L'histoire rendra justice à Michel Sleiman. Mais dans l'immédiat, ce sont les Libanais surtout qui doivent le faire. Car le président sortant a clairement défini, plus particulièrement au cours des derniers mois, ce qui pourrait être perçu comme une feuille de route traçant la voie au prochain locataire du palais de Baabda. Le chef de l'État a explicitement dénoncé, sans équivoque aucune, le dérapage auquel s'est laissé entraîner le Hezbollah en s'impliquant corps et âme dans la guerre syrienne aux côtés des forces de Bachar el-Assad. À plus d'une reprise, il a mis l'accent sur le caractère impératif de la primauté de l'État, notamment en matière de politique de défense. Il a rejeté, au grand dam des alliés locaux des mollahs de Téhéran, le funeste triptyque « armée-peuple-résistance », défendu bec et ongles par le directoire du parti chiite pro-iranien. En résumé, le président Sleiman – fidèle à son serment constitutionnel – a posé les jalons, avec audace et sans complaisance, d'une « République forte », pour reprendre le slogan de la campagne présidentielle de Samir Geagea.
Cette république forte est devenue aujourd'hui, plus que jamais, un impératif, si l'on désire engager réellement le pays sur la voie du rétablissement d'un équilibre politique au niveau du pouvoir, condition sine qua non à la stabilisation, au redressement sociopolitique et, surtout, à la résorption des tensions sectaires croissantes. En clair, le choix du prochain président devrait se faire dans l'optique de stopper la dérive hégémonique du Hezbollah. Car une telle dérive, parrainée, voire initiée, par le mentor iranien, est l'un des principaux facteurs de l'effondrement généralisé dont le pays est le théâtre à tous les niveaux et qui n'épargne aucune composante locale. Plus grave encore, cette dérive hégémonique est le détonateur d'une implosion interne, elle est une source d'autodestruction pour toutes les parties prenantes à la crise, y compris le Hezbollah lui-même. Pour s'en convaincre, il suffit de se rafraîchir quelque peu la mémoire et de faire la lumière sur les grandes phases qui ont caractérisé le problème libanais de fond au cours des dernières décennies.
Les exemples de ce phénomène d'autodestruction, provoqué et mûri par la dérive hégémonique, sont particulièrement instructifs. Surtout pour le Hezbollah. Qu'on en juge par les faits... Dans les années 60 et 70 du siècle dernier, la composante chrétienne du pouvoir – ce que l'ex-« Mouvement national » du début de la guerre qualifiait, à tort, de « maronitisme politique » – se comportait comme si les structures du pays lui appartenaient, ne tenant nullement compte des aspirations et des appréhensions des factions marginalisées ou de la réalité déplorable des régions périphériques du pays. Cet égocentrisme, doublé d'insouciance, a fini par coûter très cher à ceux qui s'en sont rendus coupables.
Cet aveuglément n'a pas été le seul apanage des acteurs locaux de l'échiquier libanais. Israël, à titre d'exemple, a cru bon de détacher à son profit, depuis la fin des années 70, une large bande de territoire au Liban-Sud pour en être seul maître. Il a fini par être contraint de lâcher prise, non sans avoir payé le prix de son aventure militariste en terre libanaise. Quant aux organisations palestiniennes armées, sous la conduite de Yasser Arafat et de l'OLP, elles ont imposé à partir de la fin des années 60 un fait accompli dans le pays en implantant de vastes structures militaires, administratives et politico-sociales qui ont constitué un pouvoir de facto paraétatique qui bafouait la souveraineté de l'État libanais tout en se rendant maître du jeu politique local à Beyrouth. Ce comportement hégémonique a également coûté très cher à l'OLP qui a finalement été contrainte de plier bagage et de se retirer du Liban en 1982.
Le régime syrien a été confronté au même cas de figure. En dépit des gigantesques moyens qu'il a mobilisés pendant de longues années – présence armée massive, incrustation des services de renseignements, terrorisme culturel, intimidation, attentats, noyautage des milieux politiques libanais et de certains cercles du pouvoir – le clan Assad a été lui aussi contraint en 2005 de déchanter et d'abandonner sa politique visant à phagocyter le tissu libanais ; une politique dont il a fait les frais et dont le Liban dans son ensemble a largement pâti.
Aujourd'hui, le pays est confronté à une dérive hégémonique similaire. Englué dans les sables mouvants syriens, et enivré par son ancrage au projet transnational des mollahs de Téhéran, le Hezbollah ne manquera pas tôt ou tard – à défaut d'un sursaut salutaire de sa part – de subir le même type d'implosion qui a frappé, avant lui, l'ancienne composante chrétienne du pouvoir, l'OLP et le régime syrien, qui n'ont pas su voir que leur aveuglément et leur égocentrisme finiraient, tôt ou tard, par se retourner contre eux en provoquant un douloureux effet boomerang.
C'est dans le but d'empêcher qu'une telle implosion – dont les prémices se sont déjà manifestées – ne détruise tout, et tous, sur son passage que le pays a besoin, en toute urgence, d'un président qui suive la voie tracée par Michel Sleiman, qui fasse preuve de détermination, qui sache imposer la primauté de l'État rassembleur, sans faire preuve d'hésitation, sans donner des signes de faiblesse, sans se laisser intimider, afin d'arracher la gangrène fondamentaliste et extrémiste qui a fait son apparition sur le corps libanais. Il y va de l'intérêt de toutes les composantes libanaises, y compris le Hezbollah, et aussi, par ricochet, des puissances occidentales qui donnent des signes de panique face à l'accroissement du danger jihadiste, fruit du grave déséquilibre politique qui mine le pays du Cèdre du fait de la dérive du Hezbollah.
L'enjeu revêt un caractère existentiel. Il ne supporte donc ni la politique d'atermoiements ni les incompréhensibles hésitations, et surtout pas les étroits et mesquins calculs partisans et sectaires.
commentaires (6)
A croire que M. Touma est en pleine campagne electorale par procuration , ma foi . C'est pas en alignant des faits les uns aux autres qu'on arrivera a expliquer l'Histoire du pays . J'ai lu avec passion votre article et vous savez combien de fois vous avez cite hezb resistant , Iran et Mollah ?? 10 fois , refaites le parcours , 10 fois parce que c'est important d'en parler , mais pas comme vous le faites . L'olp a ete chasse par Israel , bien, mais Israel a ete degage comme des malpropres par le HEZBOLLAH ! vous ne le dites pas assez , ok la Syrie a ete degagee par qui ? un soulevement populaire ? ok disons que ce fut le cas , mais pour degager le Hezbollah que faut il faire , vous dites parler aux chefs iraniens , mais le hezb resistant n'est pas un corps etranger , il est l'expression populaire d'une communaute qui ne veut plus qu'on parle pour elle ! ni a Teheran , ni a tel aviv ni a Damas . Cette communaute reve d'un etat fort capable de lui garantir que les usurpateurs de terre et de biens ne vont pas recidiver au sud Liban , vous pensez que Sleiman a pu garantir ca aux libanais du sud ? ah oui ! pourquoi il parle pas de l'armement promis par les binsaouds et paye a la hollandouille ? c'est un peu par la qu'il faut chercher les solutions libanaises entre libanais . NON ?
FRIK-A-FRAK
13 h 52, le 19 avril 2014