Rechercher
Rechercher

Liban - Documentaire

« Pas ce que nous sommes », ou l’humanisme oublié des réfugiées syriennes

Dans ses entrevues avec des réfugiées au Liban, la réalisatrice Carole Mansour explore des vies cloîtrées, lacérées ou interrompues, qui continuent quand même de palpiter.

Afraa, chez elle. Moderne, mais inadaptée...

« Pas ce que nous sommes » : c’est l’affirmation récurrente des femmes syriennes réfugiées au Liban. Douloureuse justification de certains choix, terne échappatoire de l’ennui et de l’angoisse, maquillage de la violence, cette affirmation est l’espoir inavoué de redevenir ce qu’elles sont vraiment. Elle porte les mots de leur survie. Elle est également le titre choisi par la réalisatrice Carole Mansour pour son dernier documentaire Not who we are financé par Heinrich Böll, qui sera projeté en avant-première lundi à 20 heures dans les salles de l’Empire-Sofil.


Le documentaire rapporte, par le biais d’entrevues, alternées de narration et d’images d’archives, quatre cas de Syriennes au Liban : la jeunesse « suspendue » d’une artiste aspirante, confinée dans les rues de Hamra ; l’oisiveté et sa misère, avalées jusqu’à « l’étranglement » par deux cousines, mères et épouses, piégées dans l’hostilité de la Békaa ; l’épuisement qui a murmuré aux oreilles d’une mère de cinq enfants, réfugiée à Baalbeck, le choix amer de marier ses filles mineures ; le sourire d’une jeune veuve palestinienne, « doublement déplacée », à laquelle s’agrippent ses jumelles de cinq ans, ignorant que leur mère a cessé d’exister depuis qu’elle a perdu l’homme de sa vie.
Aucun cliché ne glisse entre ces vies qui se succèdent.

 

« Les images de misère défilent dans les médias au quotidien. J’ai voulu dépeindre l’humain, les vies non racontées », explique Carole Mansour à L’Orient-Le Jour, refusant toute quête de sensationnel ou de politique. Son travail de terrain a duré deux mois, avant la sélection des cas présentés.
Des interviews se dégage la force des réfugiés à se maintenir raides face à une réalité qui les lapide. Presque aucune larme, aucun mot de haine ou de colère ne troublent les visages desserrés qui s’expriment. À peine des soupirs, les bribes de souffrances contenues trahissent des émotions que ces femmes ont choisi de cloîtrer dans leur regard, pour n’en laisser échapper qu’un exposé lucide de faits bruts.

La lune messagère
Oum Omar, 23 ans, et Oum Raëd, 22 ans, sont dépeintes dans l’étendue de la Békaa. L’une, revêtue d’une djellaba noire et d’un voile, a quelque peu vieilli avant l’âge. L’autre, à la silhouette plus mince, porte le même vêtement en mauve, colorant sa face de sourires plus fréquents que ceux de sa cousine.
Les deux ont fui les violences alors qu’elles étaient enceintes. Elles ont accouché au Liban à une semaine d’écart. Elles racontent, avec des phrases parfois identiques, leur fuite, « sans rien », de Kessweh et leurs abris itinérants au Liban, celui d’une boulangerie abandonnée « empestée », ou d’un terrain vague inondé par les pluies diluviennes de 2012.
Cette pluie « si dure » portera une gifle assommante aux vies qu’elles avaient minutieusement entretenues : le salon de coiffure de Oum Omar, ses plats de viande, sa nouvelle télévision ; « la coquetterie » de Oum Raëd.
Leur nouvelle vie, aménagée sous une tente que leurs maris raccommodent au gré d’emplois ponctuels, est centrée sur leurs enfants. Elles tentent de les immuniser de « l’ennui » qui les aurait ravagées... si ce n’était de cette lune « magnifique » qu’elles contemplent chaque soir, autour d’une tasse de thé. « Si tu vas vers la Syrie, salue-la pour nous, lui lancent-elles. Les nuits de Damas sont plus belles... »

 

Oum Omar et Oum Raëd: portraits.



À Hamra, « se sentir à Damas »
Des nuits que Afraa Batous, 27 ans, s’imagine comme un rêve diurne sur les terrasses de Hamra, peu accueillantes. Diplômée de littérature anglaise, passionnée de musique, elle a composé une chanson engagée qui lui a valu une détention temporaire par le régime.
Contrainte de quitter la Syrie, elle habite un appartement de Beyrouth. Elle partage le loyer avec quatre autres jeunes Syriens, dont sa sœur et son ami d’enfance. C’est une famille qui se constitue, comme des milliers d’autres, au sein de ce million de réfugiés, tous étrangers, qui veulent « se sentir de nouveau à Damas ».
Cette femme émancipée n’a pas réussi à bâtir des liens avec les Libanais, imprégnés par un passé de relations bilatérales trop douloureuses, comme elle le relève. Carole Mansour affirme à L’OLJ que « ceci devrait être un motif d’empathie et non le contraire ». Mais dans le documentaire, Afraa ne s’y attarde pas. Elle sait qu’elle se trouve « dans une escale », où les plans sont oscillants.
Dans l’attente, elle chantonne une version arabe des Feuilles mortes et revient, de temps à autre, « vers la citadelle d’Alep où je me posais, au petit matin, pour contempler mes rêves ».

« Mais maman, tu voulais que je sois architecte »
Dans les vieilles bâtisses de Baalbeck, Samar (prénom d’emprunt) vit elle aussi d’une image que lui renvoie sa vie passée à Zabadani. « Le gazouillis du rossignol, qui me réveillait chaque matin à 7 heures », confie-t-elle. « L’arbre qui l’abritait a sans doute été rasé »... comme ses rêves pour ses enfants. La précarité de vie auprès d’un mari malade l’a incitée à marier son aînée de 16 ans à un Libanais de 23 ans, et sa cadette de 14 ans à un Libanais de 27 ans, pratique de plus en plus fréquente au Liban. « Mais maman tu voulais que je devienne architecte », lui avait lancé l’une d’elles. Filmée de dos dans les ruelles du souk de Baalbeck, la chevelure dissimulée dans son voile noir, elle ne voit pas passer derrière elle une enfant dans une robe blanche. Elle est déchirée jusqu’à la chair entre la détermination et l’incertitude de son choix, l’amour maternel et la révolte de son être affligé.

Et puis, il y a le sourire de Siham...
Siham al-Shahabi, elle, ne se considère plus comme un être à part entière. « Nous sommes trois. Le moi n’a pas de place », affirme la femme de 37 ans, en référence à ses deux jumelles, Jana et Judy, qui ne la lâchent plus. Elles sont devenues son unique motif de vivre depuis qu’elle a perdu son époux, Ghassan al-Shahabi, tué devant elles par une balle de snipers à Yarmouk. Nul temps pour pleurer l’homme qui avait été son salvateur, « le seul à avoir connu et aimé tous mes détails », l’assistante sociale a fui vers la Békaa-Ouest, avant de se rendre à Beyrouth pour y travailler. De Sabra, où « les gens ont inhibé toute empathie, par trop de souffrance subie », jusqu’à Beyrouth-Est, où elle vit désormais, elle a transporté ses quelques biens et sa douleur, les deux filles aux bras. Si sa capacité de s’adapter a été parfois anéantie, elle est renforcée par un sourire de résilience... et cette phrase poignante, qui illumine ses grands yeux noirs : « Plus rien ne peut me briser. Je souris parce que plus rien ne peut me faire de mal. Ce n’est pas de l’indifférence, mais une douleur au-delà de mes capacités... »

 

 

Lire aussi

Les nombre des réfugiés « a dépassé toutes les lignes rouges », selon Charbel


L’odyssée de Omar, réfugié syrien au service de ses compagnons d’infortune

 

Ces enfants syriens réfugiés au Liban qui travaillent pour survivre...

« Pas ce que nous sommes » : c’est l’affirmation récurrente des femmes syriennes réfugiées au Liban. Douloureuse justification de certains choix, terne échappatoire de l’ennui et de l’angoisse, maquillage de la violence, cette affirmation est l’espoir inavoué de redevenir ce qu’elles sont vraiment. Elle porte les mots de leur survie. Elle est également le titre choisi par...

commentaires (2)

Bravo Carole.

Robert Malek

19 h 41, le 05 octobre 2013

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Bravo Carole.

    Robert Malek

    19 h 41, le 05 octobre 2013

  • Madame Mansour, pourriez-vous envoyer votre documentaire à Mme Marie Antoinette al-Assad à Damas ?

    Halim Abou Chacra

    04 h 16, le 05 octobre 2013

Retour en haut