Rechercher
Rechercher

À La Une - Le billet

Éducation à la française

Lettre aux parents de la fillette en pull blanc et sac à dos noir qui, à Angers le 25 octobre dernier, sautait en criant à l’adresse de Christiane Taubira : « Guenon, mange ta banane. »

Madame, monsieur,

Il y a quelques mois, Pamela Druckerman, ex-journaliste américaine du Wall Street Journal établie à Paris, vantait, dans un best-seller, l’éducation à la française. Des enfants qui mangent des haricots verts, disent bonjour à la dame, mouchent leur nez et brossent leurs dents. Le trait était un peu grossier – qui ne connaît pas de petits Français au bord de l’apoplexie devant un légume et ne disant bonjour que sous la contrainte ? – mais il avait le mérite d’irriter outre-Atlantique.
« En France, on insiste plus sur le développement de l’intelligence affective, du contrôle de soi, sur le langage correct. On développe les compétences sociales, la vie en groupe, comment parler aux adultes », expliquait notamment Pamela Druckerman dans une interview à l’AFP.

Apparemment, Pamela ne vous avait pas rencontrés.

N’y allons pas par quatre chemins : dans le tableau, certes idyllique, dressé par Mme Druckerman, vous faites tache. Quand votre fille hurle dans la rue au passage de Christiane Taubira, ministre française de la Justice : « Guenon, mange ta banane », c’est un 100 % faute en matière d’« intelligence affective », de « contrôle de soi », de « langage correct », de « compétences sociales », de « vie en groupe » et de « parler aux adultes ».
Ne vous méprenez pas, nous n’avons rien contre votre fille. La pauvre petite n’a probablement fait que répéter ce qu’elle entend, le soir, au-dessus de son assiette de coquillettes au beurre.
Le problème, a priori, c’est plutôt vous.

Mais nous avons envie de vous accorder, sinon le bénéfice du doute, du moins des circonstances atténuantes. Non, en fait, il ne s’agit pas d’une envie, mais d’un besoin, quasi vital, de garder une forme d’espoir en l’humanité.
Nous voudrions croire que vous êtes dépassés par une gamine qui aborde les rives d’une adolescence s’annonçant compliquée, que vous êtes intoxiqués par ces politiciens qui, pour un siège, sont prêts à tous les populismes et à toutes les démagogies, par ces médias qui alimentent la psychose à grand renfort de « une » sur les Roms, le voile, l’islam, la peur, la différence, l’autre. Croyons tout cela.
À partir de là, voici quelques pistes pour vous éviter de propager l’indécence.

Commençons par la guenon. Si votre famille porte un intérêt particulier aux primates, pourquoi ne pas organiser des séances de lecture le soir après le gratin – une veillée en somme – de Ma vie avec les chimpanzés de Jane Goodall, l’histoire d’une jeune fille se donnant les moyens d’une vie passionnante ? Nous vous le recommandons chaleureusement, votre famille semblant avoir autant besoin d’un recadrage sur les singes que d’une fenêtre ouverte sur une vie passionnante.

Si c’est la banane votre truc, savez-vous que la Cavendish est malade ? Et alors ? me diriez-vous. Et alors, l’heure est grave, car la Cavendish est l’espèce de banane la plus répandue dans le monde (près de 50 % de la production mondiale tout de même). Or aujourd’hui, elle est attaquée par la maladie de Panama, un champignon qui ne connaît pas de frontières et se répand d’autant plus facilement que la Cavendish est partout. Et alors ? me diriez-vous de nouveau. Et alors, la Cavendish est menacée de disparition pure et simple. Le funeste destin fut réservé, dans les années 40, à la Gros Michel, la précédente espèce ultradominante de banane, première illustration des dangers d’une faible diversité génétique. À partir de là, pourquoi ne pas engager le débat, au sein de votre famille, sur l’indispensable protection et l’incroyable richesse de la biodiversité ?

Enfin, si vous avez absolument besoin d’une marotte pour oublier vos angoisses et vos peurs, nous avons une suggestion là aussi.
Savez-vous que l’année dernière a été marquée par une nouvelle hausse de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ? Les gaz à effet de serre, moteurs du réchauffement climatique, vous devez en avoir entendu parler entre deux coups de gueule contre le mariage pour tous et les « pas comme vous ».
Faites-en votre cheval de bataille, sensibilisez, éduquez, manifestez, hurlez tant que vous voulez ! Allez, et pour que vous ne soyez pas totalement dépaysés, nous allons vous offrir ce slogan antiréchauffement avec référence animale : « Protégez les ours blancs pour les enfants de nos enfants ! »

En espérant avoir contribué à vous sortir la tête du gouffre.

 

 

Pour mémoire

La France devient-elle raciste ?

Madame, monsieur,Il y a quelques mois, Pamela Druckerman, ex-journaliste américaine du Wall Street Journal établie à Paris, vantait, dans un best-seller, l’éducation à la française. Des enfants qui mangent des haricots verts, disent bonjour à la dame, mouchent leur nez et brossent leurs dents. Le trait était un peu grossier – qui ne connaît pas de petits Français au bord de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut