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À La Une - Débat

À Marseille, Samer Mohdad présente son « Beyrouth (en) Mutations »

Après être passée en Arles cet été, l’exposition « Beyrouth Mutations » – accompagnée d’un beau livre paru aux éditions Photo Poche de Actes Sud –, constituée des photos de Samer Mohdad, pose ses cadres à Marseille, à la Bibliothèque départementale des Bouches du Rhône-Gaston-Defferre, jusqu’à la mi-janvier 2014. Table ronde autour de cette exposition, estampillée Marseille Provence Capitale européenne de la culture 2013, en présence de l’artiste.

Les Souks reconstruits... avec, comme un effet de miroir de la société libanaise, les silhouettes des travailleuses immigrées qui se superposent sur les panneaux de soldes. La manière de Samer Mohdad de dénoncer le scandale humain des travailleurs et travailleuses immigrés au Liban.

«Les Mondes de Samer Mohdad» ont été décortiqués par les trois intervenants de cette table ronde: Fabienne Pavia, des éditions Le bec en l’air (éditeur de livres de photographies), François Bazzoli, historien d’art, et Benoît Rivero, codirecteur de la collection Photo Poche chez Actes Sud. La thématique a été également développée sous toutes les coutures par l’artiste lui-même. Prolixe, Samer Mohdad s’est étendu avec, tour à tour, virulence, humour, dérision, émotion, sur sa vie qui, comme il l’a dit et redit, suit le fil rouge de son œuvre, «se confond avec elle». Et même s’il a décidé depuis quelques années de se retirer dans sa montagne, loin du tumulte des villes, il n’en reste pas moins perméable à tous les échos qui lui en parviennent... 


Trente-quatre photos en grand et très grand format, toutes tirées du dernier né de Samer Mohdad, «Beyrouth Mutations», engagent un dialogue fascinant: entre hier et aujourd’hui, entre immeubles délabrés et centre restauré, entre mort et rage de vivre...
En ouverture de la table ronde, un véritable hommage au travail et au parcours du photographe libanais: «Samer photographie une terre en soubresauts, un morceau de viande vivant», dit François Bazzoli; «Pour Samer, la photo est un outil de compréhension du monde. Avec lui, nous sommes dans un propos d’auteur», affirme Fabienne Pavia. Pour Benoît Rivero, son éditeur, «Samer est un des exemples rares de photographe d’histoire habité par l’histoire; un exemple unique de photographe qui fait de l’histoire de son pays la matière de toute son œuvre». 


«Je suis photographe de la vie pas que de l’histoire, pas photographe qui juste documente», a tenu à préciser Samer Mohdad. Attendu pour parler de son art, il a déroulé le fil de sa vie dans une sorte d’autobiographie qui suit de très près le cheminement de son travail.
À commencer par ses premiers pas dans la vie et les premières «blessures» qui s’y rattachent: où il apprend, au moment des cérémonies de la première communion, qu’il est druze et ne peut donc faire partie de ces festivités; où il se demande et demande à sa mère ce que être druze signifie; où il devient «un terroriste à l’école» (c’est son expression), enchaînant les escapades, écoles buissonnières et autres absences jusqu’à être viré; où la guerre qui commence – celle de 1973 –, alors qu’il n’a que 7 ans, chamboule tous ses repères, lui ouvrant les portes d’un monde hallucinant, le confrontant à la mort – celle d’un professeur de sport qu’il aimait bien –, l’amenant à fréquenter des «enfants soldats», des gamins à peine plus vieux que lui, maniant les armes mieux que le crayon... Plusieurs années plus tard, ces enfants seront l’objet du premier livre de photos de Samer Mohdad, Les Enfants de la guerre, 1985-1992. 

 

L’affiche de l’exposition : fin des années 80, place des Martyrs, Beyrouth.



Photographe, il y est arrivé par accident, assure-t-il. «Moi je voulais faire des films. Mais j’ai été refusé car je faisais trop de fautes d’orthographe, j’étais dyslexique. On m’a orienté vers la photographie en me disant que là au moins je n’aurais rien à écrire!» Qu’à cela ne tienne: il fait de la photo... comme il ferait un film. Ses prises de vues s’enchaînent comme les séquences d’un scénario. Après une école de photo – l’école Saint-Luc à Liège en Belgique –, il intègre l’agence parisienne de photojournalisme Vu, en 1988. Son premier reportage, «Les Touareg du Front Polisario: c’était fascinant». Il enchaîne sur une série «L’Autre côté de la guerre», avec, en plus du reportage sur les Touareg, des séries sur l’Algérie, le Liban et la Syrie. Puis, ce sont des reportages sur les prisons à Beyrouth ou encore les enfants dans la guerre civile. «Je me suis toujours demandé comment j’avais pu photographier ces gens? Je crois que je les faisais exister en tant qu’humains, c’est la raison pour laquelle ils m’ont laissé les photographier. J’ai un côté naïf... qui se transforme en sagesse avec l’âge», lance-t-il, l’œil rieur.

Un débat animé
Deux ans plus tard, le Musée de l’Élysée à Lausanne lui commande une série de photos sur l’armée suisse pour un livre et une exposition. Dans la foulée, Samer Mohdad intègre cette institution et devient responsable de la «section» monde arabe. Nous sommes au début des années 90, «le monde arabe est méconnu en Europe, du moins il n’est présenté que du point de vue de photographes européens». Dans cette même logique, c’est le début de la collaboration avec les éditions Actes Sud qui a constitué le 1er fonds photographique arabe, hors les orientalistes. Et l’édition de Mes Arabies, le 1er opus d’une trilogie dans laquelle Samer Mohdad photographie le monde arabe dans ses différences, ses particularités.


La création de la Fondation arabe pour l’image (FAI), en complicité avec Fouad el-Khoury et Akram Zaatary au milieu des années 90, est en droite ligne avec les valeurs revendicatives qu’il porte depuis le début de sa carrière de photographe: faire découvrir et connaître les cultures arabes à partir de l’intérieur.
C’est ainsi qu’il est sollicité par l’Arabie saoudite, pour faire un livre de photos sur le pays. C’est Assaoudia, XXIe s.= XVe h., deuxième volet de sa trilogie sur les mondes arabes, «le seul livre sur ce monde saoudien de l’intérieur», affirme l’artiste.
Puis c’est un travail sur le retour des déplacés libanais dans leurs villages de la montagne, «ce retour est un événement unique dans les guerres du XXe siècle», affirme-t-il. 


Sensible à tout ce qui agite les sociétés arabes qu’il dissèque avec son objectif, Samer Mohdad s’implique dans les combats qui sont menés autour de lui. Il participe ainsi à la création du site Internet d’information menassat.com pour défendre la liberté de la presse. 
Interrogé sur les critères de sélection qui le guident dans le choix des quelques centaines de photos qu’il a donné à voir parmi les milliers qu’il a, Samer Mohdad explique: «J’ai une histoire qui m’obsède, elle me guide dans mes choix.»
Des projets, il en a plein la tête et la bouche: finir le 3e volet de sa trilogie sur le monde arabe, avec des photos à prendre en Somalie, Mauritanie, Djibouti, Koweït... sur la route des esclaves et des Arabes noirs; faire un film documentaire à partir de son livre; photographier le monde arabe à partir de sa fenêtre, avec les pins parasols qui deviennent des personnages... Histoire à suivre.

 

Pour mémoire

Les « Momenti italiani » de Bassam Lahoud

 

Des photos... pour que plus jamais ça

 

Les deux cents visages du Liban, en photos

 

« Beyrouth Objets trouvés »... dans un album-coffret

 

«Les Mondes de Samer Mohdad» ont été décortiqués par les trois intervenants de cette table ronde: Fabienne Pavia, des éditions Le bec en l’air (éditeur de livres de photographies), François Bazzoli, historien d’art, et Benoît Rivero, codirecteur de la collection Photo Poche chez Actes Sud. La thématique a été également développée sous toutes les coutures par l’artiste...

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