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Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine MESSARRA

Pourquoi les politiques publiques ne marchent pas au Liban ?

Pourquoi les politiques publiques, même les mieux planifiées, ne marchent pas au Liban? La réponse passe-partout et fourre-tout, paresseuse et toute prête, d'intellos en chambre : c'est le confessionnalisme! Il y a encore aujourd'hui une autre réponse qui a l'air moins banale et « structurelle » : l'absence de l'État ou la faiblesse de l'État. Ces deux prétendues réponses ne nous éclairent pas davantage, à travers le diagnostic du mal et de ses remèdes, surtout qu'on ne peut guérir un mal que par ses remèdes.


Nous allons retenir, de 1958 à nos jours, cinq expériences pionnières de politique publique :
a. La politique publique de réforme administrative sous le mandat du président Fouad Chéhab en 1958-1964.
b. La politique publique de structuration de l'armée, son unification et l'institution du service militaire pour les jeunes après l'accord de Taëf et la pacification.
c. La politique publique du plan de rénovation pédagogique au CRDP, en application de l'accord de Taëf, sous la direction du professeur Mounir Abou Asly, dans les années 1996-2002.
d. La politique publique de reprise en 2002 de l'École nationale d'administration-ENA, en tant qu'institution autonome, avec un nouveau conseil d'administration.
e. La politique publique d'élaboration d'une nouvelle loi électorale à travers la formation d'une commission dite commission Boutros.


C'est à propos de cette dernière expérience que le travail de Noha Ibrahim éveille le questionnement: pourquoi les politiques publiques au Liban ne marchent pas, sont bloquées, récupérées, sabotées ou, dans le meilleur ou moins pire des cas, déviées de leur contenu et finalité ?(1)
Une politique publique, sauf s'il s'agit d'un État stalinien ou à la Saddam Hussein (dans ce cas dans quelle mesure est-elle vraiment publique ?) a besoin de soutien pour être appliquée. Soutien de qui ? Des élites au pouvoir, de partis politiques, d'une majorité consistante et cohérente, des forces syndicales, professionnelles et socio-économiques... Or qui soutient au Liban une politique publique, dans un esprit public, c'est-à-dire d'intérêt général et en faveur de la collectivité ?


S'il y a structuration communautaire au Liban, ou pillarisation (de pillar colonne) comme on dit dans des pays semblables au Liban à travers des leaders communautaires au sommet (aqtâb), c'est que d'autres forces n'exercent pas leur travail de contrepoids. On s'intéresse beaucoup dans les pays arabes aux partis dans le processus de démocratisation. On se trompe. Car les partis, à défaut d'autres contrepoids, sont encore régis par des enjeux de pouvoir, ce qui déboucherait sur une dictature de partis, une partitocratie.
Ce qui fait contrepoids à l'encontre du risque fréquent de partitocratie et de pillarisation communautaire, ce sont les syndicats et organisations professionnelles et socio-économiques, plus proches en principe des préoccupations vitales et quotidiennes de la population, malgré tous les clivages.


On voit alors pourquoi la création du Conseil économique et social a été envisagée dans l'accord de Taëf. Et pourquoi, après la création effective de ce conseil, sous la présidence fort zélée et active de Roger Nasnas, tout a été fait pour ne pas lui fournir les moyens et ne pas lui assurer la continuité. Et pourquoi aujourd'hui des politiciens aqtâb et des médias subordonnés ou dupes font tout pour faire oublier le Conseil économique et social. Et pourquoi, depuis les années 1980, tout a été fait – et défait – pour briser et subordonner la vitalité du syndicalisme libanais.


À l'encontre de cela de grandes organisations socio-économiques se contentent le plus souvent de publier des communiqués pour se plaindre de la situation, exhorter à l'entente et exprimer des souhaits, sans vraiment être les contrepoids pour la pacification profonde et l'exécution de politiques publiques.
Il est significatif que les forces syndicales et socio-économiques ont toujours été exclues de ce qu'on appelle les réunions de dialogue, pourtant appelé national. Les forces syndicales et socio-économiques sont des éléments équilibrants, et certainement perturbateurs, face à la pillarisation communautaire.
C'est pourquoi la pillarisation communautaire a ravagé les syndicats et les élections syndicales par des leaders au sommet, semant la contagion à des partis, même ceux soucieux d'intérêt général, dans une course effrénée à la subordination de forces en principe vives de la société.


À un moment où on parle de la détérioration des conditions socio-économiques, de l'échelle des salaires et de son impact sur les finances publiques... nul ne se demande : où est le Conseil économique et social ? Des cogitateurs sur la réforme politique soulèvent les clauses non appliquées de l'accord de Taëf et ne pensent même pas à la clause relative au Conseil économique et social, qui existe bel et bien dans les textes et le bâtiment, mais dont le mandat a expiré depuis des années.

 

***
Le Conseil économique et social est un organe de débat public, équilibrant et stabilisateur, mais perturbateur de l'hégémonie, de la partitocratie et de la pillarisation communautaire.
Le président et martyr de la 2e indépendance, Rafic Hariri, homme d'affaires éminent et engagé dans la politique nationale, quand il a dit à des forces occultes et devenues trop visibles et présentes : ça suffit! c'est alors qu'on s'est débarrassé de lui!
Où sont les forces économiques et sociales, indépendantes par rapport aux partis, mais pas nécessairement hostiles aux partis, pour sauver l'équilibre démocratique libanais et le besoin minimal de politique publique?

 

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel, professeur à l'USJ

(1) Noha Ibrahim, La loi électorale libanaise : Entre volonté affichée de réforme et peur généralisée du changement, 2005-2009, Mémoire de maîtrise, Histoire-Relations internationales, USJ, dir. Carla Eddé, 2013.

Pourquoi les politiques publiques, même les mieux planifiées, ne marchent pas au Liban? La réponse passe-partout et fourre-tout, paresseuse et toute prête, d'intellos en chambre : c'est le confessionnalisme! Il y a encore aujourd'hui une autre réponse qui a l'air moins banale et « structurelle » : l'absence de l'État ou la faiblesse de l'État. Ces deux prétendues réponses ne nous...

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