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Heavy Metal

Budapest 1956, Prague 1968 et plus récemment l'expédition punitive de 2008 contre une république de Géorgie : c'est un pénible sentiment de déjà-vu que suscite le déferlement de troupes russes en Ukraine sur fond d'indignation – et d'impuissance – occidentales. Déjà vu et même déjà vécu, pourraient renchérir les Libanais : ils ne sont que trop instruits en effet du péril qu'encourent en permanence les petits poissons, quand la nature leur a assigné le voisinage de bien plus gros qu'eux.

Surtout dans son état actuel de dislocation et de dévastation, la Syrie n'est certes pas la Russie; sous les Assad père et fils pourtant, et toutes proportions gardées, elle a longtemps usé contre le Liban de pratiques proprement (?) staliniennes. Ses chars ont labouré notre terre, que le feu de ses canons s'est acharné ensuite à cuire et recuire. Elle a envoyé des milliers de Libanais mourir dans ses goulags et elle a assassiné ou fait assassiner nombre de chefs locaux. Elle a fait de notre pays sa chasse gardée ; et même éclopé, le régime baassiste conserve intacte sa capacité de nuisance. Pire encore, elle peut toujours compter sur l'indéfectible fidélité de ces nostalgiques de l'occupation qui se refusent à penser Liban d'abord. Du moins les Ukrainiens de Crimée que l'on voit à la télé hisser les couleurs de l'envahisseur ont-ils l'excuse, eux, d'être russophones...

Là ne s'arrêtent pas les similarités. Hier, ce grand démocrate de Vladimir Poutine invoquait toutes les valeurs qui lui ont été inculquées durant ses années de formation au KGB pour justifier son coup de force en Ukraine. Et si on n'a pas sauté au plafond, c'est seulement parce que Bachar el-Assad n'est pas en reste d'outrance et qu'on l'a vu trop de fois se poser en preux défenseur des sociétés laïques face à la barbare frénésie des extrémistes religieux.

À l'heure où l'ancien rideau de fer connaît un inquiétant retour en grâce, c'est la même langue de bois que débitent les deux alliés. Et c'est encore elle – dans sa version locale cette fois – que pourfendait dernièrement le président Michel Sleiman, appelant les diverses fractions politiques à troquer le méchant bois des slogans provocateurs pour l'or des principes recueillant l'adhésion entière de tous les Libanais. Voilà qui lui valait une insultante attaque pur bois de la part du Hezbollah, rejoint hier même par la presse officieuse de Damas. Cela est après tout dans le triste ordre des choses. Ce qui surprend en revanche, c'est le mutisme assourdissant observé par les instances, tant religieuses que politiques, censées veiller, plus que d'autres, à l'immunité morale de la première magistrature de l'État.

Il est des fois où le silence n'est pas d'or.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Budapest 1956, Prague 1968 et plus récemment l'expédition punitive de 2008 contre une république de Géorgie : c'est un pénible sentiment de déjà-vu que suscite le déferlement de troupes russes en Ukraine sur fond d'indignation – et d'impuissance – occidentales. Déjà vu et même déjà vécu, pourraient renchérir les Libanais : ils ne sont que trop instruits en effet du péril...