comme tout bon citoyen libanais), au cas où.

 

Comme Pessoa
Auparavant, elle avait travaillé dans une librairie qui avait fini par fermer ses portes, lui léguant un bureau qu'elle a transporté chez elle. Elle s'y est installée pour effectuer, en une cinquantaine d'années, les 36 traductions que personne n'a jamais lues. Elles trônent parmi des monceaux de bouquins qu'elle lit inlassablement. Au début du récit de Rabih Alameddine, elle s'apprête à attaquer la traduction des Détectives sauvages du Chilien Roberto Bolano. Elle fréquente des gens de plume de diverses veines alors que gronde la violence dans tout Beyrouth, notamment de l'Allemand Z.G. Sebald à Marcel Proust, en passant par Jean-Paul Sartre, Virginia Wolf, Javier Marias et Italo Calvino. De ce dernier, elle conserve une relique : une copie de son ouvrage Les Villes invisibles, dont la couverture est roussie. Elle le lisait à la lueur d'une bougie (en raison des coupures de courant), alors que les gens s'entre-tuaient sous sa fenêtre. Elle s'explique : « Un petit feu maladroit, quelque chose qui, semble-t-il, arrivait souvent à Joseph Conrad – les petits feux et non les villes brûlées. »


Le magnifique personnage de Alia, éprise de mots, d'idées et de liberté, a en partage avec son pygmalion Rabih Alameddine le poète Fernando Pessoa. Dans une interview, Alameddine dit à ce sujet : « Outre que Pessoa est immense, il est important pour moi et pour elle. Pour elle spécialement, parce qu'ils ont le même mode de vie. Il est séparé du monde car il pensait qu'y participer n'avait aucun sens. Et elle avait choisi cette philosophie de non-participation. » Alameddine l'a modelée à l'image de cette pensée de Pessoa : « Je ne suis rien. Jamais je ne serai rien. Je ne puis vouloir être rien. Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde. »

 

C'est là le nouvel ouvrage de Rabih Alameddine, récemment publié aux États-Unis sous le titre de The Unnecessary Woman (éditions Grove). Cet auteur libanais, vivant entre San Francisco et Beyrouth, a déjà fait parler de lui dans trois précédents ouvrages, dont le Hakawati. Comme ce conteur légendaire (ainsi nommé en arabe), il déploie un brillant talent pour dévider des histoires. Et...

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