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Liban - Société

Les enfants... ces victimes oubliées de la violence domestique

Dans les cas des meurtres résultant des violences domestiques, l'attention se focalise toujours sur les victimes et les circonstances atroces de leur décès, au point d'oublier les enfants. Ces derniers sont les plus lésés, notamment s'ils ont été témoins du drame. Une protection, surtout judicaire, doit leur être accordée.

Les enfants témoins de violence conjugale sont les victimes oubliées de ces pratiques. Photo Goodluz/Bigstock

Récemment, les cas de plusieurs femmes décédées suite à une violence conjugale ont défrayé la chronique et suscité un tollé sur les réseaux sociaux. Ces réactions, qui se sont traduites sur le terrain par une manifestation à laquelle ont pris part plus de 4 000 personnes le 8 mars, ont conduit à la promulgation, mardi dernier, de la loi pour la protection de la femme et des autres membres de la famille de la violence domestique.
Or les législateurs n'ont pas pris en compte les remarques formulées par la société civile sur certaines clauses de cette loi, qui constituent, selon elle, des principes mêmes de la protection de la femme. De ce fait, il n'est pas sûr que la femme bénéficiera pour autant de la protection nécessaire, encore moins les enfants, surtout si ces derniers sont témoins de la violence domestique. D'ailleurs, ces derniers sont les « dommages collatéraux » qui découlent de ces violences.


C'est le cas des enfants des dernières victimes en date, plus précisément les filles de Roula Yacoub (lire ici, ici et ici), décédée le 7 juillet 2013. Dans le procès-verbal de l'enquête, l'on ne peut que constater, d'après les témoignages recueillis, que les filles aînées de la victime étaient présentes lorsque cette dernière « était tombée par terre ».
Une lecture approfondie du document permet aussi de déceler certaines contradictions concernant les circonstances de la mort. Ce qui est le plus surprenant toutefois, ce sont les témoignages des fillettes, respectivement âgées de 11 et de 13 ans. Dans leur déposition, elles utilisent les mêmes mots et les mêmes phrases pour décrire les circonstances ayant précédé la mort de leur mère, de manière à blanchir leur père. Les réponses qu'elles ont données aux questions posées par l'officier chargé de l'enquête sous-entendent toutefois une violence récurrente que leur mère subissait, ce qui rejoint d'ailleurs les dépositions d'autres témoins cités dans le procès-verbal. En effet, Gladys et Gabriella ont toutes deux affirmé que c'était « la première fois » que leur père frappait leur mère, mais qu' « ils se disputaient et se houspillaient souvent ». En réponse à une question, Gladys a cependant précisé que lorsque son père « frappait » sa mère, cette dernière lui disait, « ne me frappe pas, je ne suis pas ton esclave ».
Signalons en outre que les dépositions des deux filles ont été recueillies en présence d'une déléguée légale agréée pour les affaires des mineures et de la tante paternelle des filles, sachant qu'après le décès de leur maman, les enfants ont été vivre avec la famille du père. Or celui-ci est accusé par la famille de Roula Yacoub de l'avoir tuée.


Tout cela laisse penser que les filles de la victime ont forcément été manipulées. Cette réflexion est renforcée par le témoignage d'une amie de la victime qui avait affirmé que lorsqu'elle s'était rendue à la maison de Roula Yacoub pour s'enquérir des fillettes, elle a trouvé Gladys en pleurs « tenant son bras gauche ». Lorsqu'elle lui a demandé ce qui s'est passé, la fille a répondu en pleurant de plus belle que « son père a battu sa mère avec la raclette-sol » et qu'il s'était retourné contre sa fille, « la menaçant de mort si elle le racontait à quelqu'un ».

 

Failles dans le dossier des filles
Les filles étant les principaux témoins dans l'enquête, elles auraient dû bénéficier d'une protection judicaire. Ce qui n'a pas été encore fait jusqu'à présent. « Plusieurs éléments sont à relever dans la manière dont a été pris en charge le dossier des filles de Roula Yacoub », observe Roula Lebbos, experte en la matière et ancienne directrice du bureau du Mont-Liban à l'Union pour la protection de l'enfance (UPEL). « Conformément à la loi 422 pour la protection de l'enfance, la tante paternelle n'aurait pas dû assister à l'interrogatoire préliminaire, explique-t-elle. Cette loi stipule que l'interrogatoire préliminaire d'un mineur se fait en présence uniquement d'une assistante sociale de l'UPEL, seule association mandatée par l'État pour assurer la protection judiciaire de l'enfant. Par conséquent, aucune autre personne ne doit être présente, notamment les membres de la famille, et cela pour ne pas biaiser l'investigation. L'enfant est un être vulnérable qui a besoin d'une personne qui l'assiste durant l'interrogatoire. Dans la loi 422, l'assistante sociale de l'UPEL a été désignée pour accomplir cette tâche. »


Ne risque-t-elle pas de pousser malencontreusement le mineur vers une mauvaise piste ? « L'assistante sociale n'a pas le droit d'intervenir dans le processus de l'interrogatoire, affirme Roula Lebbos. Son rôle consiste à s'assurer que l'enfant ne subit pas, durant l'interrogatoire, un abus quelconque tant sur le plan physique que moral, psychique et affectif. Elle doit également s'assurer que l'enfant comprend bien les questions qui lui sont posées. De plus, elle doit lui fournir un soutien et l'aider, si nécessaire à formuler la réponse. Enfin, elle doit s'assurer que l'enfant rentre chez lui au sein d'un milieu protecteur. Dans le cas contraire, elle doit présenter un dossier de protection judiciaire pour l'enfant. Dans certains cas, elle collabore avec le procureur général pour lui donner un avis dans ce cadre. »
Conformément à l'article 25 de la loi 422, « est considéré en danger tout enfant vivant sur le territoire libanais, victime d'un abus sexuel, psychique et/ou physique, de négligence, ou encore qui se trouve dans un milieu qui menace sa santé, son développement intellectuel, physique, émotionnel et psychique ». Par conséquent, cet enfant « a le droit à une protection judiciaire ».

 

En danger...
Or les filles de Roula Yacoub n'ont pas bénéficié de ce droit, de l'aveu de nombreux spécialistes, qui affirment que les filles sont en danger, « du moins psychique », puisqu'elles vivent toujours dans la famille du père, accusé par la famille de la mère, Roula Yacoub, d'avoir tué cette dernière.
« De plus, selon l'enquête préliminaire, ces filles semblent avoir été victimes de violences domestiques, souligne Roula Lebbos. Or un enfant qui témoigne d'une violence conjugale ou familiale a subi un abus. Il a besoin d'aide et de protection. Dans le cas des filles de Roula Yacoub, l'enquête préliminaire laisse supposer que celles-ci ont vu leur père frapper leur mère à plusieurs reprises. De plus, le jour du drame, elles étaient à la maison et ont vu leur mère s'évanouir, avant de savoir, quelque temps plus tard, qu'elle était morte. » Autant d'éléments à prendre en considération pour demander, au plus tôt, un dossier de protection judicaire pour les filles. « Elles doivent être placées dans un milieu neutre où elles peuvent recevoir l'aide adéquate, insiste encore Roula Lebbos. Les filles ont urgemment besoin d'un suivi psychothérapeutique. Ce n'est pas un choix. Par ailleurs, les résultats qui ressortent de ce suivi doivent être bien exploités. »


Et de constater : « Malheureusement, au Liban, il est très difficile de trouver un milieu neutre. Il n'y a que les associations, et ce n'est pas une solution saine. Lorsque je travaillais à l'UPEL, nous avons repéré quelques familles d'accueil, mais au Liban, nous n'avons pas encore de structure pour ces familles. C'est la raison pour laquelle on cherche toujours à placer l'enfant victime d'abus chez des personnes du réseau secondaire ou tertiaire de la famille ou on se dirige vers les associations. Dans certains cas bien précis, comme celui des filles de Roula Yacoub, il n'est pas du tout mauvais de placer les filles pour une durée déterminée dans une association où elles suivront une psychothérapie. Selon les résultats, les décisions adéquates seront prises en concertation avec les enfants. En effet, la participation de l'enfant aux décisions qui concernent sa vie est l'un des principes fondamentaux de la Charte des droits de l'enfant ratifiée par le Liban en 1991 et sur base de laquelle la loi 422 a été élaborée. Donc le droit de l'enfant, quel que soit son âge, de décider où et avec qui il veut vivre est sacré. On n'a pas le droit de le lui ôter, sachant qu'il a le droit d'avoir plusieurs choix. Le tribunal et l'UPEL ont ce devoir de soutenir ces enfants. »


Les filles de Roula Yacoub ont-elles eu droit à ce soutien ? « Sinon, il n'est jamais trop tard pour le faire, insiste Roula Lebbos. Un dossier de protection judiciaire peut être réclamé à n'importe quel moment, tant que les enfants sont en danger. »

 

Trouble du stress post-traumatique
D'après Roula Lebbos, qui a eu à s'occuper des dossiers de plusieurs centaines d'enfants victimes d'abus, soit les filles de Roula Yacoub souffrent à l'heure actuelle du trouble du stress post-traumatique (PTSD – Post Traumatic Stress Disorder), soit elles sont dans une phase de déni.


Dans le premier cas de figure, « les filles pourraient reproduire la scène traumatique en revivant ses conséquences ou en exerçant, des années plus tard, la violence sur leurs enfants », note Roula Lebbos. Le PTSD se traduit par « une forte anxiété, une peur extrême, une difficulté à dormir, à manger (anorexie, boulimie), une baisse dans les résultats scolaires, des attaques de panique et une difficulté à pratiquer des relations sociales normales ». Dans certains cas, « ce stress peut mener aussi à une mélancolie et une dépression, ajoute-t-elle. Si les effets du traumatisme ne sont pas traités, chez l'enfant comme chez l'adulte, les résultats sur le long terme sont catastrophiques ».


Dans le deuxième cas de figure, « les filles refusent ce qu'elles ont vu et essaient de l'oublier ». « C'est un mécanisme de défense pour pouvoir poursuivre leur vie, indique Roula Lebbos. Mais cela ne durera pas longtemps. Une situation quelconque déclenchera la mémoire et tout finira par refaire surface. Ces enfants vont finir par tout raconter, même dans plusieurs années. La vérité finira par éclater. »
« On est devant des filles qui continuent à être maltraitées, d'autant qu'elles ne sont pas dans un milieu neutre et qu'elles ne reçoivent pas un suivi psychothérapeutique spécialisé intensif, affirme-t-elle. Si elles survivent, c'est parce qu'elles sont ensemble. À ce stade de leur vie, elles font ce qui leur est demandé, parce qu'elles ont besoin qu'un adulte soit à leurs côtés. »


Et Roula Lebbos de conclure : « Ce qui est sûr, c'est qu'une enquête approfondie est nécessaire pour établir un diagnostic psychosocial, afin de prendre les mesures nécessaires. »
La question qui se pose à ce niveau est celle de savoir à quoi pensait le procureur général en prononçant un non-lieu en faveur du mari de Roula Yacoub, pourquoi ces filles n'ont-elles pas bénéficié d'une psychothérapie et, surtout, a-t-on peur de la vérité?

 

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Récemment, les cas de plusieurs femmes décédées suite à une violence conjugale ont défrayé la chronique et suscité un tollé sur les réseaux sociaux. Ces réactions, qui se sont traduites sur le terrain par une manifestation à laquelle ont pris part plus de 4 000 personnes le 8 mars, ont conduit à la promulgation, mardi dernier, de la loi pour la protection de la femme et des autres...

commentaires (1)

Dans un pays tribal la peur de la vérité est naturelle surtout quans la personnalité des enfants est eclipsée par les parents,la fille surtout est sous le chantage du member le plus influent .

Sabbagha Antoine

13 h 58, le 03 avril 2014

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Commentaires (1)

  • Dans un pays tribal la peur de la vérité est naturelle surtout quans la personnalité des enfants est eclipsée par les parents,la fille surtout est sous le chantage du member le plus influent .

    Sabbagha Antoine

    13 h 58, le 03 avril 2014

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