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Nos Lecteurs ont la Parole - Sagi SINNO

II.- Le rattachement de la Crimée à la Russie : une légalité très controversée

II.- Une sécession en dehors des cas autorisés par le droit à l'autodétermination
L'éventuel rattachement de la Crimée à la Russie correspondrait plutôt à une sécession non couverte par le droit à l'autodétermination (voir L'Orient-Le Jour du jeudi 13 mars 2014).

A.-La sécession comme fait politique interne
En principe, la sécession est essentiellement un fait politique interne. Quelle que soit sa légalité constitutionnelle, la sécession reste indifférente au regard du droit international, en application du principe de non-ingérence dans les affaires internes d'un État (autonomie constitutionnelle). La CIJ considère « qu'aucune interdiction générale des déclarations unilatérales d'indépendance ne saurait être déduite de la pratique du Conseil de sécurité » (Avis consultatif, Kosovo, op. cit.). Tant que la sécession ne se transforme pas en conflit international menaçant la paix et la sécurité internationales, rien ne peut autoriser la communauté internationale à intervenir dans les affaires internes de l'État concerné. Le droit international intervient a posteriori. Les États tiers attendent généralement la déclaration d'indépendance du nouvel État sécessionniste pour le reconnaître, ou non (ex : la sécession du Monténégro). Les États tiers ayant des mouvements séparatistes sur leur sol (ex : Espagne) seront naturellement les plus réticents face à ce genre de reconnaissance. Le contrôle effectif du territoire constitue le critère selon lequel le nouvel État va s'imposer comme un fait au droit international.

B.- L'illicéité des sécessions accompagnées d'un recours illicite à la force
En revanche, le droit international ne peut rester indifférent face à une sécession si elle est accompagnée d'un recours illicite à la force, notamment quand un tel recours est l'œuvre d'un État tiers. La résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale (ONU, op. cit.) tempère sa réaffirmation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en soulignant que : « Tout État doit s'abstenir de toute action visant à rompre partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un autre État ou d'un autre pays. » Le Conseil de sécurité (ONU) a condamné les déclarations unilatérales d'indépendance qui vont de pair avec un emploi illicite de la force armée, considérant de telles proclamations comme « juridiquement nulles et non avenues » et demandant expressément à tous les États de ne pas reconnaître les nouvelles entités autoproclamées : Rhodésie du Sud (Rés. 216 (1965) et 217 (1965)), nord de Chypre (Rés. 541 (1983)), Republika Srpska (Rés. 787 (1992)). La CIJ « relève – 5 – que (...) l'illicéité de ces déclarations découlait donc non de leur caractère unilatéral, mais du fait que celles-ci allaient ou seraient allées de pair avec un recours illicite à la force ou avec d'autres violations graves de normes de droit international général, en particulier de nature impérative (jus cogens) » (Avis consultatif, Kosovo, op. cit.). Une telle position ne peut qu'être saluée parce qu'elle respecte le principe de la prohibition de l'annexion, principe réaffirmé par la CIJ dans son Avis consultatif du 9 juillet 2004 sur les conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé.
Quant au Kosovo que Poutine évoque comme précédent de sécession sans même avoir reconnu son indépendance, la CIJ considère, dans son Avis consultatif du 22 uillet 2010 (op. cit.), que « dans le cas du Kosovo, le Conseil de sécurité n'a jamais pris une telle position ». En d'autres termes, le Conseil n'a pas considéré que la déclaration d'indépendance du Kosovo s'est accompagnée d'un recours illicite à la force, d'autant plus que cette déclaration est intervenue après deux ans de négociations ayant abouti à l'échec entre la Serbie et les autorités kosovares sur le statut de la province. La Cour a jugé, par suite, que la déclaration d'indépendance du Kosovo, adoptée le 17 février 2008, n'a pas violé le droit international. Le cas de la Crimée est bien différent de celui du Kosovo. L'envoi de troupes russes supplémentaires en Crimée à quelques jours du référendum s'apparente clairement, et malgré les tentatives de déguisement, à un usage illicite de la force armée. La demande à la Russie d'intervenir, émanant du président ukrainien déchu se trouvant sur le sol russe, ne saurait constituer une base légale à l'intervention russe. En dehors d'une résolution du Conseil de sécurité l'autorisant expressément, l'intervention russe en Crimée ne pourrait être qu'illégale. C'est Poutine lui-même qui l'affirmait solennellement, septembre dernier, en ce qui concerne la Syrie. Une sécession de la Crimée, allant de pair avec un tel recours illicite à la force de la part de la Russie, serait par suite illicite au regard du droit international. L'absence probable de condamnation de cette sécession de la part du Conseil de sécurité (veto russe) ne changera pas grand-chose à sa nature illicite. Le cas de la Crimée serait alors à rapprocher de ceux de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie. L'indépendance autoproclamée des deux républiques séparatistes, obtenue suite à l'intervention armée de la Russie en Géorgie en 2008, n'a toujours pas été reconnue pas les Nations unies1.

Sagi SINNO
Master en droit international
Doctorant à l'Université Paris 2, Panthéon-Assas

1- Russie, Nauru, Nicaragua, Tuvalu, Venezuela sont les seuls à reconnaître cette indépendance.

II.- Une sécession en dehors des cas autorisés par le droit à l'autodéterminationL'éventuel rattachement de la Crimée à la Russie correspondrait plutôt à une sécession non couverte par le droit à l'autodétermination (voir L'Orient-Le Jour du jeudi 13 mars 2014).
A.-La sécession comme fait politique interneEn principe, la sécession est essentiellement un fait politique interne....

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