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Liban

À Ersal, le calvaire sans fin des réfugiés syriens

Des milliers de réfugiés en provenance de Kara ont déferlé à Ersal au cours des dernières 48 heures.

Les habitants de Ersal ont de plus en plus de difficultés à faire face au flux, sans cesse croissant, de réfugiés syriens. Mohamed Azakir/Reuters

La scène est terrifiante : chaussés de pantoufles fripées, un groupe d’enfants se jettent sur un amas de vêtements usagés que vient de déverser au sol un habitant de la ville. En un clin d’œil, ils s’arrachent le butin, tirant un vieux pull par-ci, un pantalon par-là, affichant un sourire victorieux.


Ce sont les nouveaux locataires de la salle de réception mise à leur disposition par la municipalité de la ville de Ersal qui s’échine pour accueillir plusieurs centaines de familles en provenance de la ville de Kara, assiégée puis contrôlée par les forces du régime.


Depuis quelques jours, les habitants de cette ville frontalière de 35 000 habitants voient de nouveau la misère défiler devant leurs yeux.
Avec l’arrivée de près de 2 150 nouvelles familles, Ersal, une localité elle-même rongée par la pauvreté, ne semble pas rechigner à accueillir le nouveau flot de déplacés.


Solidarité politique et communautaire oblige : la population sunnite de la localité, ouvertement favorable à la rébellion syrienne, n’a jamais manqué à son devoir humanitaire à l’égard de ses voisins dans le besoin.
Ayant accueilli depuis le début de la crise syrienne plus de 25 000 réfugiés (le chiffre représente ceux qui sont enregistrés auprès du HCR), cette ville de la Békaa-Nord risque de voir bientôt la population des réfugiés égaler en nombre ses habitants, si ce n’est déjà le cas. D’ailleurs, la municipalité assure que des milliers d’autres réfugiés n’ont pas été enregistrés. Craignant de se faire repérer, plusieurs d’entre eux sont des proches des rebelles ou comptent des membres de leurs familles détenus dans les geôles syriennes. Parmi eux également, quelques membres de l’Armée syrienne libre, qui viennent se reposer quelques jours et revoir leurs familles avant de repartir en mission.


Si la plupart des déplacés ont trouvé un abri de fortune depuis leur arrivée dans la ville – accueillis pour certains à 3 ou 4 familles chez les locaux, pour d’autres dans des tentes dressées sur les lieux –, ce n’est pas le cas des 6 000 nouveaux venus dont une partie vient d’être provisoirement installée dans une salle de réception qui fait figure d’un grand parking.


Debout, sur un monticule de pierres, une mère et sa fille tiennent à la main, dépitées, des chaussures bien altérées, mais qui ne sont pas venues en paires.
« À quoi nous serviront ces souliers ? Pourquoi avoir pris la peine de nous les apporter ? » répètent-elles à l’infini, sans vraiment comprendre que l’on puisse faire un don aussi inutile.


Venue avec ses enfants avec rien d’autre que les habits qu’elle avait sur le dos, comme la majorité de ses pairs, Farida tourne depuis un quart d’heure autour de l’amas de chaussures jetées devant elle à la va-vite et s’inquiète du froid pour son fils de deux ans aux chaussettes trouées.
« Ces gens que vous voyez là devant vous sont pour la plupart issus d’un milieu social relativement aisé. Ils ont dû quitter leur maison en toute hâte sans rien prendre avec eux, alors que le pilonnage s’intensifiait », nous confie Ammar, qui a fait la traversée du désert avec un groupe d’entre eux depuis Kara.
« Tout s’est passé tellement vite. Alors que la ville était pratiquement calme vendredi matin, la situation a basculé vers 10 heures et les obus ont commencé à pleuvoir sur nous. Le pilonnage visait systématiquement les habitations », explique cet homme de quarante ans qui a fui, à l’instar de milliers d’autres, durant la nuit pour ne pas se faire repérer.


À l’intérieur de la salle obscure, les gens sont agglutinés les uns contre les autres, scellés par le même mauvais sort. Pour sortir de leur léthargie, les plus jeunes d’entre eux se sont portés volontaires pour distribuer le maigre repas de la journée : un paquet de pain par famille et deux boîtes de fèves en conserve.
« Je n’ai pas besoin que les Nations unies m’offrent de la nourriture. Ce que j’attends d’elles, c’est une intervention sérieuse pour mettre fin à ce bain de sang », confie Mona, une mère de famille devenue depuis 20 jours seulement grand-mère.
D’un geste de la main, elle nous montre le nouveau-né, enfoui sous la couverture à même le sol pour qu’il soit mieux protégé du froid.
« Est-il permis de voir un poupon vivre dans de telles conditions ? » s’offusque-t-elle.


Fière de ses jumelles diplômées en littérature anglaise, elle affiche pourtant un courage et un espoir indémontables, et crie son message de paix et de réconciliation à qui veut l’entendre.
« Oui, aujourd’hui, nous sommes prêts au compromis pour que soit mis fin à la violence. Que ce soit l’une ou l’autre partie (les rebelles ou les forces du régime), elles n’ont fait que provoquer les calamités », s’indigne-t-elle.
« Tout ce que nous souhaitons, c’est rentrer chez nous et vivre en paix, ajoute Mona, qui reste persuadée que la solution passe par la formule de ni vainqueur ni vaincu. « Même Bachar el-Assad doit rester en place. »
Ce n’est pas l’avis de ce sexagénaire qui lance à tue-tête, en pleine conversation, qu’il n’acceptera jamais que le président syrien, « un criminel », dit-il, reste en place.


Originaire de la ville de Homs, réfugié il y a quelques mois à Kara avec sa famille, Hassan s’est trouvé contraint de fuir une seconde fois.
« Ma femme est retournée à Homs pour reprendre quelques affaires et j’ai dû fuir de Kara en toute hâte, sans même pouvoir la prévenir. Je n’ai plus aucune nouvelle d’elle », se lamente-t-il.
Kara, une ville de Qalamoun, qui compte 35 000 habitants, avait accueilli le même nombre de réfugiés en provenance de Qousseir et de Homs notamment.
« Aujourd’hui, ce sont près de 70 000 personnes qui sont acculés à quitter la ville », dit-il.
Tombée mardi aux mains de l’armée syrienne, Kara, qui relie le sud de la Syrie au Nord-Sud, est un emplacement stratégique que le régime syrien a fini par récupérer des mains des rebelles.

 

La lassitude de la violence
Les nouvelles de la reprise de la ville par les forces de Bachar n’étaient pas encore parvenues à Abou Imad, qui venait de rentrer de Kara où il combattait dans les rangs de l’Armée syrienne libre.
Accroupi sur le sol humide d’une tente dressée dans l’un des campements de la localité, il reste persuadé de la justesse de sa cause et de la nécessité de poursuivre la bataille contre le régime coûte que coûte, en dépit des multiples victoires remportées récemment par ce dernier.
« Nous sommes puissants et restons animés d’une détermination à toute épreuve », dit-il en parlant des moyens aux mains de l’ASL.
« Ce qui nous désavantage surtout, ce sont les missiles sol-sol aux mains des forces régulières capables d’anéantir tout un quartier », se désole le jeune combattant qui refuse de se résigner à la défaite.
« Au cours de la bataille qui avait lieu à Kara, nous avons pris 5 combattants du Hezbollah en otages, affiche-t-il fièrement. Ils pourront nous servir dans le cadre d’échange de prisonniers, ou de négociations. »


À ses côtés, un ancien officier gradé de la police syrienne reconverti en rebelle. Ce qu’il craint le plus, si Qalamoun tombe entre les mains du régime, c’est de se retrouver, avec plusieurs autres opposants, coincé au Liban-Nord entre deux démons : « Les forces du régime de Bachar et celles du Hezbollah, à quelques mètres d’ici », dit-il en allusion aux localités de Laboué et de Baalbeck.
Lassé par la violence, il conclut : « Aujourd’hui, nous souhaitons la paix à n’importe quel prix. À condition que tous ceux qui ont du sang sur les mains soient jugés devant une cour internationale, à commencer par moi. »

 

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La scène est terrifiante : chaussés de pantoufles fripées, un groupe d’enfants se jettent sur un amas de vêtements usagés que vient de déverser au sol un habitant de la ville. En un clin d’œil, ils s’arrachent le butin, tirant un vieux pull par-ci, un pantalon par-là, affichant un sourire victorieux.
Ce sont les nouveaux...

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