Comme chaque année, à l'occasion de la commémoration du génocide arménien, le débat sur les événements de 1915 refait surface. Et comme chaque année, l'Arménie et la diaspora arménienne exigent de la Turquie la reconnaissance du caractère génocidaire des massacres et déportations commis par l'Empire ottoman entre 1915 et 1917. Si pour la Turquie ces événements ont fait 500 000 victimes, l'Arménie, elle, avance le chiffre d'un million et demi. Toutefois, une imperceptible évolution dans les discours de la société civile et de responsables turcs a pu être observée ces dernières années, ce qu'Erevan juge néanmoins insuffisant.
Expert sur ce dossier particulièrement sensible, Bayram Balci, chercheur invité au Carnegie Endowment de Washington DC, répond aux questions de L'Orient-Le Jour.
Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a présenté mercredi dernier ses condoléances aux descendants des victimes de 1915, à la veille de la commémoration des événements. Est-ce la preuve d'un réel changement d'attitude de la part du gouvernement turc? Pourquoi tenir ces propos maintenant ?
Les propos de M. Erdogan ont une portée historique, même s'ils ont été jugés insuffisants par la partie arménienne. C'est la première fois qu'un dirigeant turc s'exprime de cette manière, formulant une compassion pour les victimes de la tragédie de 1915. Certes il ne parle pas (encore ?) de génocide, mais c'est déjà un progrès considérable dans le dialogue turco-arménien, qui, à long terme, à mon avis, pourrait conduire à une reconnaissance du fait génocidaire.
Le Premier ministre turc évoque une commission d'enquête mixte sur le sujet. Sera-t-elle réellement utile ?
Cette idée de commission mixte est souvent évoquée par la partie turque quand il est question de débats sur ce qui s'est passé en 1915, car les Turcs estiment que les souffrances ont été subies de part et d'autre, et qu'à ce titre une commission mixte devrait pouvoir clarifier les choses. Je ne peux savoir si elle serait utile ou pas, mais une chose est sûre, elle sera difficile à mettre en place. La partie arménienne y verra un moyen de mettre en doute le caractère génocidaire de la tragédie de 1915. Pour Erevan comme pour la diaspora arménienne, la question du génocide ne fait aucun doute, et il ne sert à rien de constituer une commission mixte d'historiens.
En décembre 2013, la CEDH a affirmé que nier le génocide arménien ne constitue pas un délit en soi, et lors de sa visite récente en Turquie, François Hollande a pris soin de ne pas utiliser ce terme. La question est-elle encore d'actualité pour la communauté internationale ?
Je pense qu'elle est toujours d'actualité pour nombre de pays, y compris la France et les États-Unis. Et je ne serais pas surpris qu'elle revienne à l'ordre du jour, d'autant qu'elle a en réalité été toujours présente. Lors de sa visite, le président Hollande n'a pas prononcé le terme « génocide » car il ne voulait pas compliquer les relations franco-turques qui avaient particulièrement souffert sous la présidence de son prédécesseur (Nicolas Sarkozy). De plus, il ne voulait pas entraver les intérêts économiques français en Turquie où les entreprises françaises sont assez actives. En 2015, centenaire de la tragédie, il y aura certainement de vifs débats sur ce sujet dans beaucoup de pays occidentaux, notamment ceux où il y a d'importantes communautés arméniennes.
Pourquoi la Turquie continue-t-elle de nier le génocide de 1915, puisqu'elle semble souhaiter une normalisation des relations diplomatiques avec l'Arménie ?
La Turquie souhaite normaliser ses relations avec l'Arménie, mais pas au prix de reconnaître le génocide arménien, en tout cas au sens où l'entendent les Arméniens. Cette normalisation apporterait un gain symbolique considérable à la Turquie et de très substantiels avantages économiques à l'Arménie dont elle réduirait l'enclavement. Mais il faut admettre que pour la Turquie, la reconnaissance du fait génocidaire n'est pas chose aisée, car la République turque a été bâtie, entre autres bien entendu, sur le refus de reconnaître ce fait comme étant un génocide. Par ailleurs, il y a sans doute la peur que cette reconnaissance entraîne des sanctions ou réparations, voire des compensations, et encore plus inquiétant pour le pays, une remise en question des frontières. En cela, il appartient aux promoteurs du rapprochement turco-arménien et à la République d'Arménie de rassurer la Turquie sur la portée et les conséquences d'une telle reconnaissance du génocide. En l'état actuel des choses, tout cela n'est pas possible. Et puis, il y a un autre facteur : l'Azerbaïdjan. Pays proche à tous points de vue de la Turquie, ce pays a un lourd contentieux avec l'Arménie : le Karabakh, province arménienne au sein de la République d'Azerbaïdjan qui au lendemain de la désintégration de l'Union soviétique a demandé à être séparé de l'Azerbaïdjan. Le non-règlement du statut du Karabakh et l'occupation par les forces arméniennes de plusieurs régions azerbaïdjanaises autour du Karabakh provoquent l'hostilité de l'Azerbaïdjan à tout rapprochement turco-arménien.
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commentaires (3)
BÂTIE SUR LES CARNAGES CONTRE LES CHRÉTIENS !!! ET L'USURPATION DE LEURS TERRES !!!
JE SUIS PARTOUT CENSURE POUR AVOIR BLAMER GEAGEA
12 h 56, le 28 avril 2014