Le feu continue de brûler Tripoli et nul ne parvient à éteindre l'incendie. Les rounds se suivent et se ressemblent, sans qu'on puisse comprendre exactement ce qui les provoque. Les habitants de la ville sont épuisés. Ils croyaient que la désignation du général Achraf Rifi à la tête du ministère de la Justice parviendrait à apporter le calme dans la ville, mais presque rien n'a changé sur le terrain alors que les explications se multiplient sans convaincre.
Des rumeurs à Tripoli disent ainsi que le soudain embrasement dans la ville est la riposte à la chute de Yabroud et d'autres laissent entendre que l'instabilité est liée à l'échéance présidentielle. Certaines parties vont même jusqu'à dire que comme la bataille de Nahr el-Bared avait abouti à l'élection du commandant en chef de l'armée de l'époque, le général Michel Sleiman, à la tête de la République, le sang versé à Tripoli pourrait permettre au commandant en chef actuel d'être élu à la présidence.
C'est dans ce contexte que certaines figures politiques ont accusé les services de renseignements de l'armée d'aider les deux parties au conflit à Tripoli pour maintenir le feu allumé jusqu'à l'échéance présidentielle et permettre ainsi au commandant en chef de s'imposer comme le seul candidat capable de ramener le calme dans la ville. Bien entendu, ces rumeurs farfelues n'ont rien à voir avec la réalité. D'autant que ce n'est pas la bataille du camp de Nahr el-Bared qui a favorisé l'élection du président Sleiman, mais les événements du 7 mai 2008 et le compromis de Doha. Affirmer le contraire est injuste pour l'armée et pour la mémoire de ses martyrs, ceux tombés à Nahr el-Bared et ceux qui tombent à Tripoli.
Un notable de la ville précise d'ailleurs que désormais, les soldats de l'armée déployés dans la capitale du Nord sont devenus la cible régulière des attaques des éléments armés. Et cela est un développement nouveau qui devrait pousser la classe politique à se poser des questions sur sa justification. Alors qu'auparavant, les éléments armés se tiraient dessus, soucieux d'éviter de s'en prendre à l'armée, depuis quelque temps, ils l'agressent sciemment et régulièrement. De plus, dans leurs milieux, les éléments armés tiennent un langage très virulent contre la troupe. Le notable de Tripoli estime qu'il y a deux explications à cela, la première est purement interne et serait due au fait que certaines parties influentes dans la ville souhaitent que les responsables militaires de la région du Nord soient changés car ceux qui sont en poste actuellement ne sont pas « suffisamment complaisants » et n'écoutent pas assez les politiciens, alors que certains d'entre eux sont eux-mêmes originaires du Nord, et la seconde, c'est que l'armée constitue une entrave sérieuse à l'exécution de leurs projets.
De plus en plus de citoyens tripolitains sont en effet convaincus que ce qui se passe dans leur ville est lié à un plan qui dépasse la ville, ses enjeux internes et même le Liban. Il s'agirait en réalité de pousser les alaouites de Jabal Mohsen à l'exode, dans une sorte d'épuration confessionnelle. Un peu comme dans les années 75 et 76, lorsque les habitants des camps palestiniens de Jisr el-Bacha, Tell Zaatar et La Quarantaine avaient été contraints à l'exode dans le cadre d'un vaste plan, dont les exécutants ignoraient peut-être l'existence. Les éléments armés qui font la loi à Tripoli, sous la fameuse appellation « des chefs des axes », ne cachent pas le fait qu'ils considèrent Jabal Mohsen et ses habitants alaouites comme une excroissance indésirable qui empêche Tripoli de vivre en paix. Ils veulent donc tout faire pour pousser les habitants du « Jabal » à partir, mais l'armée empêche l'exécution de ce plan en s'interposant entre les belligérants. Il faudrait donc la harceler pour qu'elle se retire de la ville, comme premier pas vers l'exécution du plan.
Dans ce contexte, la prise en charge par le général Rifi du ministère de la Justice ne change rien à ce projet, car à Tripoli, les groupes et les éléments armés sont devenus trop nombreux et puissants pour répondre aux injonctions d'un leader, aussi populaire soit-il. En trois ans, depuis le déclenchement de la crise syrienne, les groupes influencés par l'opposition syrienne ont eu le temps de bien s'implanter et de se développer en établissant leurs propres réseaux et leurs routes d'approvisionnement, profitant de la guerre entre le courant du Futur et l'ancien Premier ministre Nagib Mikati qui a quasiment neutralisé les deux. Les groupes politiques ont cru pouvoir diriger les groupes armés et les utiliser, mais ce sont eux qui imposent leurs décisions et non le contraire. Il y a eu des exemples à ce sujet au cours des dernières années. De plus, les différents groupes ont réussi à se procurer des financements indépendants de ceux des parties politiques habituelles.
En même temps, ils n'ont pas caché leur volonté de chasser l'armée du Nord, ou au moins d'en changer les responsables pour qu'ils soient acquis à leurs vues. On se souvient ainsi des nombreux appels douteux lancés aux soldats et aux officiers sunnites pour désobéir aux ordres de leur commandement, toujours dans le but de livrer le Liban-Nord, et Tripoli en particulier, aux groupes armés pour y créer « un émirat homogène »... Tant que ce projet existera, Tripoli ne connaîtra pas la paix. Elle continuera à vivre une succession de trêves et de tensions armées jusqu'à ce que l'État décide de se prendre en main et d'imposer réellement son autorité, sans prendre en considération les intérêts politiques de tel ou tel autre parti...
Lire aussi
Aux quatre coins du pays, la rue sunnite s'embrase en solidarité avec Ersal
Les sunnites ultras de Tripoli appellent au jihad contre l'armée libanaise
L'ONU rappelle à la Syrie la nécessité de respecter la souveraineté du Liban
commentaires (7)
Quand on n'a plus Rien, mais alors vraiment Rien à dire, on râle ! Yä harâm !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
12 h 36, le 19 mars 2014