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Diaspora

Les Brésiliens eux-mêmes ne le savent pas, mais Fagner est aussi libanais !

« Je vous remercie de me donner l'opportunité de pouvoir m'adresser pour la première fois au peuple libanais. » Une interview exclusive d'un chanteur consacré au Brésil.

Le chanteur libano-brésilien Fagner en concert.

Chanteur, compositeur, interprète, acteur et producteur, il chante avec un délicieux accent du Nordeste brésilien.
Dernier-né des cinq enfants de José Fares et de Dona Francisca, Raimundo Fagner est né au Brésil, à Orós, une petite ville de l'État du Ceará.
En 1971, il entre à la faculté d'architecture de l'Université de Brasilia, mais abandonne ses études avant la fin de l'année universitaire. La même année, il participe avec trois chansons au Festival de la musique populaire du Centre d'études de l'Université de Brasilia et obtient la sixième place avec Manera Frufru Manera (en partenariat avec Ricardo Bezerra), une mention honorable et le prix du meilleur interprète avec Cavalo Ferro (également en partenariat avec Ricardo Bezerra) et la première place avec Mucuripe (en partenariat avec Belchior).
Suite à ce succès, les compositions de Fagner sont chantées dans tous les bars du pays et la presse commence à s'intéresser à lui.
Il est l'auteur de chansons qui ont connu un énorme succès au Brésil, parmi lesquelles Deslizes, Revelação, Pedras Que Cantam et Borbulhas de Amor.

Fagner, votre père, José Fares, était un immigrant libanais. Les Libanais sont venus au Brésil à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, afin de fuir les difficultés dans lesquelles se débattait leur pays. Est-ce que votre père avait l'habitude de vous parler, à vous et vos frères et sœurs, de son histoire et des raisons qui l'avaient poussé à immigrer au Brésil ?

Mon père, José Fares Lopes – de son vrai nom Yussef Fares Lubbos – ,est arrivé au Brésil en 1920. Il était le fils de Martha Haddad et Fares Lubbos. Fares, mon grand-père, né le 8 août 1903, était venu au Ceará en repérage, puis était retourné chercher sa famille du Liban. Mais alors qu'ils se préparaient pour le grand départ, mon grand-père a été tué lors d'une de ces fusillades qui durent jusqu'à présent. Du coup, mon père est venu seul et mon oncle João Felix l'a rejoint quelque temps plus tard.
Nous étions cinq enfants et j'étais le plus jeune. Peut-être pour me préserver, mon père ne m'a jamais raconté son histoire. Mais même si j'ignorais tout de sa vie au Liban, je me suis toujours interrogé sur les violents cauchemars dont il a été victime durant de nombreuses années. Je me doutais bien qu'il y avait là quelque chose d'anormal. Je n'ai appris la vérité que beaucoup plus tard, quand mes frères se sont décidés à parler.

Savez-vous dans quelle région du Liban votre père est né ? Est-ce qu'il lui arrivait de vous raconter les bons et les mauvais souvenirs qu'il gardait de sa terre natale ?

Mon père est né à Aïn Ebel, à environ 100 km au sud de Beyrouth. Il est issu de l'union des familles Lubbos, Haddad et Ghostine. Malgré les pertes douloureuses qui l'ont obligé à quitter son pays, il ne tarissait pas d'éloges sur le Liban. Il disait toujours qu'il n'y avait pas de plus beau pays dans tout le Moyen-Orient.

J'ai lu quelque part que vous vous intéressiez à la musique depuis l'enfance et que vous aviez gagné à cinq ans un concours de chant enfantin en l'honneur de la fête des Mères. Comment l'art était-il perçu dans votre famille ? Votre père étant libanais et votre mère brésilienne, n'y avait-il pas de conflit culturel entre eux, des difficultés à accepter le fait que vous ayez choisi une carrière artistique ?

Mon père avait été chanteur pour la radio au Liban, mais il voulait que ses enfants fassent des études. Tout le monde a fini diplômé, sauf mon frère aîné. Mon père ne voyait pas d'un bon œil que je devienne musicien professionnel et insistait pour que j'obtienne un diplôme universitaire. Lorsque j'ai décidé d'abandonner mes études d'architecture à l'Université de Brasilia (UNB), je lui ai fait beaucoup de peine. Nos relations sont devenues tendues et je lui en ai voulu d'être un père trop sévère. Grâce à Dieu, ma carrière a décollé rapidement, ce qui a apaisé ses craintes. Avec le temps, il était devenu fier de moi et racontait à qui voulait l'entendre qu'il était mon père, principalement à ses amis de la colonie libanaise du Ceará, dans laquelle il était tenu en grande estime.

Plusieurs de vos compositions ont été reprises par des grands noms de la musique brésilienne, comme Elis Regina et Roberto Carlos. Vous avez fait un album avec Luiz Gonzaga et enregistré avec des pointures telles que Chico Buarque, Zé Ramalho, Beth Carvalho et Cazuza. Que savez-vous de la musique libanaise ? Vous qui êtes un musicien aux talents éclectiques, avez-vous déjà envisagé une collaboration avec un artiste libanais ?

J'ai toujours aimé la musique arabe. J'ai commencé par découvrir la fabuleuse Oum Koulsoum, puis je me suis intéressé au fil des ans à de nombreux autres musiciens. Ces derniers temps, j'ai reçu un bon nombre d'enregistrements en provenance du Liban, avec des artistes qui, à mon sens, apportent une rénovation spectaculaire à la qualité et à l'émotion propres à la musique libanaise. J'apprécie particulièrement Carole Samaha, Najwa Karam, Élissa, Waël Kfouri, Nawal al-Zoghbi, Magida el-Roumi et Nancy Ajram.
Quant à un éventuel projet avec un musicien libanais, c'est un rêve que je caresse depuis longtemps et qu'il serait peut-être temps de concrétiser. J'ai travaillé avec beaucoup d'artistes brésiliens. Dans les années 80, j'ai participé à un très beau projet en Espagne, qui a donné naissance à l'album Traduzir-se, dans lequel j'ai mêlé le flamenco aux rythmes du Nordeste. Cette expérience pourrait servir de base pour un futur mariage avec la musique libanaise.

Le public se souvient de Fagner dans des télénovelas et des miniséries de la télévision brésilienne. Parlez-moi de cette expérience. Le métier d'acteur vous manque-t-il ?

Pas du tout. Je n'ai jamais eu l'intention de faire carrière dans ce domaine. J'ai fait une exception parce que l'actrice mondialement connue Florinda Bolkan, qui est de la même terre que moi, me l'a demandé. Elle pensait que je pourrais faire un bon acteur. Comme elle, le producteur de cinéma brésilien Luiz Carlos Barreto m'a encouragé dans ce sens. Mais ce n'est pas « mon truc ».

En 1978, vous avez sorti un album intitulé « Quem Viver Chorará » (Qui vivra pleurera), dédié à vos parents. Que pourriez-vous nous dire de votre relation avec votre famille et des raisons qui vous ont poussé à leur dédier cet album ?

J'ai toujours été très attaché à ma famille. En dehors de mon père qui chantait toujours à la maison – particulièrement des chansons de son pays d'origine que j'adorais – ma mère et mes frères aussi étaient musiciens. Ils ont beaucoup contribué à ma formation musicale, principalement mon frère Fares, qui avait quinze ans de plus que moi et qui m'a fait écouter de la bonne musique à l'adolescence. Fares a été l'un des plus grands et des plus respectés « seresteiros » (celui qui joue le rythme « seresta » ) de Fortaleza.

Quels sont les mots qui vous viennent à l'esprit quand on parle de « culture libanaise » ?
Gastronomie, guerre, histoire, de beaux sites détruits, un peuple instruit et intelligent, la chaleur de l'hospitalité (similaire à la générosité du peuple du Nordeste brésilien). Pour les Libanais, la famille et les amis comptent plus que tout. Au cours de ces années, nous avons reçu des parents venus du Liban pour fuir la guerre. Ils n'ont pas mis longtemps à s'acclimater au Brésil, apprenant notre langue à la perfection et occupant souvent de hautes positions sociales dans la société brésilienne, à l'image de mes cousins, Jean et Simon Tanius Nemer.

Envisagez-vous de venir au Liban dans un proche avenir, peut-être pour donner un concert ?
Ce serait pour moi un grand moment d'émotion. Jusqu'à présent, je n'avais jamais eu envie de me rendre au Liban à cause de la souffrance liée à l'histoire de mon père, de la sensation de perte et de frustration qui se dégageait de lui à chaque fois qu'il voyait des images de son pays natal à la télévision. Cette visite pourrait être un moyen de me réconcilier avec mon histoire, tout en rendant un hommage à la mémoire de mon père. Mais il faut me laisser le temps. Mon idée n'est pas seulement de montrer ce que je fais au Brésil, mais aussi de faire un travail de coopération avec les artistes libanais, afin que le résultat ait un impact important sur la grande communauté libano-brésilienne. Je suis prêt pour l'aventure. D'ailleurs, j'ai déjà des gens qui travaillent sur ce projet.

Chanteur, compositeur, interprète, acteur et producteur, il chante avec un délicieux accent du Nordeste brésilien.Dernier-né des cinq enfants de José Fares et de Dona Francisca, Raimundo Fagner est né au Brésil, à Orós, une petite ville de l'État du Ceará.En 1971, il entre à la faculté d'architecture de l'Université de Brasilia, mais abandonne ses études avant la fin de l'année...