Dimanche soir, peu avant minuit, la triste histoire de l'enlèvement des 13 religieuses du couvent Sainte-Tècle à Maaloula a pris fin. Si beaucoup de Libanais ont pu voir en direct – malgré l'heure tardive – le « happy end » de cette épreuve qui a duré plus de trois mois, beaucoup de détails méritent qu'on y revienne encore, pour mieux comprendre la signification de ce soudain développement.
Les religieuses, dont la supérieure du couvent, mère Bilajia Slava, ont été enlevées avec trois de leurs auxiliaires lorsque les combattants du Front al-Nosra sont entrés dans la bourgade de Maaloula et au couvent Sainte-Tècle, le 3 décembre 2013. C'est l'unité « al-Sarkha » (un des 1 250 groupes qui se battent en Syrie sous la bannière de l'opposition syrienne), sur l'impulsion de son chef Miskal Hamama, qui les a prises en otages avant de les transporter dans le Qalamoun, où elles ont souvent changé de lieu de détention avant d'être finalement installées dans l'immeuble de trois étages appartenant à l'homme d'affaires syrien Georges Haswany, à Yabroud. Cet immeuble a été occupé par les combattants du front al-Nosra et leurs alliés, mais Haswany a maintenu des contacts avec eux, tout en ayant des liens avec le régime syrien. Comme cela se passe souvent dans les guerres... C'est donc lui qui a commencé par offrir ses services en vue d'une médiation pour la libération des religieuses, avec lesquelles il parlait de temps en temps au téléphone, lorsque les geôliers le permettaient.
L'histoire de l'enlèvement des religieuses – et son dénouement – ressemble étrangement à celle des ex-détenus d'Aazaz, avec presque les mêmes protagonistes, et quelques changements. Miskal Hamama a donc été pour les religieuses ce qu'était Abou Ibrahim pour les pèlerins enlevés à Aazaz, médiatisation à outrance en moins. Il a commencé par exiger de négocier avec l'ONU. Mais celle-ci ne pouvant reconnaître officiellement al-Nosra, l'idée a rapidement été abandonnée. Georges Haswany a malgré tout poursuivi sa médiation et les rebelles lui ont présenté une première liste de prisonniers dont ils exigeaient la libération en contrepartie de celle des religieuses. La liste comportait plus de mille noms, dont 150 sont des prisonniers à Roumié, au Liban ! D'une part, le régime syrien a totalement refusé de libérer des hommes en contrepartie de la libération des religieuses et, d'autre part, le Liban a refusé de libérer les détenus de Roumié dans le cadre de cette négociation. Les rebelles ont alors donné une autre liste de 138 noms, mais il s'est avéré que 66 de ces noms ne sont pas chez l'armée syrienne. Miskal Hamama ayant été tué (comme Abou Ibrahim), c'est le chef d'al-Nosra au Qalamoun dit « al-Koweïti » qui a pris en mains les négociations, mais les médiateurs sont convaincus que c'est le chef du front al-Nosra en Syrie, Abou Mohammad al-Joulani, qui menait en réalité les tractations.
Dès le début, les Qataris ont proposé leurs services, surtout après le succès de leur contribution à la libération des détenus d'Aazaz et la relation de confiance qu'ils ont établie avec le principal médiateur chargé de cette mission par l'État libanais, le général Abbas Ibrahim, qui a pris à cœur de mener ce dossier jusqu'à une fin heureuse. Des émissaires qataris sont ainsi venus dans le jurd de Ersal pour parler avec les combattants de l'opposition, sans toutefois entrer en territoire syrien. Mais les négociations piétinaient. Ce n'est que lorsque les forces du régime syrien et leurs alliés du Hezbollah ont pris les collines surplombant l'immeuble de Haswany, à Yabroud, que, soudain, les négociations se sont accélérées. « Al-Koweïti » a demandé à Abou Yazan de solliciter son contact à la chaîne al-Jazira et de relancer le processus de négociation. Cette fois, il était clair que du côté de l'opposition, l'approche était sérieuse. De plus, il fallait faire vite car le temps pressait et le régime syrien menaçait de lancer un assaut contre Yabroud. Les preneurs d'otages ont craint d'arriver à un moment où il n'y aurait plus rien à négocier.
C'est donc en profitant de cet instant particulier que les efforts du général Ibrahim avec la coopération du chef des SR qataris, Ghanem al-Qobeïssy, ont abouti à l'échange : 150 prisonnières, dont une réclamée depuis le début avec beaucoup d'insistance, la Tchéchène Hamida Doulaymi, épouse d'un chef irakien du Front al-Nosra en Irak, avec ses trois enfants, contre les 13 religieuses et leurs trois auxiliaires.
En dépit d'ultimes tentatives d'obtenir plus d'acquis, qui ont retardé la libération jusqu'à minuit, le processus a pu être mené à terme, après un périple de 9 heures, selon la supérieure du couvent.
Pour toutes les parties concernées, ce happy end est un soulagement. Les ravisseurs ont monté une mise en scène qui leur permet d'apparaître comme « des combattants sincères et dévoués, contraints à utiliser ces méthodes à cause de la barbarie du régime syrien ». Ils ont donc posté des vidéos sur Internet dans lesquelles ils faisaient des adieux presque émouvants aux religieuses, allant même jusqu'à leur demander de maintenir le contact avec eux. Cela au moment où le Front al-Nosra est placé par l'Arabie saoudite sur la liste des organisations terroristes. Pour le Qatar, sa contribution à la libération des religieuses est un message à l'Arabie saoudite qui vient de le tancer vertement en rappelant son ambassadeur à Doha. L'émirat confirme ainsi sa nouvelle politique d'ouverture en direction de l'Iran et du Hezbollah. Et pour le Liban, c'est la confirmation de son rôle de protecteur des minorités dans la région, avec notamment la consolidation du rôle du général Ibrahim, ce « travailleur de Dieu », selon mère Slava...
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commentaires (9)
le plus ridicule est la mise en scène finale, les Djihadistes faisant des adieux très EMOUVANTES aux soeurs.,. je ne sais pas si les médias nous prennent pour des stupides ou si nous le sommes ...
Bahijeh Akoury
13 h 21, le 12 mars 2014