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À La Une - Liban-Témoignage

Nabatieh-Beyrouth : récit d'une odyssée de 7 heures

Ou comment un trajet somme toute banal, se transforme en cauchemar, parce qu'il pleut...

Au niveau de Khaldeh (sud de beyrouth), l'enfer mercredi 4 décembre 2013. Photo Ibrahim Tawil.

Mercredi 4 décembre, Nabatieh, au Liban-Sud, 15h45.

Ma collègue Soraya et moi-même venons de finir une journée de reportage sur le terrain. Nous avons fait les interviews que nous comptions effectuer, rencontré les personnes que nous voulions rencontrer, récolté les informations que nous cherchions, j'ai des images, tout va bien. Cerise sur le gâteau, le soleil perce à travers les nuages depuis quelques heures déjà. Nous décidons de nous mettre en route pour Beyrouth. L'autoroute est dégagée, l'asphalte est sec. Avec un peu de chance, nous serons rapidement à la maison. Ce matin, le trajet nous a pris une heure trente. Et il pleuvait.

A Saïda, le chauffeur de notre taxi fait une pause pour acheter une cagette d'orange à 4.000LL, un prix défiant toute concurrence. Derrière le volant, il affiche un grand sourire, tout heureux de la bonne affaire qu'il vient de réaliser.

 

16h30. Nous venons de dépasser Jiyeh. Entre temps, des nouvelles nous sont parvenues par la radio du chaos qui règne à Beyrouth en raison des pluies torrentielles qui se sont abattues sur la capitale, combinées aux problèmes de gestion des infrastructures libanaises. Un grand classique de l'hiver libanais.

Une collègue m'appelle du bureau, à Hazmieh, légèrement inquiète. « Tout va bien ? La route n'est pas inondée, parce qu'ici c'est le chaos ! » Je réponds, en riant : « Mais non, la route est totalement sèche ici, il ne pleut pas ».

Une demi-heure plus tard, notre taxi ralentit. Nous venons d'arriver à Khaldeh, à l'entrée sud de Beyrouth. Le chauffeur de taxi nous prévient : « Nous avons mis trois quart d'heure de Nabatieh à ici, maintenant, il nous faudra deux heures pour entrer dans Beyrouth ».

Deux heures, ça ne va pas être drôle, mais ça reste supportable. Nous nous engageons dans l'embouteillage sur l'autoroute qui longe l'aéroport.

 

 

 

 

 

Premier demi-tour

Il y a beaucoup de voitures, mais l'on roule, nous sommes ravies. Nous ne le sommes pas longtemps. La circulation devient plus dense, nous roulons au pas pendant 40 minutes avant de tomber sur un agent de la circulation qui invite toutes les voitures à faire demi-tour.

Nous faisons demi-tour sur l'autoroute... et nous demandons pourquoi un agent n'a pas été posté plus tôt pour dévier la circulation vers la route maritime qui passe par Ouzaï!

En revenant vers Khaldeh, nous voyons des voitures continuer de s'engager sur l'autoroute sur laquelle nous venons de faire demi-tour... Personne n'a prévenu les conducteurs de l'impasse dans laquelle ils se jettent.

A l'échangeur de Khaldeh, le chaos est total, entre les voitures qui s'engagent sur l'autoroute, celles qui en reviennent, celles qui optent pour la route de Ouzaï...

Le chauffeur nous propose d'attendre une heure dans un café pour prendre un peu de recul en gros. Ma collègue et moi craignons qu'à chaque minute qui passe la situation empire. Nous commençons à envisager un retour à Nabatieh. J'appelle les collègues au bureau. La route de Ouzaï est-elle coupée ? A priori non. Pas encore du moins. Nous décidons de tenter notre chance.

 

L'option Ouzaï

Nous roulons quelques centaines de mètres, avant de devoir nous arrêter. Il est 18h15. A quelle vitesse roulons-nous à partir de là? Quelques mètres toutes les demi-heures ?

Finalement, nous nous engageons dans un premier tunnel. Rapidement, nous nous retrouvons de nouveau à l'arrêt. Dans la voiture à côté de nous, nous reconnaissons une employée de l'Ambassade de France qui travaille désormais à l'Institut Français de Saïda et qui, comme nous, tente de rentrer chez elle. « Où allez-vous ? », nous lance-t-elle. « Nous retournons à Nabatieh ! ».

Une petite plaisanterie qui ne nous fait même plus rire car il est même devenu impossible de rentrer à Nabatieh. Nous ne pouvons pas avancer, mais nous ne pouvons pas reculer non plus, ni aller à gauche ou à droite d'ailleurs !

« Mon chauffeur de taxi est excédé, il veut faire demi-tour à la première occasion, laissez-moi monter avec vous ! », nous lance l'employée de l'Institut. Nous l'embarquons.

 

Respirer dans un tunnel...

Au bout de quelques minutes, il devient difficile de respirer dans ce tunnel. Une odeur de brûlé se répand. Une demi-heure, 10 mètres. Autour de nous, les gens commencent à sortir de leur voiture. Ils marchent un peu, tentent de voir ce qui se passe devant. Mais devant, il n'y a que des voitures à l'arrêt, des voitures à perte de vue. Dans un camion à côté de nous, même les vaches commencent à ruer.

Au bout d'une heure, nous sortons du premier tunnel et respirons un tout petit peu mieux. Au milieu de l'autoroute, un van a fini de brûler. Autour du véhicule, une vaste mare de mousse blanche.

Certains automobilistes tentent de faire demi-tour. Ils passent sur le terre-plein central, au risque d'y rester coincé. De jeunes hommes poussent une voiture en panne.

Le chauffeur de taxi nous propose des oranges. Les deux voies de l'autoroute vont désormais dans le sens Sud-Beyrouth.

 

Dans un tunnel inondé. Photo Ibrahim Tawil

 

Encore un tunnel

Nous entrons dans le 2e tunnel de Ouzaï. Nous y resterons deux heures. Entre les voitures, des femmes portent leurs enfants, le visage caché par des écharpes et des foulards pour les protéger des gaz toxiques. Elles tentent de sortir de ce fichu tunnel. Entre les voitures aussi, des hommes, des jeunes, des familles entières, des vieux chargés de toutes leurs affaires, certains une valise sur le dos. Ils ont décidé de sortir de cet enfer à pieds. On se croirait en plein exode.

Nous finissons pas sortir du tunnel. Je commence à me dire que nous allons dormir sur la route. J'appelle mon mari. Il me conseille de finir à pieds et m'envoie un itinéraire. « Tu en as pour deux heures de marche selon google maps. 30 minutes pour quitter l'autoroute, puis tu contournes le golf, et tu prends la rue Abbas Moussawi. Au bout, demande la direction de Barbir. »

Lorsque j'évoque mon plan avec mes compagnons d'infortune, l'avis est unanime : « Tu ne te promènes pas comme ça la nuit, ici et seule en plus ! »

Je rentre dans la voiture. Soraya déballe les kebbés que sa tante nous a donnés à Nabatieh. Dans la voiture d'à côté, une femme nous supplie de lui en donner une. « Je n'ai rien mangé depuis 6 heures ! », lâche-t-elle. De l'autre côté de notre voiture, une femme dit avoir soif, un homme d'avoir envie d'uriner.

« J'ai aperçu un marchand de légumes quelques voitures devant nous ! », lâche un homme. Il s'en va et revient, quelques minutes plus tard, avec des concombres qu'il distribue autour de lui.

 

Arriverons-nous à Beyrouth?

21h45. Nous avons quitté Nabatieh il y a six heures. Montée d'angoisse : c'est certain maintenant, nous n'arriverons pas à Beyrouth ce soir.

C'est à ce moment là que le chauffeur de taxi voit la brèche. Un petit passage sur le terre-plein central. A quelques dizaines de mètres seulement. Cette brèche, c'est la possibilité pour nous de faire demi-tour. De l'autre côté de l'autoroute, sur les quatre voies, il en reste une réservée à la circulation dans le sens Beyouth-Sud. Et sur cette voie, les voitures roulent. « Il faut décider maintenant, nous lance le chauffeur de taxi. On continue ou on fait demi-tour? ».

Je regarde ma collègue, elle me regarde aussi. « Demi-tour ! ». La jeune femme de l'Institut ne veut pas faire demi-tour. « Mais nous sommes une famille désormais, nous devons rester ensemble ! », tente-t-elle. Devant notre détermination à faire demi-tour, elle sort de la voiture et se trouve une place dans un autre véhicule vers Beyrouth.

Des hommes à pied nous aident à faire ce demi-tour, il existe une vraie solidarité dans ce chaos.

Rapidement, nous sommes de l'autre côté, et nous roulons, vers le sud. A travers la vitre, nous regardons ceux qui, comme nous quelques secondes plus tôt, sont coincées. Nous traversons les tunnels et voyons toutes ces personnes asphyxiées par une épaisse fumée noire.

Nous roulons. Nous roulons! Nous sommes euphoriques. A Khaldeh, nous décidons de tenter encore quelque chose : et si nous passions par les montagnes pour rentrer à Beyrouth? Le chauffeur est partant. Khaldeh, Doha, Bchemoun, Jamhour... En contrebas, nous voyons le grand Beyrouth, complètement congestionné. Pas grave, pour le moment nous roulons, et la route est belle, les villages charmants. Tant que nous roulons, tout va bien.

22h45, je pousse la porte de ma maison, à Achrafieh...

 

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Mercredi 4 décembre, Nabatieh, au Liban-Sud, 15h45.
Ma collègue Soraya et moi-même venons de finir une journée de reportage sur le terrain. Nous avons fait les interviews que nous comptions effectuer, rencontré les personnes que nous voulions rencontrer, récolté les informations que nous cherchions, j'ai des images, tout va bien. Cerise sur le gâteau, le soleil perce à travers les...

commentaires (3)

Pas pour frimer , mais a Lagos au Nigeria c'est un jour ordinaire , avec des horreurs tout le long de la route . et c'est pas pour faire 60 kms , parfois une 15zaine de kms . L'avantage de ce "go slow" c'est une histoire bien ecrite . Merci ....la pluie...

FRIK-A-FRAK

14 h 19, le 05 décembre 2013

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Commentaires (3)

  • Pas pour frimer , mais a Lagos au Nigeria c'est un jour ordinaire , avec des horreurs tout le long de la route . et c'est pas pour faire 60 kms , parfois une 15zaine de kms . L'avantage de ce "go slow" c'est une histoire bien ecrite . Merci ....la pluie...

    FRIK-A-FRAK

    14 h 19, le 05 décembre 2013

  • D'où l'erreur ...il fallait habité 'Naba t' y est'....

    M.V.

    13 h 56, le 05 décembre 2013

  • L'expérience libanaise avec nos responsables irresponsables encore une fois nous fait connaître que tout ce qui est incroyable n'est pas faux.

    Sabbagha Antoine

    13 h 37, le 05 décembre 2013

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